Le fatal et le fortuit

Jean-Philippe Toussaint, Made in China, 2017, couverture

«si on veut que la réalité chatoie,
il faut bien la romancer un peu»

Les lecteurs de Nue, le roman que publiait Jean-Philippe Toussaint en 2013, se souviennent de sa scène d’ouverture : une mannequin, portant une robe en miel, est suivie d’un essaim d’abeilles, puis le scénario capote.

En 2014, Toussaint se rend en Chine pour tourner, avec son ami et éditeur Chen Tong, un court métrage reprenant cette scène. The Honey Dress est diffusé en 2015. (On peut voir le film ici.)

Made in China, qui a paru il y a quelques semaines, raconte, entre autres choses, le tournage du film : la nécessité de travailler avec des interprètes, le choix d’un décor, l’embauche d’un apiculteur et d’une actrice principale, les répétitions et, avec un réel humour, la confection ou la recherche des accessoires (crinoline, miel, abeilles vivantes et mortes, string). Chen Tong, qui n’en est pas à son premier film avec Toussaint, ne manque pas de ressources :

Chen Tong était rompu maintenant à l’art délicat de satisfaire à mes exigences les plus insolites quand je venais tourner un film en Chine. Il m’avait déjà déniché une voiture de police, une moto, un hors-bord, un cheval et un Boeing (alors, un apiculteur, vous pensez) (p. 139).

Toussaint évoque souvent, dans la première des deux parties du livre, leurs multiples collaborations, lui qui en est à son septième voyage en Chine quand il y débarque en novembre 2014 (p. 44).

Tissé à ce journal de tournage, pendant lequel l’auteur a tenu des carnets (p. 120), un double art romanesque (comme on dit «art poétique») se donne à lire.

Il y a plusieurs passages sur le livre en train de se faire, ce Made in China qui désigne à la fois le film réalisé en Chine et le texte que le lecteur tient entre ses mains. Toussaint avait commencé, avant de partir à Guangzhou, la rédaction d’un «essai littéraire», le Fatal et le Fortuit (p. 123). Il en reprend la matière, mais sous une forme imprévue :

N’avais-je pas intérêt, romancier que je suis, à enrober les réflexions théoriques que je voulais exprimer sur le hasard de la substance sensuelle de la vie même ? Il est sans doute illusoire de vouloir extraire un seul élément de l’écheveau des causes enchevêtrées qui président à l’origine d’un livre. Comment, en effet, retrouver la figure initiale, l’image ou l’idée première qui a amorcé l’écriture d’un livre derrière les multiples couches de sédiments, les dépôts successifs, l’accumulation de mots et de variantes, de renoncements et de retours en arrière, d’idées, d’ébauches, de scènes entrevues et abandonnées, de chatoiements de couleurs et d’émotions qui se sont amoncelés et mélangés tout au long des mois de maturation et d’écriture, mais l’intuition première, l’étincelle initiale qui est à l’origine de Made in China, je l’ai eue dans la voiture qui me menait à la Foire de Canton en ce jour de novembre 2014 (p. 124).

Une «lueur de fiction» (p. 114) se mêle au «quotidien réel» (p. 121) : «Car même si c’est le réel que je romance, il est indéniable que je romance» (p. 114). Dès lors, il est difficile de définir Made in China. Autofiction ? Roman ? Fiction ? Récit ?

Mais ce n’est pas uniquement à l’écriture de ce livre que réfléchit Toussaint; un long développement porte sur la nature même du geste d’écrire chez lui (p. 70-84), voire sur toute création artistique. Comment celle-ci fait-elle vaciller «l’ordre du réel» (p. 70) ? Peut-elle isoler des «bruits extérieurs du monde» (p. 73) ? De quelle façon fait-elle résonner entre elles plusieurs temporalités ? Que choisir dans la «dualité inhérente à la création — ce qu’on contrôle, ce qui échappe» (p. 80) ? Faut-il choisir ?

«Je suis chez moi, dans ce livre […]», écrit Toussaint (p. 150). C’est incontestable, mais il n’y est pas seul.

P.-S.—«De casuistes nuances avaient surgis» (p. 175) : ce «s» à «surgis» fait mal à lire.

 

Références

Toussaint, Jean-Philippe, Nue. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2013, 169 p.

