Henri Richard (1936-2020)

Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny, 1975, p. 44

«Maurice Richard était plus talentueux que Gordie Howe.
Henri Richard était plus talentueux que Maurice Richard.»
Michel-Wilbrod Bujold,
les Hockeyeurs assassinés

«Dans un sens, j’aurais mieux aimé ne pas être un Richard,
le frère de l’autre.»
Henri Richard, dans Louis Chantigny, Mes grands joueurs de hockey

«He was more like an uncle to me
Henri Richard, dans Michael A. Smith, Life after Hockey

Henri Richard a joué vingt saisons avec les Canadiens de Montréal — c’est du hockey. Il a établi un record dont on peut penser qu’il ne sera jamais égalé : à titre de joueur, il a remporté onze fois la Coupe Stanley, le championnat de la Ligue nationale de hockey. Pourtant, on le ramène souvent à un seul trait de son identité : il était le frère cadet de Maurice Richard, le plus célèbre joueur de la plus célèbre équipe de hockey. Il est vrai qu’il n’a pas eu la fortune socioculturelle de son aîné, mais n’était-il que cela, «le frère de l’autre» ?

Maurice étant «Le Rocket», son frère, plus petit et plus léger que lui, sera «Le Pocket Rocket». (Un troisième frère, Claude, a brièvement été surnommé «Le Vest Pocket Rocket», mais il ne fera pas carrière.) Avant même qu’Henri ne signe un contrat avec les Canadiens, son aîné (de quinze ans) a été son défenseur. Le 6 décembre 1952, dans sa chronique du journal Samedi-Dimanche, il critique vertement des amateurs de hockey de la ville de Québec, nommément ceux du quartier Saint-Sauveur, qu’il traite de «bandits», à cause du traitement qu’ils auraient réservé à Henri. L’affaire a des échos politiques. Le député provincial de Saint-Sauveur, Francis Boudreau, soulève la question au Parlement de Québec. Le conseil municipal de Québec demande une rétractation au journal. Richard persiste et signe, majuscules à l’appui, le 20 décembre :

Je ne rétracte rien de ce que j’ai dit il y a deux semaines sur certaines gangs de Québec, sauf le mot «bandit». Mon «Ghost-Writer» m’admet courageusement que c’est un de ses jurons favoris et qu’il l’emploie régulièrement quand il a des sautes d’humeur sans signifier pour cela que le «bandit» est un meurtrier ou un voleur de grand chemin.
TOUT CE QUI A ÉTÉ PUBLIÉ AUTREMENT, C’EST MOI QUI LE LUI AI DICTÉ […].

Par la suite, les Richard seront coéquipiers durant cinq saisons, de 1955-1956 à 1959-1960. Henri se défendra tout seul.

Dans le roman L’anglais n’est pas une langue magique de Jacques Poulin (2009), le narrateur, Francis, le frère du «vieux Jack», est lecteur professionnel. Il ne cesse de se décrire comme «un petit frère» (p. 34), ce qui est péjoratif chez lui, d’où son identification à Henri Richard :

D’après mon livre, Henri Richard était plus petit et plus léger que Maurice. Il ne parlait pas l’anglais et ne disait pas un mot dans le vestiaire. Mais, sur la patinoire, il était très rapide. Il avait son propre style : il marquait un grand nombre de buts en s’appuyant de tout son poids sur l’adversaire qui tentait de le mettre en échec. Ses succès me réchauffaient le cœur et, par moments, j’avais l’impression de grandir à travers lui (p. 35-36).

La réduction du cadet à son rôle de «petit frère» est beaucoup moins heureuse dans le livre pour la jeunesse Connais-tu Maurice Richard ?, de Johanne Ménard, où elle atteint un sommet de ridicule : «Fais-moi une passe ou je le dis à maman !» dit Henri à Maurice (p. 54).

C’est à Henri Richard qu’on attribue une confusion, largement citée, entre «l’aine» et «la laine». C’est à cela que pensaient (sans doute) Jean Dion dans le Devoir du 18 mars 2014 quand il parlait d’«une laine d’une flexibilité à faire peur» (p. B6) et (sûrement) Richard Garneau dans son roman (à clefs) Train de nuit pour la gloire ou 45 jours à la conquête de la coupe Stanley : «Répondant à une question de Jean-Maurice sur son état de santé, le centre Henri Rivard répondit qu’à part une blessure à la laine (sic), tout allait comme sur des roulettes» (p. 170).

