(Par souci de transparence, ceci : l’Oreille tendue a été interviewée par une des auteures du livre dont il sera question ci-dessous, ce qui explique qu’elle se trouve dans ses remerciements. Cela étant, les propos de l’Oreille n’ont pas été retenus par les auteures — ce dont elle ne leur tient point pantoute rigueur.)
Il peut être risqué de vouloir présenter son pays d’adoption, permanent ou temporaire. Voilà pourquoi l’Oreille a une rubrique «Ma cabane au Canada» : les titres qui y sont évoqués ne brillent pas tous par leur pertinence (euphémisme).
Qu’en est-il de l’ouvrage les Québécois (2017) de Laurence Pivot et Nathalie Schneider ?
Le livre est fait de descriptions, de commentaires, d’entrevues et de portraits — avec les inévitables Fred Pellerin et Kim Thúy, pour ne retenir que deux noms. Il ne cède pas, comme c’est si souvent le cas, à la folklorisation de son objet et c’est particulièrement vrai dans le choix des sujets abordés : au lieu de tartines sur les grands espaces ou sur le hockey comme religion, on parle de coopératives d’habitation, de médiation familiale, d’entreprenariat. Journalistes «franco-canadiennes» (quatrième de couverture), Pivot et Schneider se sont intéressées à l’actualité bien plus qu’à l’histoire. Elles vont droit au but : les textes sont courts et incarnés. Elles sont enthousiastes, mais sans complaisance (p. 69-70, p. 90).
Elles considèrent que les Québécois sont obsédés «par le consensus» (quatrième de couverture); il est difficile de leur donner tort. Le point de vue est surtout montréalais, mais pas uniquement : elles ont aussi interrogé Serge Bouchard sur le Nord. Il est question des Québécois «de souche», francophones comme anglophones, et des immigrants. Le reportage ratisse large, du choix de la langue d’expression par les chanteurs au Canada «postnational» de Justin Trudeau.
Certaines des affirmations du livre méritent discussion. L’influence amérindienne sur l’identité québécoise est-elle aussi profonde que les auteures le disent ? Les pages sur l’implication des pères de famille ne sont-elles pas un brin trop roses (couleur de circonstance) ? L’Oreille tendue serait ravie que «l’accès au savoir» soit le «socle de la société québécoise» (p. 29); elle est loin d’en être convaincue. Les auteures ont un point de vue, avec lequel on peut être en accord ou pas.
En revanche, quelques erreurs factuelles leur ont échappé. Le film l’Enfant martyre de la page 48 est la Petite Aurore, l’enfant martyre. Les créateurs seront aussi étonnés que les patrons de Bombardier de lire que «les arts et la culture au Québec sont certainement le secteur qui reçoit le plus de subventions» (p. 57). La phrase «l’arrivée par l’autoroute 20 et par Montréal-Nord» (p. 66) risque de laisser le lecteur désorienté. Fernand Dumont étant mort en 1997, il est peu plausible qu’il ait publié un livre avec Gérard Bouchard en 2011, comme l’affirme Akos Verboczy (p. 104). Le cours obligatoire Éthique et culture religieuse (et non le «cours d’éthique religieuse») n’a pas été créé à la recommandation de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, dite commission Bouchard-Taylor (p. 110).
Une relecture attentive, par quelqu’un d’informé, aurait permis d’attirer l’attention sur ce qui est neuf dans ce portrait des Québécois, plutôt que sur ses erreurs. Ce n’est pas elles qu’il faut retenir.
P.-S.—En haut de la page 56, il est certes question de sexe, mais de là à confondre «satirique» et «satyrique»… L’usage fréquent de «drastique» fera tiquer ceux qui chassent l’anglicisme.
P.-P.-S.—Les auteures semblent apprécier le Code Québec (2016); l’Oreille est moins sûre qu’elles.
Référence
Pivot, Laurence et Nathalie Schneider, les Québécois, Paris, Ateliers Henry Dougier, coll. «Lignes de vie d’un peuple», 2017, 143 p.