Toussaint, Jean-Philippe, Made in China, Paris, Éditions de Minuit, 2017, 187 p.

Proposition de moratoire du lundi matin

En littérature : «La narration est confiée au chroniqueur anonyme d’une horde d’humains nomades errant sur une terre ravagée par une guerre ou un cataclysme, ici nommé le Grand Fracas, dispositif littéraire très en vogue depuis la Route, de Cormac McCarthy» (le Monde, 4 novembre 2016, cahier Livres, p. 8).

En vidéo : «Le dispositif technique déployé pour permettre ces nombreuses projections selon la volonté des spectateurs est impressionnant» (la Presse+, 21 mai 2016).

En architecture : «Ce dispositif architectural unifie l’ensemble des constructions disposées de part et d’autre, tout en jouant un rôle décisif dans la conception bioclimatique du projet» (le Moniteur des travaux publics et du bâtiment, 5911, 3 mars 2017, p. 49).

En théâtre : «Ce sont deux versions complémentaires et très différentes de la même œuvre qui sont proposées : l’une, festive, participative et décomplexée, pulvérise la frontière entre la scène et la salle; l’autre, plus intime, poétique et introspective, donne accès aux coulisses, à des moments privilégiés et des angles de vue exclusifs. Et dans ce dispositif étonnant de finesse, d’invention et d’efficacité, ce sont trois actrices incandescentes, qui, selon le cas, brûlent les planches ou crèvent l’écran» (Carrefour international de théâtre de Québec, 2017).

En art : «Cette perte d’échelle détermine son dispositif artistique» (la Croix, 17 août 2017, p. 13).

En photographie : «Mon dispositif photographique était aussi plus simple, moins sensationnel […]» (Libération, 24 mars 2017).

En roman : «Le prix Renaudot a couronné Babylone (Flammarion), de Yasmina Reza, noir dispositif romanesque […]» (l’Humanité, 4 novembre 2016).

En créativité :

En opéra : «Le dispositif et les costumes de Giuseppe Grazioli sont très classiques, mais particulièrement cultivés, soignés et raffinés, avec des éclairages latéraux étudiés faisant naître de judicieuses ambiances, tels les ombres portées de l’acte II ou le lever du jour pastel de l’acte III» (le Devoir, 18 septembre 2017, p. B7).

En art religieux : «Comme dispositif immersif, le Cyclorama de Sainte-Anne est l’ancêtre des théâtres IMAX, du dôme de la Société des arts technologiques, des films 3D et des casques de réalité virtuelle. Il est le témoin historique d’une expertise québécoise et canadienne dans le domaine» (le Devoir, 3 août 2017, p. A7).

En cinéma : «Plus près d’un téléthéâtre filmé que d’un film de cinéma, ce road movie politique se révèle bientôt lourd, rigide et artificiel. Le dispositif créé par Bateman est totalement superflu […]» (le Devoir, 7 juillet 2017, p. B2).

En humour : «Julien Tremblay a fait son entrée comme une rock star, proposant une scénographie intéressante avec un dispositif d’éclairage digne d’un concert» (la Presse+, 19 novembre 2016).

Peut-être le temps est-il venu de se méfier du dispositif, ne serait-ce que pour décrire les pratiques artistiques.

Anniversaire sportif du jour

Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, 1975, détail de la couverture

Tout le monde le sait : Guy Lafleur — c’est du hockey — est né un 20 septembre, en 1951.

L’Oreille tendue, une fan de longue date, a beaucoup écrit sur lui. Vous voulez savoir quoi ?

Quel était son statut au moment de son dernier match professionnel ?

Quelle est sa place dans la culture québécoise ?

A-t-il son timbre ?

Qu’est-ce qui le distingue de Maurice Richard et de Jean Béliveau ?

Est-il un gourou ?

A-t-on raconté sa vie aux enfants ?

Apparaît-il dans des bandes dessinées en français ?

Apparaît-il dans des bandes dessinées en anglais ?

Les poètes l’ont-ils chanté ? Oui : ici, , et encore là.

Un court métrage d’animation où il est considéré comme un fantôme, ça existe ?

A-t-il droit à son propre couloir aérien ?

Oscar Thiffault l’a-t-il chanté ?

Que lit-il ?

Surtout : est-il psychotronique ?