Des prosateurs ont mis en scène des matchs bien précis du «Pocket Rocket». Pour le narrateur des Ponts de Jean-François Chassay (1995), c’est le dernier match de la saison 1970-1971, quand les Canadiens remportent la Coupe Stanley contre les Black Hawks de Chicago après que Richard eut dénigré publiquement son entraîneur, Al McNeil : «La troisième période restera dans les annales comme celle d’Henri Richard : deux buts» (p. 194). Pour le Samuel Archibald d’Arvida (2011), il s’agit d’un match de 1978 opposant «les Anciens Canadiens aux étoiles de la ligue commerciale d’Arvida» (p. 221) : Henri joue, Maurice arbitre; les choses ne se déroulent toutefois pas tout à fait comme prévu. C’est encore dans l’équipe des Anciens Canadiens que se retrouve Henri dans Une dangereuse patinoire (2002) de Roy MacGregor : «C’était bel et bien lui, les cheveux tout blancs, mais les yeux noirs toujours aussi perçants que sur la photo de sa carte de hockey» (p. 135). (En 2012, dans son Histoire du hockey, Philippe Cantin évoque le même match que Chassay : «Lors de cette belle soirée de printemps, dans un Stadium de Chicago transformé en fournaise, Henri Richard remporta son pari» [p. 370].» Jusqu’en 1986, les Backhawks étaient les Black Hawks.)

Interrogé par Michael A. Smith, Henri Richard dit qu’enfant il avait deux rêves, jouer au hockey et posséder une taverne (Life after Hockey, p. 114). Son rêve a été exaucé : de 1960 à 1986, il a été le propriétaire d’une taverne montréalaise, avenue du Parc. Pour le dramaturge Rick Salutin, en 1977, cela paraît avoir été positif sur le plan financier : «He is the prosperous owner of an excellent tavern» (les Canadiens, p. 156, didascalie). Pour J.R. Plante, deux ans plus tôt, dans une analyse (lourdement) idéologique des relations de travail dans le monde du hockey, elle est un des pôles d’une relation (lourdement) binaire :

Le Forum est cachottier et hypocrite. La taverne d’Henri est un lieu de cartes honnêtement mises sur la table, où les sentiments se révèlent à la lumière au lieu de se camoufler, où les gens disent franchement ce qu’ils pensent. La taverne est francophone. Le Forum est anglophone. Le Forum est le lieu du mépris et de l’humiliation. La taverne, celui de l’amitié et de la fraternité (p. 56).

L’Oreille tendue pourchasse depuis plusieurs années les représentations du sport dans la culture québécoise; celles-ci sont rarement très originales. S’agissant de l’ancien numéro 16 des Canadiens, on peut en signaler deux qui se démarquent.

En 1974, Anna McGarrigle a rendu «Hommage à Henri Richard» (2 minutes 13 secondes, disque 45 tours, étiquette PAC 4411 Pacha, paroles ici). L’homme a beau être un «petit bonhomme brave», il sera «bientôt canonisé». C’est à la fois un tavernier («Vous comptez trop et la bière est gratuite / Tavernier vous allez faire faillite») et un chevalier («Son épée est le cœur du Canadien»). Voilà des images neuves sur une figure connue. (Dans son livre intitulé Rocket Richard, Andy O’Brien évoque une chanson de 1960, «The Rocket, The Pocket and Boom», ce dernier étant Bernard «Boum-Boum» Geoffrion [p. 130-131]. Elle ne paraît pas avoir été enregistrée.)

Au milieu des années 1960, le personnage principal du long métrage de fiction Histoires d’hiver (1998, réalisation de François Bouvier, scénario «Inspiré du roman de Marc Robitaille [1987 et 2013], “Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey”»), Martin Roy, a douze ans. Il termine ses études primaires. C’est un fan d’Henri Richard. Au mur de sa chambre, il y a une couverture du magazine Sport revue, avec Richard, et d’autres affiches de joueurs. Il lui a écrit pour essayer d’obtenir des billets pour un match des Canadiens au Forum de Montréal, en prétendant être malade. Il est démasqué. Il ne recevra qu’une lettre de Richard, accompagnée d’une brochure sur l’art de jouer au hockey. Plus tard, il s’inspirera d’un article de magazine sur les frères Richard pour une de ses rédactions : au nom des joueurs de hockey, il substituera celui de Samuel de Champlain. Il sera louangé par sa maîtresse devant les autres élèves, qui avisera aussi ses parents d’une pareille réussite littéraire.

