Des yeux d’homme

David Montrose, Gambling with Fire, éd. de 2016, couverture

On voit souvent, dans la critique culturelle féministe, les mots male gaze. Définition tirée de Wikipédia :

In feminist theory, the male gaze is the act of depicting women and the world in the visual arts and in literature from a masculine, heterosexual perspective that presents and represents women as sexual objects for the pleasure of the heterosexual male viewer.

Il s’agirait d’un mode de représentation des femmes du seul point de vue masculin et hétérosexuel. Elles ne seraient que des objets sexuels pour le plaisir des hommes.

On traduit parfois male gaze, en français, par regard masculin ou par regard des hommes, mais plusieurs conservent simplement la forme anglaise.

C’est à ce type de description que pensait l’Oreille tendue en lisant Gambling with Fire :

He found it difficult to keep his eyes from the girl. She had a big-boned, almost angular face, with shoulders as wide as her hips; yet the womanly roundness of her form, built upon such an unpromising base, was truly voluptuous. Because of her strength and solidity, as much as her deep breasts and smooth thighs, she appeared a woman of great sexuality (p. 20).

C’est bien une affaire de regards — celui du personnage («his eyes») et celui du narrateur — et de désir («she appeared a woman of great sexuality»).

Difficile d’être plus clair.

 

Référence

Montrose, David, Gambling with Fire, Montréal, Véhicule Press, A Ricochet Book, 2016, 207 p. Édition originale : 1968. Introduction de John McFetridge.

Portrait au panier d’épicerie

François Blais, la Classe de madame Valérie, 2013, couverture

«Et qu’aurait-on pu apprendre sur Andréanne Gélinas en analysant le contenu de son chariot ? La citrouille, le pot de Nutella, les jujubes en vrac et les biscuits Pirate pouvaient induire en erreur en donnant à croire qu’elle était mère de famille — mauvaise mère, par surcroît, gavant sa marmaille de cochonneries —, alors qu’elle était simplement un peu immature et aimait le sucre. Le fait qu’elle achetât du détergent de marque Artic Power, du papier hygiénique Cashmere et que, d’une manière générale, elle eût tendance à snober les produits maison, prouvait qu’elle appartenait à la classe moyenne, ou du moins à cette catégorie de gens n’ayant jamais à choisir entre se nourrir correctement ou porter des vêtements propres. Poitrines de poulets surgelées à la Kiev, stir-fry à la sichuanaise en sac, potages Le Commensal, saumon Wellington Irresistible : gourmet mais paresseuse. Veut bouffer le mieux possible sans toutefois que cela implique d’autres opérations que “Mettre au four à 450º pendant trente-cinq minutes” ou “Chauffez en remuant, laissez reposer, servir”. Aucun produit en provenance de la section bio/équitable : conscience sociale à zéro. Oui, c’est vrai, mais il faut dire que les légumes bio ne payent pas de mine. Et puis, hein, avant l’arrivée du transgénique les melons d’eau et les raisins étaient bourrés de pépins. Qui veut en revenir là ? Pour résumer : gourmande, paresseuse, frivole, immature, pas pauvre. Il fallait convenir que le portrait était assez juste. Presque exhaustif, en fait.»

François Blais, la Classe de madame Valérie. Roman, Québec, L’instant même, 2013, 400 p. Édition numérique.

Huit sur dix pour l’Oreille tendue

Fête nationale oblige, le gouvernement du Québec a mis en ligne une vidéo de trente secondes à saveur linguistique. On y entend dix expressions du français populaire québécois.

«Sans s’péter les bretelles, au Québec, on sait lâcher notre fou. Qu’y fasse beau ou qu’y mouille à sciaux, on se r’vire sur un dix cents. On s’fait des soirées pas pire pantoute ou des plus broche à foin. Des fois on est sur notre trente-six ou habillé comme la chienne à Jacques. Et la cerise sur le sundae, c’est voir nos étoiles briller sur toutes les scènes du Québec. Bonne fête nationale !»

À part «lâcher notre fou» (s’éclater) et «se revirer sur un dix cents» (promptement), l’Oreille tendue a déjà abordé toutes ces expressions.

8 sur 10, bref.

Belle, malgré

Tristan Saule, Et puis on aura vu la mer, 2024, couverture

«Olga est d’un blond surnaturel, presque blanc. Ses lèvres sont épaisses, gonflées par la chimie, peintes de vieux rose. Sa peau tirée et bronzée fait l’effet d’un cuir mal tendu, lâche par endroits. Malgré les agressions de la chirurgie, elle est belle, d’une beauté qu’on devine derrière les tentatives de la préserver.»

Tristan Saule [pseudonyme de Grégoire Courtois], Et puis on aura vu la mer. Roman. Chroniques de la place carrée. IV, Montréal, Le Quartanier, coll. «Parallèle», 05, 2024, 341 p., p. 10.

 

P.-S.—L’Oreille tendue apprécie fort le travail de cet auteur. Voir ceci, par exemple.

Portrait coloré du jour

Colson Whitehead, Crook Manifesto, 2023, couverture

«The flamboyant quotient in Harlem was at a record high these days [au début des années 1970], thanks to manufacturing innovations in the synthetic-material sector, new liberal opinions vis-à-vis the hues question, and the courageousness of the younger generation. The line between the stylish and pimpified was unstable, ill-defined, but everybody was having too much fun to complain. The men on the corner were pimps, no doubt, given the warm night and the superfluous layers. The taller one wore a purple suit with silver piping, and a white, spangled broad-brimmed hat. His companion’s long black leather trench coat draped on his shoulders like a cape. The tiger-fur pattern on his shirt and red, white, and blue cowboy hat created a macabre circus effect.»

Colson Whitehead, Crook Manifesto. A Novel, New York, Doubleday, 2023, 319 p., p. 73.