À votre service.

 

[Complément du 15 octobre 2020]

Toujours à votre service…

Ken Dryden aurait-il dû parler de lui plus qu’il ne l’a fait dans son livre sur Scotty Bowman ?

Apparaît-il dans le recueil de poèmes Poetry Face Off. Poésie des séries ?

Entend-on son nom dans le spectacle théâtral Playing with Fire. The Theo Fleury Story ?

 

[Complément du 24 avril 2022]

Guy Lafleur est mort le 22 avril. L’Oreille tendue a beaucoup commenté son importance, surtout médiatique et culturelle, dans la culture québécoise.

En écrivant un texte pour la Presse+.

En répondant aux questions de Simon Chabot pour le même journal, à celles de Jean-François Nadeau pour le Devoir et à celles d’Antoine Robitaille pour le Journal de Montréal et le Journal de Québec.

En répondant aux invitations de Radio-Canada, tant pour la radio (le 15-18) que pour la télévision (le Téléjournal 22 h).

En tournant une vidéo pour le Devoir.

 

 

[Complément du 25 avril 2022]

Il a aussi été question de Guy Lafleur et de sa place dans la culture populaire avec Jean-Christophe Laurence et avec André Duchesne, les deux de la Presse+.

 

[Complément du 28 avril 2022]

Pourquoi s’arrêter en aussi bon chemin ? Passons par la radio de Radio-Canada et par le 91,9 Sports.

 

[Complément du 5 mai 2022]

Encore un coup, à la télévision, pour répondre aux questions d’Anne-Marie Dussault.

 

Illustration : Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, Montréal, Éditions Mirabel, 1975, 48 p. Bande dessinée. Premier et unique épisode des «Enquêtes de Berri et Demontigny». Texte : Arsène. Dessin : Girerd. Détail de la couverture.

Henri Richard (1936-2020)

Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny, 1975, p. 44

«Maurice Richard était plus talentueux que Gordie Howe.
Henri Richard était plus talentueux que Maurice Richard.»
Michel-Wilbrod Bujold,
les Hockeyeurs assassinés

«Dans un sens, j’aurais mieux aimé ne pas être un Richard,
le frère de l’autre.»
Henri Richard, dans Louis Chantigny, Mes grands joueurs de hockey

«He was more like an uncle to me
Henri Richard, dans Michael A. Smith, Life after Hockey

Henri Richard a joué vingt saisons avec les Canadiens de Montréal — c’est du hockey. Il a établi un record dont on peut penser qu’il ne sera jamais égalé : à titre de joueur, il a remporté onze fois la Coupe Stanley, le championnat de la Ligue nationale de hockey. Pourtant, on le ramène souvent à un seul trait de son identité : il était le frère cadet de Maurice Richard, le plus célèbre joueur de la plus célèbre équipe de hockey. Il est vrai qu’il n’a pas eu la fortune socioculturelle de son aîné, mais n’était-il que cela, «le frère de l’autre» ?

Maurice étant «Le Rocket», son frère, plus petit et plus léger que lui, sera «Le Pocket Rocket». (Un troisième frère, Claude, a brièvement été surnommé «Le Vest Pocket Rocket», mais il ne fera pas carrière.) Avant même qu’Henri ne signe un contrat avec les Canadiens, son aîné (de quinze ans) a été son défenseur. Le 6 décembre 1952, dans sa chronique du journal Samedi-Dimanche, il critique vertement des amateurs de hockey de la ville de Québec, nommément ceux du quartier Saint-Sauveur, qu’il traite de «bandits», à cause du traitement qu’ils auraient réservé à Henri. L’affaire a des échos politiques. Le député provincial de Saint-Sauveur, Francis Boudreau, soulève la question au Parlement de Québec. Le conseil municipal de Québec demande une rétractation au journal. Richard persiste et signe, majuscules à l’appui, le 20 décembre :

Je ne rétracte rien de ce que j’ai dit il y a deux semaines sur certaines gangs de Québec, sauf le mot «bandit». Mon «Ghost-Writer» m’admet courageusement que c’est un de ses jurons favoris et qu’il l’emploie régulièrement quand il a des sautes d’humeur sans signifier pour cela que le «bandit» est un meurtrier ou un voleur de grand chemin.
TOUT CE QUI A ÉTÉ PUBLIÉ AUTREMENT, C’EST MOI QUI LE LUI AI DICTÉ […].