Qu’Henri Richard soit d’abord, pour les créateurs, comme pour les journalistes et pour les fans, un membre de la famille ne doit pas étonner. Au Québec, le hockey est un legs, un patrimoine, un héritage, transmis, familialement, d’une génération à l’autre.

P.-S.—On peut voir et entendre Henri Richard dans le film Un jeu si simple (Gilles Groulx, 1964) sur le site de l’Office national du film du Canada.

P.-P.-S.—La ville de Laval, en 2017, a inauguré un complexe sportivo-spectaculaire, la Place Bell. Henri Richard allait y être honoré, annonçait la Presse+ du 1er septembre 2017. Une somme de 75 000 $ avait été prévue pour une œuvre d’art public, rapportait le Devoir du 16 novembre 2017, qui évoquait ce «Lavallois d’adoption» (p. B7). C’est chose faite le 29 octobre 2018, avec l’inauguration de Henri Richard, un grand parmi les grands, de Louise Lemieux Bérubé : «L’œuvre est composée d’interprétations en tissage de photographies rappelant Henri Richard en tant qu’homme et joueur de hockey. Mme Lemieux Bérubé a retravaillé, recadré et converti en noir et blanc des photos d’archives, en plus de reprendre le poème inscrit sur le mur du vestiaire du Canadien de Montréal» (la Presse+, 30 octobre 2018).

 

Illustration : Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, Montréal, Éditions Mirabel, 1975, 48 p., p. 44.

 

[Ce texte reprend des analyses publiées dans les Yeux de Maurice Richard (2006).]

 

[Complément du 15 octobre 2020]

Hier, au micro d’Annie Desrochers à l’émission de radio le 15-18 de Radio-Canada, l’Oreille tendue a commenté un ouvrage récent, Henri Richard. La légende aux 11 coupes Stanley (2020), et réfléchi à la place du Pocket Rocket dans la culture québécoise.

 

Musicographie (par ordre chronologique)

Oswald, «Les sports», mars 1960, 2 minutes 6 secondes, disque 45 tours, étiquette Fleur de lys FL-194; repris dans le disque collectif 14 bonnes chansons jouals, années 1960, disque 33 tours, étiquette Reel 14 R-8.

Les Jérolas, «Le sport», 1967, 3 minutes 28 secondes, disque 45 tours, étiquette RCA Victor PCS-1165, composition de Jérôme Lemay.

Anna McGarrigle, «Hommage à Henri Richard», 1974, 2 minutes 13 secondes, disque 45 tours, étiquette PAC 4411 Pacha.

André Brazeau, «Ti-Guy», Pour toi et ton père, disque audionumérique, 2002, 2 minutes 52 secondes, étiquette Studio ABC.

Mes Aïeux, «Le fantôme du Forum», la Ligne orange, 2008, 5 minutes 35 secondes, disque audionumérique, étiquette Disques Victoire VIC23661.

Loco Locass, «Le but», 2009, 5 minutes 8 secondes. Repris sur Le Québec est mort, vive le Québec, 2012, étiquette Audiogramme.

 

Références

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p. Ill.

Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, Montréal, Éditions Mirabel, 1975, 48 p. Premier et unique épisode des «Enquêtes de Berri et Demontigny». Texte : Arsène. Dessin : Girerd. Bande dessinée.

Bujold, Michel-Wilbrod, les Hockeyeurs assassinés. Essai sur l’histoire du hockey 1870-2002, Montréal, Guérin, 1997, vi/150 p. Ill.

Cantin, Philippe, le Colisée contre le Forum. Mon histoire du hockey. Tome 1, Montréal, La Presse, 2012, 538 p. Ill.

Chantigny, Louis, «Henri Richard», dans Mes grands joueurs de hockey, Montréal, Leméac, coll. «Éducation physique et loisirs», 1974, p. 81-94.

Chassay, Jean-François, les Ponts. Histoire d’une famille, Montréal, Leméac, 1995, 259 p.

Dion, Jean, «Dans la tête», le Devoir, 18 mars 2014.

Garneau, Richard, Train de nuit pour la gloire ou 45 jours à la conquête de la coupe Stanley. Roman, Montréal, Stanké, 1995, 239 p.

