Publicité innocente ou coupable ?

À l’université de l’Oreille tendue, on peut apprendre les langues étrangères tout en se désaltérant. Vous ne la croyez pas ? Voici la preuve.

Bilinguisme du lait

Allons-y (let’s go) : buvons du lait (lait’s go).

Heureusement que tout n’est pas de la même eau (de boudin) en matière de langue publique. Il arrive parfois que l’on ne désespère pas.

Devant ce titre du cahier Affaires de la Presse du 15 janvier 2013 : «Nortel était dirigée par des innocents» (p. 2). Selon le juge, ces dirigeants ne sont pas coupables de fraude; ils sont innocents. Ils ne sont pas non plus doués : au Québec, on dit de ce type de personnes que ce sont des innocents. Définition de Franqus. Dictionnaire de la langue française. Le français vu du Québec : «Qui ne se rend pas compte des choses, qui a une trop grande ignorance des réalités.» Synonyme : naïf, crédule. Bref, il y a innocents et innocents.

Devant le titre du documentaire de Marie-Pascale Laurencelle, sur une idée de Geneviève Rioux, produit par Marie-France Bazzo : Crée-moi, crée-moi pas. Il porte sur la conciliation travail-famille : ce que l’on crée, ou pas, ce sont des enfants. Mais son titre est aussi calqué sur une expression québécoise bien connue : cré-moi, cré-moi pas (crois-moi ou pas). Bref, il y a ce que l’on crée et ce que l’on cré.

Il faut savoir prendre son (rare) plaisir où il se trouve.

P.-S. — Les plus âgés se souviendront de l’incipit de «La complainte du phoque en Alaska» (1974) du groupe Beau dommage : «Cré-moi, cré-moi pas / Kèkpart en Alaska / I a un phoque / Qui s’ennuie en maudit.» L’Oreille n’est plus de la première jeunesse.

Only à Montréal

Dans le métro, cette publicité.

Publicité du Collège O’Sullivan (métro de Montréal)

Le texte en français est composé de caractères plus gros que celui en anglais. (Montréal est une ville française.)

Dans la colonne de droite, en français, on annonce les formations «en anglais seulement». Dans celle de droite, en anglais, on annonce les formations «in French only». (Montréal est une ville bilingue.)

Minute touristique locale

Rawdon est une municipalité québécoise. «Géographiquement localisée à la limite des basses-terres du Saint-Laurent et de la chaîne de montagne des Laurentides dans Lanaudière», dixit le site municipal, «la Municipalité de Rawdon constitue un important carrefour routier situé à soixante (60) kilomètres au nord de Montréal […]». Elle compte 10 241 habitants.

La Commission de toponymie du Québec la présente ainsi, en insistant sur sa diversité ethnique :

Dans les premiers contreforts des Laurentides, à une altitude de plus de 150 m, a été implantée la municipalité bilingue et cosmopolite de Rawdon, près de Joliette. […] Le côté cosmopolite de Rawdon, marqué par les gentilés français et anglais reconnus Rawdonois et Rawdonite, est tributaire de l’origine des colons arrivés au début du XIXe siècle : Irlandais, Écossais (Montréal et New Glasgow), Anglais (Montréal et Terrebonne), Loyalistes américains. Si des terres ont été concédées aussi tôt que 1799 à des Loyalistes, ce n’est que vers 1830 que la colonie reçoit ses premiers colons francophones venus de Saint-Jacques-de-l’Achigan.

Puisque les deux mots y sont — «bilingue et cosmopolite» —, on peut supposer qu’ils ne veulent pas dire exactement la même chose. À y regarder de plus près, c’est un peu moins clair.

Au début du XIXe siècle, les colons parlent anglais; «vers 1830» arrivent les francophones : voilà pour le bilinguisme. Il existe même des «gentilés français et anglais reconnus», en l’occurrence «Rawdonois et Rawdonite».

Qu’en est-il du cosmopolitisme ? Ça se complique. Selon le Petit Robert (édition numérique de 2010), cosmopolite signifie «Qui comprend des personnes de tous les pays; qui subit des influences de nombreux pays (opposé à national). Ville cosmopolite.» Or il y aurait eu, à Rawdon, des Irlandais, des Écossais (du Québec : Montréal et New Glasgow), des Anglais (du Québec : Montréal et Terrebonne) et des Loyalistes américains — bref, pour l’essentiel, des Anglo-saxons proches. Les francophones, eux, arrivaient d’à côté, Saint-Jacques-de-l’Achigan. Il ne faudrait peut-être pas confondre Rawdon avec Paris ou New York.

Patiner sur l’eau

Samedi dernier, les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — ont congédié leur entraîneur-chef, Jacques Martin, et l’ont remplacé — ô sacrilège ! — par un unilingue anglophone, Randy Cunneyworth. Depuis, psychanalyse nationale.

Même les ministres du gouvernement du Québec s’en mêlent et s’en prennent à celui qui a pris cette décision, Pierre Gauthier, le directeur général du club. La ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, Christine Saint-Pierre, qui est également responsable de l’application de la Charte de la langue française, a déclaré que c’était inacceptable, puisque «Le Canadien est dans nos gènes». Sa collègue du sport, Line Beauchamp, va dans le même sens : «le Canadien est une institution, ça fait partie de notre patrimoine, on a ça dans notre ADN, cela commande des impératifs». Deux ministres généticiennes : on n’en espérait pas tant.

Les journalistes, qui sèment à tout vent, ont leur propre registre métaphorique.

Lyrique comme lui seul sait l’être, Jean Dion, dans le Devoir, fait dans l’aquatique :

À Montréal, le navire ne coule jamais, mais il ne fend jamais l’écume non plus. Il se laisse bercer par les flots, et cela donne des changements de cap qui mènent à laisser partir Saku Koivu, Alexei Kovalev et Michael Ryder pour les remplacer par Michael Cammalleri, Brian Gionta et Scott Gomez. Pas loin du sur-place (19 décembre 2011, p. A1-A8).

À la Presse, François Gagnon saute sur le pont avec lui :

Quand le bateau affronte une tempête, une grosse, une vraie, c’est près du timonier qui s’éreinte à maintenir le cap que le capitaine doit se tenir et non dans les chics salons pour partager champagne et amuse-gueules avec les riches passagers pour les rassurer et prétendre que tout va bien (20 décembre 2011, cahier Sports, p. 3).

C’était prévisible. Dès 2007, Alain-François le chantait dans «C’est pour quand la coupe Stanley ?» :

On part en lion on finit en poisson
I a un problème dans’cage ou de repêchage
C’t’un gros bateau qui prend l’eau
Depuis qu’on a perdu Casseau

Le maître nageur — le sauveur — est tout trouvé : ce sera Patrick Roy («Casseau», pour les intimes). N’a-t-il pas les Canadiens dans son ADN ?

La différence du même

Il y a jadis naguère, l’Oreille tendue disait un mot du rapport au temps d’une chic école privée de son quartier (c’est ici).

Ces jours-ci, cette Académie centennale / Centennial Academy organise des Portes ouvertes. Sa publicité ?

Académie centennale / Centennial Academy, bannière publicitaire, 2011

Rendre «Great teaching matters» par «l’enseignement à son meilleur» ? Oui.

Rendre «Great minds think differently» par «Les grands esprits se rencontrent» ? Le promeneur s’y attend moins. En français, on se rapproche; en anglais, on s’éloigne.

Paradoxes d’une ville bilingue, quoi qu’on en dise : Montréal.