Par la suite, les Richard seront coéquipiers durant cinq saisons, de 1955-1956 à 1959-1960. Henri se défendra tout seul.

Dans le roman L’anglais n’est pas une langue magique de Jacques Poulin (2009), le narrateur, Francis, le frère du «vieux Jack», est lecteur professionnel. Il ne cesse de se décrire comme «un petit frère» (p. 34), ce qui est péjoratif chez lui, d’où son identification à Henri Richard :

D’après mon livre, Henri Richard était plus petit et plus léger que Maurice. Il ne parlait pas l’anglais et ne disait pas un mot dans le vestiaire. Mais, sur la patinoire, il était très rapide. Il avait son propre style : il marquait un grand nombre de buts en s’appuyant de tout son poids sur l’adversaire qui tentait de le mettre en échec. Ses succès me réchauffaient le cœur et, par moments, j’avais l’impression de grandir à travers lui (p. 35-36).

La réduction du cadet à son rôle de «petit frère» est beaucoup moins heureuse dans le livre pour la jeunesse Connais-tu Maurice Richard ?, de Johanne Ménard, où elle atteint un sommet de ridicule : «Fais-moi une passe ou je le dis à maman !» dit Henri à Maurice (p. 54).

C’est à Henri Richard qu’on attribue une confusion, largement citée, entre «l’aine» et «la laine». C’est à cela que pensaient (sans doute) Jean Dion dans le Devoir du 18 mars 2014 quand il parlait d’«une laine d’une flexibilité à faire peur» (p. B6) et (sûrement) Richard Garneau dans son roman (à clefs) Train de nuit pour la gloire ou 45 jours à la conquête de la coupe Stanley : «Répondant à une question de Jean-Maurice sur son état de santé, le centre Henri Rivard répondit qu’à part une blessure à la laine (sic), tout allait comme sur des roulettes» (p. 170).

Des prosateurs ont mis en scène des matchs bien précis du «Pocket Rocket». Pour le narrateur des Ponts de Jean-François Chassay (1995), c’est le dernier match de la saison 1970-1971, quand les Canadiens remportent la Coupe Stanley contre les Black Hawks de Chicago après que Richard eut dénigré publiquement son entraîneur, Al McNeil : «La troisième période restera dans les annales comme celle d’Henri Richard : deux buts» (p. 194). Pour le Samuel Archibald d’Arvida (2011), il s’agit d’un match de 1978 opposant «les Anciens Canadiens aux étoiles de la ligue commerciale d’Arvida» (p. 221) : Henri joue, Maurice arbitre; les choses ne se déroulent toutefois pas tout à fait comme prévu. C’est encore dans l’équipe des Anciens Canadiens que se retrouve Henri dans Une dangereuse patinoire (2002) de Roy MacGregor : «C’était bel et bien lui, les cheveux tout blancs, mais les yeux noirs toujours aussi perçants que sur la photo de sa carte de hockey» (p. 135). (En 2012, dans son Histoire du hockey, Philippe Cantin évoque le même match que Chassay : «Lors de cette belle soirée de printemps, dans un Stadium de Chicago transformé en fournaise, Henri Richard remporta son pari» [p. 370].» Jusqu’en 1986, les Blackhawks étaient les Black Hawks.)

Interrogé par Michael A. Smith, Henri Richard dit qu’enfant il avait deux rêves, jouer au hockey et posséder une taverne (Life after Hockey, p. 114). Son rêve a été exaucé : de 1960 à 1986, il a été le propriétaire d’une taverne montréalaise, avenue du Parc. Pour le dramaturge Rick Salutin, en 1977, cela paraît avoir été positif sur le plan financier : «He is the prosperous owner of an excellent tavern» (les Canadiens, p. 156, didascalie). Pour J.R. Plante, deux ans plus tôt, dans une analyse (lourdement) idéologique des relations de travail dans le monde du hockey, elle est un des pôles d’une relation (lourdement) binaire :

Le Forum est cachottier et hypocrite. La taverne d’Henri est un lieu de cartes honnêtement mises sur la table, où les sentiments se révèlent à la lumière au lieu de se camoufler, où les gens disent franchement ce qu’ils pensent. La taverne est francophone. Le Forum est anglophone. Le Forum est le lieu du mépris et de l’humiliation. La taverne, celui de l’amitié et de la fraternité (p. 56).