MacGregor, Roy, Une dangereuse patinoire, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 7, 2002, 151 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 1998.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Ménard, Johanne, Connais-tu Maurice Richard ?, Waterloo (Québec), Éditions Michel Quintin, coll. «Connais-tu ?», 5, 2010, 63 p. Illustrations et bulles de Pierre Berthiaume.

O’Brien, Andy, Rocket Richard, Toronto, The Ryerson Press, 1961, x/134 p. Ill.

Plante, J.R., «Crime et châtiment au Forum (Un mythe à l’œuvre et à l’épreuve)», Stratégie, 10, hiver 1975, p. 41-65.

Poulin, Jacques, L’anglais n’est pas une langue magique. Roman, Montréal, Leméac/Actes Sud, 2009, 155 p.

Richard, Denis, en collaboration avec Léandre Normand, Henri Richard. La légende aux 11 coupes Stanley, Montréal, Éditions de l’Homme, 2020, 234 p. Ill. Préface de Ronald Corey. Avant-propos de Léandre Normand.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey. Récit, Montréal, VLB éditeur, 1987, 142 p. Ill.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.

Salutin, Rick, avec la collaboration de Ken Dryden, les Canadiens, Vancouver, Talonbooks, 1977, 186 p. Ill.

Smith, Michael A., «Henri Richard», dans Life after Hockey. When the Lights are Dimmed, St. Paul (MN), Codner Books, 1987, p. 109-116.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

La vie d’un film

Noah Isenberg, We’ll Always Have Casablanca, 2017, couverture

«How many times can you see it ?
Never enough.
»
Nora Ephron, 2012

L’Oreille tendue a trois aveux à faire. Elle n’aime pas les biographies. Elle a vu le film Casablanca au moins vingt fois (elle en a même dit un mot ici, , là encore). Elle a fort apprécié la biographie de ce film que vient de publier Noah Isenberg, We’ll Always Have Casablanca (2017). Ce titre est une allusion à une des répliques les plus connues du film, «We’ll always have Paris

Depuis la sortie du long métrage de Michael Curtiz en 1942, ce ne sont ni les analyses ni les témoignages qui manquent. Casablanca a été décortiqué des centaines de fois. Parmi ses fans, il y a Umberto Eco, Woody Allen, Rainer Werner Fassbinder, Marc Augé, Robert Coover. Qu’apporte Noah Isenberg à ces tributs ?

Son travail relève moins de l’analyse proprement cinématographique que de l’histoire culturelle. Comment le film est-il né ? Comment a-t-il survécu à la censure ? Comment a-t-il été reçu ? Comment continue-t-il de l’être ? Comment l’interpréter ? Isenberg est particulièrement habile à marier les anecdotes significatives (et souvent connues) et la mise au jour d’aspects jusque-là méconnus.

(Vous ne connaissez pas l’intrigue du film ? Harry Reasoner, du magazine télévisuel 60 Minutes, proposait ce résumé en 1981 : «Boy meets girl. Boy loses girl. Boy gets girl back again. Boy gives up girl for humanity’s sake» [cité p. 231]. Humphrey Bogart [Richard Blaine] rencontre Ingrid Bergman [Ilsa Lund] à Paris. Elle le quitte. Ils se retrouvent au Maroc. Il la laisse, car l’humanité a besoin de son mari, Victor Laszlo [Paul Heinreid].)

À chacun son anecdote favorite. Dooley Wilson (Sam) ne savait pas jouer du piano : «As Time Goes By», c’est lui à la voix, mais pas à l’instrument. Depuis la mort de Madeleine Lebeau (Yvonne) au printemps de 2016, plus aucun comédien d’importance du film ne serait toujours en vie.

Parmi les choses que le livre fait ressortir, une est particulièrement intéressante : Casablanca, qui parle de réfugiés, a été fait par des réfugiés, chassés d’Europe par la Deuxième Guerre mondiale. Le quatrième chapitre, «Such much ?», retrace le parcours de ces exilés qui ont fait un des films états-uniens les plus célèbres de l’histoire.

