La langue de

«Souvenir du Ier Congrès de la langue française en Amérique», 1912, carte en couleurs

En matière de langue, les clichés ont vie dure. Le français ? «La langue de Molière.» L’anglais ? «La langue de Shakespeare.» Etc.

Le français du Québec, là-dedans ? Première collecte, pas du tout exhaustive.

En chanson : «la langue de [Félix] Leclerc» (la Presse+, 4 mai 2023); «la langue de Malajube» (la Presse+, 24 juin 2023); «la langue de Pauline Julien» (la Presse+, 2 juillet 2023); «la langue de Plume Latraverse» (la Presse+, 16 juillet 2023); «la langue de [Gilles] Vigneault» (la Presse+, 28 août 2023).

En littérature : «la langue de Réjean Ducharme» (la Presse+, 14 mars 2009); «la langue de Molière, Tremblay ou Senghor» (le Devoir, 10 mai 2023); «la langue de Gaston Miron» (la Presse+, 18 juin 2023).

En science : «la langue de Marie-Victorin» (le Devoir, 22 février 2023).

Tendons l’oreille.

P.-S.—Oui, cela fait partie de la famille des P.Q.

 

[Complément du 11 juin 2024]

Deuxième récolte.

Vigneault est une valeur sûre : la Presse+, 10 octobre 2023; la Presse+, 10 mars 2024.

En chanson, ajoutons Mononc’ Serge : la Presse+, 26 septembre 2023.

Le sport n’est pas en reste : Maurice Richard (la Presse+, 4 décembre 2017); Guy Lafleur (la Presse+, 13 janvier 2024); Gabriel Grégoire (la Presse+, 25 novembre 2023); Marc Denis (la Presse+, 24 septembre 2023).

Un comédie s’ajoute : Pierre Curzi (la Presse+, 9 mai 2024).

Deux perles, enfin.

L’anglais ? La langue de lord Durham, selon Tourniquet.

Le français du Québec ? La langue de Michel Tremblay, selon Wikipédia.

 

Illustration : «Souvenir du Ier Congrès de la langue française en Amérique», 1912

Les journalistes aussi

«Transparence totale», la Presse+, 27 novembre 2020

Dans une de ses aventures antérieures, l’Oreille tendue avait souligné combien la transparence était devenue chose essentielle chez les politiques.

Elle ne s’étonne pas de trouver la même exigence chez les journalistes, encore que certaine formulation lui paraisse poser problème. Dans le quotidien montréalais la Presse+, la transparence semble insuffisante; on s’y réclame régulièrement de la transparence totale.

On trouve l’expression chez plusieurs journalistes et chroniqueurs. Quelques exemples des deux dernières années (merci à Jean-Patrice Martel) : 16 décembre 2020, 27 novembre 2020, 16 septembre 2020, 27 avril 2019, 5 mars 2019.

Une demi-transparence, ou un quart de transparence, ou un tiers de transparence, serait-ce encore de la transparence ? Bref, pourquoi pas, plus simplement, transparence ?

Tant de questions, si peu de jours.

Quatre remarques sur le style de Ronan Farrow

Ronan Farrow, Catch and Kill, 2019, couverture

Dans Catch and Kill. Lies, Spies, and a Conspiracy to Protect Predators (2019), le journaliste Ronan Farrow fait le récit de son difficile travail d’enquête sur les prédateurs sexuels dans le milieu états-unien du cinéma (Harvey Weinstein) et de la télévision (Matt Lauer), entre autres criminels.

Arrêtons-nous sur sa façon de raconter.

Comment caractériser un personnage ? Farrow accord une très grande importance aux accents, qu’il classe en deux familles.

Certains sont faciles à reconnaître : «her Italian accent» (p. 56); «He had a warm, avuncular voice, with an accent that knew its way around the Long Island Expressway» (p. 81); «in an Albanian accent» (p. 156); «a crisp English accent» (p. 160); «the deeper of the two Israeli-accented voices» (p. 312); «a straight, uncomplicated inflection and a Latin American accent» (p. 340); «a thick Ukrainian accent» (p. 359); «a Russian accent» (p. 364).