L’Oreille tendue pourchasse depuis plusieurs années les représentations du sport dans la culture québécoise; celles-ci sont rarement très originales. S’agissant de l’ancien numéro 16 des Canadiens, on peut en signaler deux qui se démarquent.

En 1974, Anna McGarrigle a rendu «Hommage à Henri Richard» (2 minutes 13 secondes, disque 45 tours, étiquette PAC 4411 Pacha, paroles ici). L’homme a beau être un «petit bonhomme brave», il sera «bientôt canonisé». C’est à la fois un tavernier («Vous comptez trop et la bière est gratuite / Tavernier vous allez faire faillite») et un chevalier («Son épée est le cœur du Canadien»). Voilà des images neuves sur une figure connue. (Dans son livre intitulé Rocket Richard, Andy O’Brien évoque une chanson de 1960, «The Rocket, The Pocket and Boom», ce dernier étant Bernard «Boum-Boum» Geoffrion [p. 130-131]. Elle ne paraît pas avoir été enregistrée.)

Au milieu des années 1960, le personnage principal du long métrage de fiction Histoires d’hiver (1998, réalisation de François Bouvier, scénario «Inspiré du roman de Marc Robitaille [1987 et 2013], “Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey”»), Martin Roy, a douze ans. Il termine ses études primaires. C’est un fan d’Henri Richard. Au mur de sa chambre, il y a une couverture du magazine Sport revue, avec Richard, et d’autres affiches de joueurs. Il lui a écrit pour essayer d’obtenir des billets pour un match des Canadiens au Forum de Montréal, en prétendant être malade. Il est démasqué. Il ne recevra qu’une lettre de Richard, accompagnée d’une brochure sur l’art de jouer au hockey. Plus tard, il s’inspirera d’un article de magazine sur les frères Richard pour une de ses rédactions : au nom des joueurs de hockey, il substituera celui de Samuel de Champlain. Il sera louangé par sa maîtresse devant les autres élèves, qui avisera aussi ses parents d’une pareille réussite littéraire.

Qu’Henri Richard soit d’abord, pour les créateurs, comme pour les journalistes et pour les fans, un membre de la famille ne doit pas étonner. Au Québec, le hockey est un legs, un patrimoine, un héritage, transmis, familialement, d’une génération à l’autre.

P.-S.—On peut voir et entendre Henri Richard dans le film Un jeu si simple (Gilles Groulx, 1964) sur le site de l’Office national du film du Canada.

P.-P.-S.—La ville de Laval, en 2017, a inauguré un complexe sportivo-spectaculaire, la Place Bell. Henri Richard allait y être honoré, annonçait la Presse+ du 1er septembre 2017. Une somme de 75 000 $ avait été prévue pour une œuvre d’art public, rapportait le Devoir du 16 novembre 2017, qui évoquait ce «Lavallois d’adoption» (p. B7). C’est chose faite le 29 octobre 2018, avec l’inauguration de Henri Richard, un grand parmi les grands, de Louise Lemieux Bérubé : «L’œuvre est composée d’interprétations en tissage de photographies rappelant Henri Richard en tant qu’homme et joueur de hockey. Mme Lemieux Bérubé a retravaillé, recadré et converti en noir et blanc des photos d’archives, en plus de reprendre le poème inscrit sur le mur du vestiaire du Canadien de Montréal» (la Presse+, 30 octobre 2018).

 

Illustration : Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, Montréal, Éditions Mirabel, 1975, 48 p., p. 44.

 

[Ce texte reprend des analyses publiées dans les Yeux de Maurice Richard (2006).]

 

[Complément du 15 octobre 2020]

Hier, au micro d’Annie Desrochers à l’émission de radio le 15-18 de Radio-Canada, l’Oreille tendue a commenté un ouvrage récent, Henri Richard. La légende aux 11 coupes Stanley (2020), et réfléchi à la place du Pocket Rocket dans la culture québécoise.