Noah Isenberg a ratissé large. Il a lu des masses de choses, il a dépouillé des archives, il a mené des entrevues. Il est sensible à la fortune de Casablanca au cinéma, bien sûr, mais aussi en littérature, au théâtre, à la télévision (The Simpsons), dans Internet, dans la presse. (Il a dû se réjouir de certaine caricature parue dans The New Yorker la semaine dernière.) Il a le sens du rapprochement — la sénatrice démocrate Elizabeth Warren a terminé l’année 2015 en regardant le film, comme l’avait fait le président Franklin Delano Roosevelt en 1942 (p. 273) — et il sait ménager ses effets — le livre est parsemé d’allusions fines à l’interprétation de «La Marseillaise» par Madeleine Lebeau (qui a vu le film se souvient de cette scène). C’est un ouvrage savant (par sa recherche et par ses pistes d’interprétation) destiné à un large public (par son écriture).

De la bien belle ouvrage.

P.-S.—Faisons, un tout petit peu, la fine bouche. Tous les artisans du films (scénaristes, acteurs, producteurs) ont droit à un portrait détaillé, pas le réalisateur, Michael Curtiz. Isenberg revient à plusieurs reprises sur la question de l’isolationnisme, celui des États-Unis au début de la Deuxième Guerre mondiale et celui de quelques personnages du film, mais il ne cite jamais la phrase la plus emblématique à cet égard, que prononce Sidney Greenstreet (Signor Ferrari) : «My dear Rick, when will you realize that in this world, today, isolationism is no longer a practical policy ?» En 1955-1956, la Warner a produit une série de téléfilms intitulés Casablanca : mais qui donc jouait Ilsa Lund (p. 208) ? La dimension «homoérotique» des rapports entre Bogart et Claude Rains (le capitaine Louis Renault) avait échappé à l’Oreille (p. 175); peut-être est-elle un peu dure de la feuille.

P.-P.-S.—On aurait envisagé de faire jouer Ella Fitzgerald dans le film, à la place de Dooley Wilson (p. 72). C’aurait été trop pour l’Oreille.

 

Référence

Isenberg, Noah, We’ll Always Have Casablanca. The Life, Legend, and Afterlife of Hollywood’s Most Beloved Movie, New York et Londres, W.W. Norton & Company, 2017, xvi/334 p. Ill.

Le zeugme du dimanche matin et de Noah Isenberg

Noah Isenberg, We’ll Always Have Casablanca, 2017, couverture

Au sujet du film Passage to Marseille (1944), avec Humphrey Bogart dans le rôle de Jean Matrac : «In an elaborate yarn told as a flashback within a flashback, the rugged outcast Matrac, bearing a standard-issue scruffy beard, world-weary eyes, and a hidden tender heart, mounts a dramatic prison break from a French penal colony — a thinly veiled Hollywood allegory of a Nazi concentration camp — enabling his fellow inmates to return to the valiant fight for France

Noah Isenberg, We’ll Always Have Casablanca. The Life, Legend, and Afterlife of Hollywood’s Most Beloved Movie, New York et Londres, W.W. Norton & Company, 2017, xvi/334 p., p. 205.

 

[Complément du 6 juin 2017]

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 6 juin 2017.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Le zeugme du dimanche matin et de Georges Privet

Denys Arcand «avait tâché — avec un positivisme forcé, qui frôle le déni volontaire — de traquer le “beau” dans ce qu’il a de plus artificiel : les intrigues sans fièvre de jeunes sans âme, filmés comme des dieux dans un Charlevoix aux airs d’Olympe, admirant le fleuve et leur nombril dans des maisons plus intéressantes qu’eux».

Georges Privet, «Réflexions d’été (part two)», l’Inconvénient, 66, automne 2016, p. 56-58, p. 57. https://id.erudit.org/iderudit/83771ac

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Mémoires du hockey

Jennifer Anderson et Jenny Ellison, Hockey, 2017, couverture

Le Musée canadien de l’histoire, le ci-devant Musée canadien des civilisations, jusqu’à ce que le gouvernement de Stephen Harper s’en mêle, en partenariat avec Pointe-à-Callière, cité d’archéologie et d’histoire de Montréal, présente jusqu’au 9 octobre 2017 l’exposition «Hockey».

Fils cadet à la traîne, l’Oreille tendue a mené un périple jusqu’à Gatineau pour la voir.

