Tout est affaire de point de vue

«Pourtant quelqu’un m’a dit
Que tu m’aimais encore»
(Carla Bruni, «Quelqu’un m’a dit»)

 

Le Parisien, 7 janvier 2014 : «Carla Bruni : concert annulé au Québec faute de fans.»

Le Journal de Montréal, 7 janvier 2014 : «Carla Bruni annule Québec et Gatineau.»

La Presse, 8 janvier 2014, cahier Arts, p. 2 : «Carla Bruni annule à Québec et à Gatineau.»

Le Nouvel Observateur, 8 janvier 2014 : «Carla Bruni fait un flop au Québec et annule ses concerts : doit-elle prendre sa retraite ?»

Le Devoir, 8 janvier 2014, p. B7 : «Carla Bruni allège sa tournée.»

Guy Lafleur, gourou

Yves Tremblay, Guy Lafleur. L’homme qui a soulevé nos passions, 2013, couverture

Guy Lafleur, l’ancien joueur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, a fait couler beaucoup d’encre. Biographes, journalistes, paroliers, dramaturges, romanciers, poètes, nouvellistes ont écrit sur lui. L’Oreille tendue elle-même ne s’est pas gênée pour parler du «Démon blond»; voir ici et .

L’automne 2013 a donné lieu à deux nouvelles publications : Guy Lafleur. La légende, de Pierre-Yvon Pelletier, que l’Oreille n’a pas encore lu, et Guy Lafleur. L’homme qui a soulevé nos passions, d’Yves Tremblay.

L’amateur de hockey n’apprendra pas grand-chose dans le livre de Tremblay, cette hagiographie rédigée par un ami de Guy Lafleur — ami qui emploie Lafleur comme porte-parole publicitaire.

L’ouvrage brosse un portrait de Lafleur en apôtre de la pensée «positive». Lafleur aurait traversé des difficultés hors de la glace — aucune n’est décrite dans l’ouvrage, alors que les journaux ont beaucoup parlé des épreuves familiales que le mari et le père a traversées au fil des ans —, mais il s’en serait sorti grâce à son attitude. En résumé :

Plus que des souvenirs, ce livre intemporel et unique, autorisé par Guy Lafleur, deviendra une source de motivation pour tous, jeunes et moins jeunes (quatrième de couverture);

Vingt-cinq ans après ce retour tant médiatisé de la superstar, Yves [l’auteur parle alors de lui-même à la troisième personne du singulier] se rappelle cette expérience de vie et, avec le recul, il constate pour la première fois que parmi tous ceux qu’il a côtoyés, la vie professionnelle de Guy Lafleur, devenu lui-même une pure légende, est une application «vivante» et «positive», et le modèle par excellence des principes des plus grands théoriciens de l’épanouissement personnel et du succès, tels que Napoleon Hill, Anthony Robbins, Jack Canfield, Dale Carnegie, Joseph Murphy et compagnie (p. 208).

Guy Lafleur et la croissance personnelle : même combat.

 

Références

Pelletier, Pierre-Yvon, Guy Lafleur, la légende. L’album photo du démon blond, Montréal, Editions de l’Homme, 2013, 206 p. Ill.

Tremblay, Yves, Guy Lafleur. L’homme qui a soulevé nos passions, Brossard, Un monde différent, 2013, 208 p. Ill. Préface de Guy Lafleur.

Fromage plâtreux

L’Oreille tendue est père. Une de ses activités paternelles du temps des Fêtes fut d’assister, avec son cadet, au spectacle Geronimo Stilton dans le royaume de la fantaisie. L’Oreille a beau être père, elle n’en est pas moins tendue pour autant.

I.

Vous le savez : l’Oreille n’est pas du genre à s’effaroucher parce que, sur scène, le passé simple côtoie le slam. En revanche, elle se demande toujours pourquoi des concepteurs de spectacle se croient drôles parce qu’ils jouent du décrochage, chez le même personnage, des accents, de l’accent le plus neutre au gros accent québécois. Ils ne savent pas que nous sommes en 2013 et que cela a été fait mille fois ? Croient-ils vraiment nécessaire d’éduquer nos chères têtes blondes à cette alternance codique parfaitement éculée ?

II.