 

Musicographie (par ordre chronologique)

Oswald, «Les sports», mars 1960, 2 minutes 6 secondes, disque 45 tours, étiquette Fleur de lys FL-194; repris dans le disque collectif 14 bonnes chansons jouals, années 1960, disque 33 tours, étiquette Reel 14 R-8.

Les Jérolas, «Le sport», 1967, 3 minutes 28 secondes, disque 45 tours, étiquette RCA Victor PCS-1165, composition de Jérôme Lemay.

Anna McGarrigle, «Hommage à Henri Richard», 1974, 2 minutes 13 secondes, disque 45 tours, étiquette PAC 4411 Pacha.

André Brazeau, «Ti-Guy», Pour toi et ton père, disque audionumérique, 2002, 2 minutes 52 secondes, étiquette Studio ABC.

Mes Aïeux, «Le fantôme du Forum», la Ligne orange, 2008, 5 minutes 35 secondes, disque audionumérique, étiquette Disques Victoire VIC23661.

Loco Locass, «Le but», 2009, 5 minutes 8 secondes. Repris sur Le Québec est mort, vive le Québec, 2012, étiquette Audiogramme.

 

Références

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p. Ill.

Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, Montréal, Éditions Mirabel, 1975, 48 p. Premier et unique épisode des «Enquêtes de Berri et Demontigny». Texte : Arsène. Dessin : Girerd. Bande dessinée.

Bujold, Michel-Wilbrod, les Hockeyeurs assassinés. Essai sur l’histoire du hockey 1870-2002, Montréal, Guérin, 1997, vi/150 p. Ill.

Cantin, Philippe, le Colisée contre le Forum. Mon histoire du hockey. Tome 1, Montréal, La Presse, 2012, 538 p. Ill.

Chantigny, Louis, «Henri Richard», dans Mes grands joueurs de hockey, Montréal, Leméac, coll. «Éducation physique et loisirs», 1974, p. 81-94.

Chassay, Jean-François, les Ponts. Histoire d’une famille, Montréal, Leméac, 1995, 259 p.

Dion, Jean, «Dans la tête», le Devoir, 18 mars 2014.

Garneau, Richard, Train de nuit pour la gloire ou 45 jours à la conquête de la coupe Stanley. Roman, Montréal, Stanké, 1995, 239 p.

MacGregor, Roy, Une dangereuse patinoire, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 7, 2002, 151 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 1998.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Ménard, Johanne, Connais-tu Maurice Richard ?, Waterloo (Québec), Éditions Michel Quintin, coll. «Connais-tu ?», 5, 2010, 63 p. Illustrations et bulles de Pierre Berthiaume.

O’Brien, Andy, Rocket Richard, Toronto, The Ryerson Press, 1961, x/134 p. Ill.

Plante, J.R., «Crime et châtiment au Forum (Un mythe à l’œuvre et à l’épreuve)», Stratégie, 10, hiver 1975, p. 41-65.

Poulin, Jacques, L’anglais n’est pas une langue magique. Roman, Montréal, Leméac/Actes Sud, 2009, 155 p.

Richard, Denis, en collaboration avec Léandre Normand, Henri Richard. La légende aux 11 coupes Stanley, Montréal, Éditions de l’Homme, 2020, 234 p. Ill. Préface de Ronald Corey. Avant-propos de Léandre Normand.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey. Récit, Montréal, VLB éditeur, 1987, 142 p. Ill.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.

Salutin, Rick, avec la collaboration de Ken Dryden, les Canadiens, Vancouver, Talonbooks, 1977, 186 p. Ill.

Smith, Michael A., «Henri Richard», dans Life after Hockey. When the Lights are Dimmed, St. Paul (MN), Codner Books, 1987, p. 109-116.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

La vie d’un film

Noah Isenberg, We’ll Always Have Casablanca, 2017, couverture

«How many times can you see it ?
Never enough.
»
Nora Ephron, 2012

L’Oreille tendue a trois aveux à faire. Elle n’aime pas les biographies. Elle a vu le film Casablanca au moins vingt fois (elle en a même dit un mot ici, , là encore). Elle a fort apprécié la biographie de ce film que vient de publier Noah Isenberg, We’ll Always Have Casablanca (2017). Ce titre est une allusion à une des répliques les plus connues du film, «We’ll always have Paris

Depuis la sortie du long métrage de Michael Curtiz en 1942, ce ne sont ni les analyses ni les témoignages qui manquent. Casablanca a été décortiqué des centaines de fois. Parmi ses fans, il y a Umberto Eco, Woody Allen, Rainer Werner Fassbinder, Marc Augé, Robert Coover. Qu’apporte Noah Isenberg à ces tributs ?

