[Deuxième texte d’une série sur les livres du Printemps érable. Pour une liste de ces textes, voyez ici.]
Atelier 10 lançait hier le deuxième titre de sa collection «Documents», Année rouge. Notes en vue d’un récit personnel de la contestation sociale au Québec en 2012, de Nicolas Langelier.
Le sous-titre décrit parfaitement l’ouvrage. S’y croisent des citations (de la Presse canadienne, de la Presse, du Devoir), des allusions de l’auteur à sa vie (amis, amours, vie professionnelle, vieillissement), des réflexions sur les grèves étudiantes de 2012, dans le contexte local, mais pas seulement (mouvement Occupy, l’Espagne, la Grèce, etc.), des listes, des bouts de conversation, etc. Ce sont en effet des «notes», des fragments, pas un essai démonstratif ni une étude.
On y trouve néanmoins des éléments qui scandent le texte. Nicolas Langelier a traversé le «Printemps québécois» — qu’il vaudrait mieux qualifier de «Printemps montréalais» selon lui — en lisant un auteur latin du IIe siècle, Marc Aurèle, en étant habité d’une constante «rage» — le mot est partout — et en étant sensible à ce qui se produisait le 22 de chaque mois — où en était-on d’une manifestation, puis d’une commémoration à l’autre ?
Langelier ne s’en cache pas : il était du côté des «carrés rouges», ces «enfants d’une ère dépolitisée» dont il fait lui-même partie. Il partageait leur «rage» et leurs idéaux. Il a pourtant rapidement prévu leur échec, du moins dans l’immédiat. Pourquoi ? Lui qui se définirait probablement comme un pragmatiste ne voit pas comment les manifestants auraient pu passer de la revendication à des actions inscrites dans la durée : «les manifestations ont vraiment atteint la fin de leur durée de vie utile : elles ne sont plus qu’une perte de temps et d’énergie»; «Il est difficile de ne pas avoir un sentiment doux-amer : malgré les moments extraordinaires, la révolution n’a pas eu lieu»; «Les changements ne viendront jamais d’une série de manifestations.» La période aura donc été «extraordinaire», mais aura-t-elle des suites ?
On pourra trouver que l’auteur se fait la part belle dans cette série d’instantanés au je, à la fois dans le récit de sa vie durant la dernière année — lui et une comédienne faisant l’amour, ils sont «Intenses comme GND» — et dans la conscience qu’il aurait eue très tôt de l’issue prévisible du mouvement de contestation lancé par les étudiants, ce «grand démantibulage progressif». Peu importe : c’est la loi du genre de l’autoportrait (fractionné). Dans le même temps, il serait le premier à se reconnaître une part de légèreté, voire d’inconséquence («C’est le genre de question que je me pose assis chez moi devant un écran quelconque, à ne rien faire de vraiment plus utile»).
De son livre, on retiendra plutôt deux aspects, étonnants l’un et l’autre, mais pas pour les mêmes raisons.
Langelier, qui vomit l’ancien premier ministre du Québec («Je ne me souviens pas d’avoir détesté quelqu’un autant que je déteste en ce moment Jean Charest»), ne semble guère se reconnaître dans les principes, notamment identitaires, du Parti québécois, l’autre grand parti politique québécois, et il prend la peine de rappeler les hauts faits d’armes, à une époque, du Parti libéral du Québec. De même, il recueille les propos de membres de la Commission-Jeunesse de ce parti, eux qui sont si éloignés, du moins en apparence, de ses valeurs. Ils n’ont certes pas la «rage» qui le caractérise, mais il ne traite jamais avec mépris ces «jeunes socialement ambitieux et engagés». Voilà un point de vue singulier, comme si un héritage avait été dilapidé, celui d’un parti «jadis si fier et noble».
En revanche, l’approche retenue par Langelier ne lui permet guère de donner un sens nouveau à ce qui s’est passé au Québec depuis le début de 2012. Sa prose multiplie images et sensations («Nous détestons beaucoup de choses, en ce printemps 2012, mais nous nous aimons tous beaucoup»), mais elle reste largement insensible aux thèses et aux mots du Printemps. Contrairement à ce que fait le romancier Patrick Nicol, Langelier ne met pas en lumière le dévoiement de la langue, privée et publique, dans lequel la société québécoise baigne depuis des mois. Il fait entendre quelques slogans (mais rien sur les pancartes), il rappelle que le gouvernement «odieux» de Jean Charest martelait le double argument selon lequel les étudiants devaient payer leur «juste part» et qu’il ne fallait pas céder à «la rue», il évoque les lettres ouvertes des journaux sans donner à lire leur contenu, il relève l’apparition de l’expression «angoisse fiscale». C’est peu, quand on pense aux flots de mots de cette «étrange année», et rarement développé.
Pour l’essentiel, Patrick Nicol parle de la «contestation sociale» de l’extérieur, en se demandant comment dire cette chose inouïe, des dizaines de milliers de jeunes en grève, pendant des mois. Nicolas Langelier reste à l’intérieur de la crise, fasciné par elle, collé à ses représentations, notamment médiatiques. Est-ce pour cela que le second est plus désespéré que le premier ?
[Complément du 24 novembre 2012]
L’Oreille tendue a lu Année rouge en numérique (format ePub). C’est en recevant le livre papier qu’elle a découvert qu’il est illustré…
Références
Langelier, Nicolas, Année rouge. Notes en vue d’un récit personnel de la contestation sociale au Québec en 2012, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 02, 2012, 100 p. Ill.
Nicol, Patrick, Terre des cons. Roman, Montréal, La mèche, 2012, 97 p.