Si ses oreilles ne l’ont pas trompée, l’Oreille a entendu un homard chanter «Nous devons se sauver». Elles saignent encore.

III.

Au-dessus de la scène, des images étaient projetées, dont celle-ci :

Geronimo Stilton dans le royaume de la fantaisie

Personne ne s’est aperçu qu’il fallait «leurs» au lieu de «ses» ?

Geronimo Stilton dans le royaume de la fantaisie n’était probablement pas un spectacle éducatif.

L’Oreille sort du placard (à musique)

Vous voulez attendrir l’Oreille ? Qu’elle ait le mo(t)ton ? C’est facile.

Vous lui passez la scène de «La Marseillaise» dans Casablanca, le film de 1942 de Michael Curtiz.

Vous lui faites entendre «It’s Only a Paper Moon» dans l’interprétation d’Ella Fitzgerald (1945).

Vous mettez dans ses balados celle du 23 novembre 2013 de l’émission de radio The Vinyl Cafe, «Christmas Medleys». (Si si : c’est vrai aussi avec de la musique de Noël.)

Vous lui demandez d’assister à un concert du chœur de son fils aîné.

Cela marchera à tous les coups : pour elle, il n’est rien de tel, musicalement, que l’harmonie des voix. Elle ne saurait expliquer pourquoi.

 

[Complément du 21 octobre 2017]

L’Oreille a assisté tout à l’heure à une des dernières représentations de la production montréalaise de Demain matin, tout le monde m’attend, la comédie musicale de François Dompierre (musique) et Michel Tremblay (texte), dans une mise en scène de René Richard Cyr. Rien à faire : dans un des premiers numéros collectifs, elle a été émue, sans que le sujet abordé ait été particulièrement dramatique. Ça doit être physiologique.

 

[Complément du 11 mars 2018]

Une autre occurrence ? Devant l’installation vidéo multiécran I’m Your Man (A Portrait of Leonard Cohen) de l’Allemande Candice Breitz (2017), qu’on peut voir au Musée d’art contemporain de Montréal dans le cadre de l’exposition consacrée à Cohen. Dix-huit hommes, de toutes conditions, chantent, a cappella, du Cohen (I’m Your Man, 1988). On marche devant leur image. C’est magnifique.

 

[Complément du 12 mars 2024]

Hier soir, à la finale de la sixième édition du concours d’éloquence Délie ta langue, rebelote en découvrant Édelène Fitzgerald et son scat (entre autres belles choses).

 

Histoire de pont et de hockey

La Presse+, 16 décembre 2013

«notre nom est Maurice Richard»
(Roch Carrier, le Rocket, 2000)

 

Montréal est une île. Pour y accéder ou pour en sortir, il faut donc des ponts (et un tunnel). Parmi ceux-ci, le pont Champlain n’est pas le plus ancien (il date de la fin des années 1950), mais il est le plus abîmé. On doit le remplacer. On s’attellera à la tâche sous peu.

On discute déjà coût, calendrier, architecture — et nom. Pour des raisons assez obscures, certains aimeraient rebaptiser le pont Champlain. Les suggestions ne manquent pas, comme le révèle la Presse+ du 16 décembre : pont Lemoyne, pont Kondiaronk, pont Hochelaga, pont Maurice-Richard.

Maurice Richard ? Un célèbre joueur de hockey des Canadiens de Montréal, de 1942 à 1960. (L’Oreille tendue a écrit une «histoire culturelle» de celui qu’on appelle «Le Rocket», le mythique numéro 9.) Des villes, une province et un pays l’ont déjà beaucoup encensé. Doit-on faire plus ?

À Montréal, Maurice Richard a droit à son aréna, dans l’Est de Montréal, qui a pendant quelques années hébergé un musée en son honneur. À son parc, voisin de l’endroit où il habitait, rue Péloquin, dans l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville. À son restaurant, le 9-4-10, au Centre Bell. À son étoile de bronze sur la promenade des Célébrités, rue Sainte-Catherine, à côté de celle de la chanteuse Céline Dion. (Il a aussi sa place sur le Walk of Fame du Madison Square Garden de New York et sur le Canada’s Walk of Fame de Toronto.) À quatre statues : devant l’aréna qui porte son nom, à côté du Centre Bell, au rez-de-chaussée des cinémas AMC-Forum-Pepsi, dans le Complexe commercial Les Ailes. À son gymnase, celui de l’école Saint-Étienne.