Son travail relève moins de l’analyse proprement cinématographique que de l’histoire culturelle. Comment le film est-il né ? Comment a-t-il survécu à la censure ? Comment a-t-il été reçu ? Comment continue-t-il de l’être ? Comment l’interpréter ? Isenberg est particulièrement habile à marier les anecdotes significatives (et souvent connues) et la mise au jour d’aspects jusque-là méconnus.

(Vous ne connaissez pas l’intrigue du film ? Harry Reasoner, du magazine télévisuel 60 Minutes, proposait ce résumé en 1981 : «Boy meets girl. Boy loses girl. Boy gets girl back again. Boy gives up girl for humanity’s sake» [cité p. 231]. Humphrey Bogart [Richard Blaine] rencontre Ingrid Bergman [Ilsa Lund] à Paris. Elle le quitte. Ils se retrouvent au Maroc. Il la laisse, car l’humanité a besoin de son mari, Victor Laszlo [Paul Heinreid].)

À chacun son anecdote favorite. Dooley Wilson (Sam) ne savait pas jouer du piano : «As Time Goes By», c’est lui à la voix, mais pas à l’instrument. Depuis la mort de Madeleine Lebeau (Yvonne) au printemps de 2016, plus aucun comédien d’importance du film ne serait toujours en vie.

Parmi les choses que le livre fait ressortir, une est particulièrement intéressante : Casablanca, qui parle de réfugiés, a été fait par des réfugiés, chassés d’Europe par la Deuxième Guerre mondiale. Le quatrième chapitre, «Such much ?», retrace le parcours de ces exilés qui ont fait un des films états-uniens les plus célèbres de l’histoire.

Noah Isenberg a ratissé large. Il a lu des masses de choses, il a dépouillé des archives, il a mené des entrevues. Il est sensible à la fortune de Casablanca au cinéma, bien sûr, mais aussi en littérature, au théâtre, à la télévision (The Simpsons), dans Internet, dans la presse. (Il a dû se réjouir de certaine caricature parue dans The New Yorker la semaine dernière.) Il a le sens du rapprochement — la sénatrice démocrate Elizabeth Warren a terminé l’année 2015 en regardant le film, comme l’avait fait le président Franklin Delano Roosevelt en 1942 (p. 273) — et il sait ménager ses effets — le livre est parsemé d’allusions fines à l’interprétation de «La Marseillaise» par Madeleine Lebeau (qui a vu le film se souvient de cette scène). C’est un ouvrage savant (par sa recherche et par ses pistes d’interprétation) destiné à un large public (par son écriture).

De la bien belle ouvrage.

P.-S.—Faisons, un tout petit peu, la fine bouche. Tous les artisans du films (scénaristes, acteurs, producteurs) ont droit à un portrait détaillé, pas le réalisateur, Michael Curtiz. Isenberg revient à plusieurs reprises sur la question de l’isolationnisme, celui des États-Unis au début de la Deuxième Guerre mondiale et celui de quelques personnages du film, mais il ne cite jamais la phrase la plus emblématique à cet égard, que prononce Sidney Greenstreet (Signor Ferrari) : «My dear Rick, when will you realize that in this world, today, isolationism is no longer a practical policy ?» En 1955-1956, la Warner a produit une série de téléfilms intitulés Casablanca : mais qui donc jouait Ilsa Lund (p. 208) ? La dimension «homoérotique» des rapports entre Bogart et Claude Rains (le capitaine Louis Renault) avait échappé à l’Oreille (p. 175); peut-être est-elle un peu dure de la feuille.

P.-P.-S.—On aurait envisagé de faire jouer Ella Fitzgerald dans le film, à la place de Dooley Wilson (p. 72). C’aurait été trop pour l’Oreille.

 

Référence

Isenberg, Noah, We’ll Always Have Casablanca. The Life, Legend, and Afterlife of Hollywood’s Most Beloved Movie, New York et Londres, W.W. Norton & Company, 2017, xvi/334 p. Ill.