D’autres, moins : «he couldn’t quite place this one» (p. 13); «accents he couldn’t quite place. Eastern European, maybe» (p. 43); «a heavy accent» (p. 91); «an elegant accent McGowan couldn’t place» (p. 96); «a heavily accented voice» (p. 181); «a refined, indeterminate accent» (p. 243); «an elegant, hard-to-place accent» (p. 256). Dis-moi comment tu prononces, je te dirai, ou pas, qui tu es.

Les articles de Farrow paraissent dans le magazine The New Yorker; on y est friand des descriptions du physique des protagonistes. Catch and Kill en contient donc plusieurs. Aucune, cependant, ne mérite de figurer dans la galerie des portraits de l’Oreille tendue. Pire, Farrow utilise l’expression «square-jawed» (p. 156), cliché d’entre les clichés. La preuve ? De mémoire, Dan Brown y a recours dans The Da Vinci Code.

Mia Farrow, la mère de Ronan, quand elle le voit mouillé de pied en cap, déclare : «Wet’s always in. It’s classic» (p. 93). L’auteur vit à New York et, s’il faut l’en croire, il y pleut beaucoup. Il est sensible au temps qu’il fait et il le fait savoir. Souvent.

Le point de vue est personnel, ce qui n’est pas étonnant : le narrateur raconte comment le réseau télévisuel où il travaillait, NBC, a refusé de divulger les résultats dévastateurs de son enquête; on le voit se battre pour se faire entendre. Le point de vue est aussi intime, et doublement.

D’une part, Dylan, la sœur de Ronan, accuse depuis plusieurs années leur père, Woody Allen, de l’avoir agressée sexuellement quand elle était enfant. Recueillir le témoignage des victimes de Weinstein et de Lauer oblige l’auteur à revenir sur sa propre histoire familiale. Cela est douloureux (p. 190, p. 401).

D’autre part, sur une note plus légère, Ronan Farrow est capable d’auto-anayse et d’humour, notamment lorsqu’il est question de sa vie de couple : «I tried Jonathan, then tried him again. He was increasingly busy with work, and I was increasingly needy and annoying» (p. 264); «Jonathan already got a dedication and he’s quoted throughout these pages. How much more attention does he need ?» (p. 419)

Ce que raconte un livre est important; sa façon de raconter ne l’est pas moins.

 

Référence

Farrow, Ronan, Catch and Kill. Lies, Spies, and a Conspiracy to Protect Predators, New York, Little, Brown and Company, 2019, xvi/448 p.

Aidons encore notre jeune critique

Il y a les phrases que l’on voit trop en critique littéraire. Et il y a celles que l’on ne voit pas assez. Ci-dessous, l’Oreille tendue en propose quelques-unes à un jeune critique. À lui de les utiliser (ou pas).

«Monsieur X est un auteur qui se faisait rare. Loin de moi l’idée de le lui reprocher.»

«Enfin ! Un livre dont on sort indemne !»

«Madame Y révèle un faux talent d’écrivain.» (Merci à @madmanclaro.)

«Ce récit, fort heureusement, n’est pas poétique.»

«Sa seule patrie n’est pas la langue / la culture française.»

À votre service.

P.-S.—Non, ce n’est pas la première fois que l’Oreille tendue adresse des conseils à un jeune critique littéraire; voir les textes du 17 février 2014, du 2 mai 2014 et du 5 juin 2014.

Aide-mémoire du jour

Portrait d’Émile Littré par Armand Vaché, c. 1875 - c. 1900

L’Oreille tendue, à ses heures, aime à se considérer comme un service public. Voilà pourquoi, à la demande générale (n=0), elle a regroupé un certain nombre de collocations utiles, sous forme de tableau, évidemment perfectible. Ne la remerciez pas.

P.-S.—Ce n’est pas la première fois, en effet, que l’Oreille s’intéresse à pareilles associations.

Illustration : portrait d’Émile Littré par Armand Vaché, c. 1875-c. 1900, Rijksmuseum, Amsterdam

accentsavoureux
violenteagression
ambiancefestive
arrêtspectaculaire
véritablearsenal
avioncloué au sol
bombardementen règle
budgetélectoraliste
muet comme unecarpe
chaleuraccablante
chuterlourdement
simplecitoyen
conceptdéjanté
résolumentcontemporain
vivecontroverse
crimemorbide
cynismeambiant
découvertemacabre
défaiteamère
déficitabyssal
dilemmecornélien
dilemmeshakespearien
frêleesquif
faunebigarrée
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profondehumanité
indifférencela plus grande
rareintensité
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