Vocation du Musée canadien de l’histoire oblige, la perspective est historique et nationale : on y couvre le hockey from coast to coast, de ses origines à aujourd’hui (une vitrine contient des articles de journaux du jour). Il est question de la naissance du hockey, sans que soient pris en compte, toutefois, les travaux les plus récents sur la question, ceux de Gidén, Houda et Martel (voir ici). On ne fait aucune découverte majeure sur un des deux sports nationaux du Canada, l’autre étant, comme chacun le sait, la crosse, mais toutes les facettes du sport sont abordées.

L’exposition, qui se visite en une heure, donne à voir des objets liés à l’histoire du hockey : patins, bâtons, rondelles, chandails, masques de gardien, jambières, trophées. Le hockey féminin est très bien mis en valeur, non pas dans des sections à part, mais sur le même pied que le hockey pratiqué par les hommes : le bâton de Manon Rhéaume se trouve à côté de celui de Ken Dryden. Des pratiques périphériques (le hockey sur luge, les équipes militaires ou religieuses, le sport chez les Premières nations et les immigrants) sont prises en compte.

Beaucoup des artefacts concernent Maurice Richard, ce qui n’est pas étonnant. Quand la famille du célèbre joueur des Canadiens de Montréal a mis en vente sa collection de souvenirs, c’est le Musée canadien des civilisations qui a acquis les pièces les plus «historiques». (L’Oreille raconte cela dans l’ouvrage qu’elle a consacré au Rocket, les Yeux de Maurice Richard.)

On honore les grands joueurs (Howie Morenz, Jacques Plante, Guy Lafleur, Wayne Gretzky, Hayley Wickenheiser, Sidney Crosby, Carey Price) aussi bien que des entraîneurs (Pat Burns, Jacques Demers — pourquoi ces deux-là ? Mystère) et des commentateurs (Foster Hewitt, René Lecavalier). Gatineau est voisine d’Ottawa : Jean-Gabriel Pageau est né dans cette ville et il joue pour son équipe, les Sénateurs; il a droit à sa place dans l’exposition, lui qui n’est pas une vedette, loin de là.

On a été sensible aux arts (entendons le mot au sens large) : chansons, films, livres, bandes dessinées, caricatures, peintures, jeux de société, matériel publicitaire, médailles, cartes de joueurs, sculptures, photographies. Des images d’archives sont présentées sur grand écran, au-dessus d’une patinoire en bois : le 500e but de Maurice Richard, le célèbre but de Bobby Orr du 10 mai 1970, un hymne national entonné par Ginette Reno, le but final de Paul Henderson durant la «Série du siècle», contre les Soviétiques, en 1972, etc. On peut entendre des annonceurs (radio, télé) du passé, voire le devenir soi-même, sur place. Les deux langues officielles sont évidemment traitées avec un importance égale.

Les anecdotes pullulent. Il est rappelé aux visiteurs que la rondelle de hockey, d’ordinaire faite de caoutchouc galvanisé, peut être remplacée par du «fumier gelé». Aucune réponse n’est cependant apportée à la question «Est-ce que le but était bon ?» (Le 28 avril 1987, Alain Côté, des Nordiques de Québec, dirigea une rondelle vers Brian Hayward, des Canadiens de Montréal. Le but fut refusé par l’arbitre Kerry Fraser. On en parle encore aujourd’hui.)

Comme c’est si souvent le cas en matière de culture populaire, les collectionneurs privés possèdent souvent des trésors absents des établissement officiels. «Hockey» a ainsi puisé dans la collection de Mike Wilson, le «plus grand amateur des Maple Leafs [de Toronto] qui soit» (tous les goûts sont dans la nature).

Le Canada est-il «le pays de prédilection du hockey» (catalogue, p. 10) ? Les concepteurs de l’exposition le croient et ne se gênent pas pour le dire.

 

[Complément du 30 avril 2017]

Un jour, tu écris que Jean-Gabriel Pageau «n’est pas une vedette, loin de là». Le lendemain, dans un match des séries éliminatoires, il marque quatre buts contre les Rangers de New York, dont le but vainqueur, au début de la seconde période de prolongation.

 

Références

Anderson, Jennifer et Jenny Ellison, Hockey, Gatineau, Musée canadien de l’histoire, coll. «Catalogue-souvenir», 18, 2017, 119 p. Ill. Préface de Jean-Marc Blais. Catalogue d’exposition. Existe aussi en anglais.

Gidén, Carl, Patrick Houda et Jean-Patrice Martel, On the Origin of Hockey, Stockholm et Chambly, Hockey Origin Publishing, 2014, xv/269 p. Ill.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture