La crise (supposée) du «franglais» : post-scriptum

Jeudi dernier, l’Oreille tendue proposait huit commentaires (brefs) sur la crise (supposée) du «franglais». Ci-dessous, trois autres, en guise de post-scriptum.

9.

En matière de langue, les contextes — sociaux, politiques, culturels, économiques, démographiques, etc. — sont fondamentaux.

La langue de Lisa LeBlanc ou de Radio Radio n’est pas celle des Dead Obies. La situation linguistique des Acadiens n’est pas celle des Québécois.

Ce que pensaient Étienne Parent en 1830 et Hubert Aquin en 1962 risque de pas s’appliquer parfaitement à l’actualité de 2014. (Attention : euphémisme.) Sur son blogue, Mario Asselin a des propos justes sur ce type d’anachronisme dans l’argumentation de certains.

10.

Dans le débat des derniers jours, il a beaucoup été question de bilinguisme, en l’occurrence d’un seul type de bilinguisme (anglais / français). Or il se trouve que la situation linguistique québécoise, comme n’importe quelle autre situation linguistique, est faite du contact de plusieurs langues, pas uniquement de deux. Ainsi que l’a montré Rainier Grutman en 1997, c’était déjà vrai au Québec au XIXe siècle. Démographie oblige, ce l’est encore plus aujourd’hui, et tout particulièrement à Montréal. Pierre Nepveu, dans des textes de 2012 et de 2013, a souligné les enjeux, sociaux et esthétiques, de ces formes de colinguisme. La ville : lieu de toutes les langues et de leurs interactions.

11.

Les langues naissent et les langues meurent.

Il est théoriquement possible d’assister à la mort d’une langue, par exemple quand disparaît son dernier locuteur. (Ainsi que le faisait remarquer en 2013 Louis-Jean Calvet, il faut se méfier de cette métaphore de la mort des langues, mais faisons comme si.)

En revanche, la naissance d’une langue prend du temps. Les choses ne changent pas du jour au lendemain.

 

Références

Calvet, Louis-Jean, «Quelles langues parlera-t-on demain ?», dans François Gaudin (édit.), la Rumeur des mots, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2013, p. 61-75.

Grutman, Rainier, Des langues qui résonnent. L’hétérolinguisme au XIXe siècle québécois, Montréal, Fides — CÉTUQ, coll. «Nouvelles études québécoises», 1997, 222 p.

Nepveu, Pierre, «Langue. Au-delà du français menacé», le Devoir, 22 septembre 2012.

Nepveu, Pierre, «Une apologie du risque», Liberté, 300, été 2013, p. 8-9. https://id.erudit.org/iderudit/69406ac

Fausse économie

Angle Pie-IX et Notre-Dame, à Montréal, il y a un «Entrepôt Public» (majuscules certifiées d’origine) : vous pouvez y louer un espace pour entreposer vos choses.

Ça coûte combien ? L’Oreille tendue ignore le tarif mensuel régulier, mais il y a une promotion pour les nouveaux clients : «1 $ paie votre 1er mois de location.»

«1 $ pour votre 1er mois de location» aurait signifié la même chose, sans l’anglicisme sous-jacent («$1 pays your first month»), non ?

Le mépris de la STM

Il y a quelques années, l’Oreille tendue s’est abonnée au fil Twitter de la Société de transport de Montréal (STM). Vu le nombre de pannes sur son réseau, ça s’explique facilement.

Depuis, elle reçoit tous les messages de la STM en double, l’un en français, l’autre en anglais. Elle n’a évidemment jamais demandé une chose pareille.

L’Oreille, à plusieurs reprises, a marqué son mécontentement sur Twitter. Elle sait, de sources conjugales proches et généralement fiables, que d’autres ont porté plainte directement à la STM. Conséquences de ces plaintes ? Aucune.

Sans être juriste, on peut affirmer que cela contrevient aux dispositions de la Charte de la langue française sur le bilinguisme dans les services publics. Celle-ci prévoit en effet des dérogations aux communications en anglais avec leurs clients / utilisateurs. Ces dérogations sont précisément encadrées et, sauf erreur, il faut les demander; on ne peut pas se les faire imposer.

Depuis quand la Société de transport de Montréal est-elle bilingue ? Au secours ! Help !

P.-S. — Sur le même sujet, @OursMathieu est plus lapidaire : «Niaiserie.»

 

[Complément du 2 décembre 2013]

Rien n’y fait : ni les tweets, ni les plaintes, ni les entrées de blogue. L’Oreille a donc écrit, par l’intermédiaire du Devoir, au nouveau président du conseil de la STM, Philippe Schnobb. Elle attend une réponse, sans trop y croire.

De l’inégalité des langues

Westmount était une ville sur l’île de Montréal. Brièvement, elle en a été un arrondissement. Elle est aujourd’hui une de ces villes que l’on dit défusionnées.

Des élections s’y tiendront le 3 novembre.

Philip A. Cutler est candidat. Voici une de ses publicités.

Philip A. Cutler, Westmount

On notera la symétrie linguistique : «Votez» / «Vote», «Conseil Municipal» / «City Council».

On notera aussi qu’elle n’est pas complète : la date est présentée à l’anglo-saxonne («Nov. 3 2013») et le nom du groupe Facebook est en anglais (facebook.com/VoteCutler), à moins que le candidat n’ait choisi de s’adresser à ses électeurs à la deuxième personne du singulier.

Le slogan est encore plus intéressant : «Everyone gets a say in OUR city !» Tout le monde a le droit de se prononcer à Westmount. En anglais seulement ?