Il y a un lac Maurice-Richard, dans la région de Lanaudière, au nord-ouest de Saint-Michel-des-Saints. Il y a le lac et la baie du Rocket près de La Tuque. Il y a une rue Maurice-Richard et une place Maurice-Richard, à Vaudreuil-Dorion, en banlieue de Montréal.

Le Canada n’est pas en reste. L’État fédéral a érigé une statue de Maurice Richard devant le Musée canadien des civilisations, celui où a été montée en 2004 l’exposition, devenue itinérante depuis, «Une légende, un héritage. “Rocket Richard”. The Legend — The Legacy». Il a émis un timbre à l’effigie du hockeyeur et il lui fait allusion, par Roch Carrier interposé, sur les billets de banque de 5 $. L’Oreille s’est laissé dire que, à Calgary, une «Richard’s Way» (ou serait-ce une «Richard’s Road» ?) l’aurait honoré. Du temps où les affaires allaient moins mal, il y avait une salle Maurice-Richard au siège social de Research in Motion (le Blackberry), à Waterloo; peut-être y est-elle toujours.

N’est-ce pas suffisant pour celui qui disait de lui-même «Chus juste rien qu’un joueur de hockey» ? L’Oreille aurait tendance à le croire.

P.-S. — On a souvent comparé «la diva de Charlemagne» à Maurice Richard. Est-ce à dire qu’il faudra un jour penser baptiser un pont Céline-Dion ? Ce serait une bonne raison de ne pas renommer le pont Champlain. Ne créons pas de précédent dangereux.

P.-P.-S. — Ce n’est pas la première fois qu’une pareille opération toponymique est évoquée. Il en été question dans la Presse du 6 octobre 2011, sous la plume de Stéphane Laporte, et dans le Devoir du 20 juin 2012, dans une caricature de Garnotte. Celui-ci fait dire au ministre fédéral responsable du projet, Denis Lebel : «En son honneur, je songe à un pont… suspendu !» Maurice Richard a en effet, au cours de sa carrière, été suspendu plusieurs fois.

 

[Complément du 1er novembre 2014]

Le Parti conservateur de Stephen Harper, au pouvoir au gouvernement fédéral canadien à Ottawa, en fait une obsession. «Exclusif. Le Rocket aura son pont», affirme le quotidien la Presse en une aujourd’hui : «Le pont Champlain cédera sa place au pont Maurice-Richard, a tranché Ottawa. Le gouvernement Harper devrait en faire l’annonce le 9 décembre, un clin d’œil au numéro de la légende du Canadien.» En page 3, en titre : «Maurice Richard déloge ChamplainL’Oreille n’en croit pas ses oreilles.

 

[Complément du 5 novembre 2014]

Dans la Presse+ de ce matin, l’Oreille tendue découvre qu’un «corridor emprunté par le quart des vols en partance ou à destination de Montréal» porte, depuis 2012, le nom MORIC (pour Maurice Richard). Plus précisément, il s’agit d’«un point de cheminement en haute altitude situé au nord-ouest de Montréal». Maurice Richard au / dans le ciel.

P.-S. — Le Rocket n’est pas seul :

En 2012, les contrôleurs de Montréal guidant les pilotes ont commencé à utiliser les points de cheminement MORIC (pour Maurice Richard), LFLER (Guy Lafleur), BLIVO (Jean Béliveau) et ARVIE (Doug Harvey), tandis que GAINY (Bob Gainey) était le nom d’une procédure d’arrivée vers les pistes de l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, à Dorval — YUL pour les aviateurs. Ces cinq anciens joueurs sont membres du Temple de la Renommée du hockey. De plus, le principal corridor en direction ouest, vers Chicago et Toronto, a été baptisé HABBS, qui a la même sonorité que le vénérable surnom du Canadien, «Les Habitants», prononcé à l’anglaise. […] Les Expos sont aussi dans le ciel montréalais : deux procédures de départ dans le corridor arrivant des États-Unis s’appellent CARTR, en l’honneur du receveur Gary Carter, membre du Temple de la renommée du baseball majeur. […] Une position de départ de l’aéroport Jean-Lesage, à Québec, s’appelle NORDIK.

 

Référence

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture