Au «citoyen», citoyens !

(Hier, au micro de Franco Nuovo, l’Oreille tendue décernait ses Perroquets 2012. Parmi eux, en troisième place, citoyen.)

La manie n’est pas nouvelle.

Dès le 22 novembre 2005, Antoine Robitaille s’interrogeait sur l’utilisation de citoyen comme adjectif. Il publiait alors un article intitulé «“Citoyen” à toutes les sauces. Le terme est devenu un adjectif très “tendance”» (le Devoir, p. A1) dans lequel il notait que les péquistes (les membres du Parti québécois), à l’Assemblée nationale du Québec, étaient «les plus friands de l’adjectif», même s’il arrivait au premier ministre Jean Charest de l’utiliser. Citoyen est en effet fortement marqué à gauche (si tant est que le PQ soit un parti de gauche). Six ans plus tard, sur son blogue, Maux et mots de la politique, Robitaille reviendra sur le «délire citoyen».

La popularité de l’adjectif ne s’est en effet pas démentie. On parle de «mobilisation citoyenne», de «réponse citoyenne», de «démarche de réflexion citoyenne», de «participation citoyenne», d’«actions citoyennes», de «boycott citoyen», de «télé citoyenne», de «combat citoyen», d’«implication citoyenne», de «groupe citoyen» (le Devoir, 27 mars 2012, p. 1), de «débat citoyen» (le Devoir, 28-29 avril 2012, p. G5) et de «responsabilité citoyenne» (le Devoir, 17-18 mars 2012, p. B6). Un parti politique vient d’être reconnu, l’Union citoyenne du Québec; on ne sait s’il se réunira dans des «cafés citoyens». Avant lui, il y eut l’Option citoyenne, l’ancêtre de Québec solidaire. Selon Normand Baillargeon, il existerait des «mathématiques citoyennes» (Liliane est au lycée, Paris, Flammarion, 2011); c’est normal, puisque «L’école doit être citoyenne» (le Devoir, 28-29 avril 2012, p. G6). On pourrait d’ailleurs y aller en «voiture citoyenne» (le Devoir, 8 juin 2005, p. D2).

Comment expliquer que citoyen soit si présent dans la vie publique au Québec, qu’il ait éclipsé populaire ou civique ? Les grèves étudiantes du printemps et la campagne électorale à venir ne sont sûrement pas étrangères à ce succès : la fibre citoyenne vibre fort ces jours-ci.

Le phénomène n’est pas que québécois. En France, il est question d’«érudition citoyenne», de «foot citoyen», d’«hackerspaces citoyens», de «marche citoyenne» (Agence France-Presse, le Devoir, 19 mars 2012, p. A1). En 2010, Jean-Luc Mélenchon publiait Qu’ils s’en aillent tous ! Vite, la révolution citoyenne (Paris, J’ai lu). L’année précédente, Jean-Loup Chiflet classait citoyen parmi ses 99 mots et expressions à foutre à la poubelle (Paris, Seuil, coll. «Points. Le goût des mots», Hors série, inédit, P 2268, 122 p., p. 40).

Citoyen seul (avec le nom qu’il caractérise) est devenu banal. En combinaison, c’est mieux : «Comment la musique urbaine engagée contribue-t-elle à la participation citoyenne ?» s’interroge @slym0mac.

Pour terminer, l’Oreille tendue a un petit regret : quelqu’un a eu l’idée d’un «blogue citoyen» avant elle. Elle ne pourra donc pas pratiquer avec toute la visibilité souhaitée le «journalisme citoyen». Cela l’attriste.

P.-S. — Il y aurait aussi fort à faire sur le substantif citoyen, féminisé ou pas. Ce sera pour un autre jour.

 

[Complément du 14 mars 2013]

La bedaine citoyenne

Même le ventre (féminin) peut l’être. (Merci à @PimpetteDunoyer.)

 

[Complément du 6 février 2015]

Des passants du métro de Montréal ne portent pas secours à un blessé. «Apathie citoyenne», tranche le coroner chargé d’enquêter sur cette affaire, Jacques Ramsay (la Presse+, 6 février 2015, section Actualités, écran 4).

 

[Complément du 9 juin 2015]

Faisant le ménage dans de vieux dossiers, l’Oreille tombe sur ceci : «Un nouveau théorème est en train de se mettre en place : moins le mot contient de sens vérifiable, plus grande est sa faveur; par exemple, l’adjectif “citoyen”, ou “citoyenne”.» C’est tiré d’un article de Bertrand Poirot-Delpech, «Erreur décisionnelle», paru dans le quotidien le Monde du 4 mai… 1994 (p. 2).

Journal de Paris (et de Twitter)

Quelques jours en France ? L’Oreille tendue ne se détend pas, et elle échange avec ses correspondants sur Twitter.

4 mai 2012

Arrivée à Paris ce matin. Première constatation linguistique : «Merci», c’est fini; «Merci beaucoup» a pris sa place.

Commentaire (expérimental) de @variations_zoo : «j’ai fait l’expérience ce matin, ça marche :-)».

C’est le Monde qui le dit : out les lepénistes et les frontistes. Les électeurs du Front national sont désormais des marinistes, du prénom de la fille et héritière politique de Jean-Marie Le Pen (5 mai 2012, p. 15). Marine a évincé son papa ?

Commentaire (lexicoculinaire) de @iericksen : «On parlera bientôt de marinés et de marinades.»

5 mai 2012

La loi française veut interdire «Mademoiselle» sur les formulaires officiels. La loi ne s’applique pas (encore) dans les cafés.

Commentaire (préventif) de @cvoyerleger : «On l’utilise encore au Québec même après X années d’absence des formulaires. Ce sera long. Et certaines femmes y tiennent.»

6 mai

Larguez les amarres est une librairie, rue de la Gaîté, spécialisée en marine, voyages et aviation. Elle a dû fermer quelques jours. La raison ? Un «dégât des eaux». Injustice immanente ?

À la télé, en cette soirée électorale : «Je suis absolument dans la voiture d’Henri Guaino.»

Commentaire (interrogatif) de @MelAbdelmoumen : «L’Oreille a-t-elle remarqué, chez les journalistes tv français, cette confusion étonnante de l’“eh bien” et de la virgule ?», suivi d’un exemple : «F. H. est rentré, eh bien, chez lui. Il a voulu, eh bien, dit-il, saluer la foule. N. Sarkozy, eh bien, quant à lui, etc.»

Métro, Étoile-Nation, 23 h 45 : «Bon quinquennat, M’sieurs-dames», dit le chanteur à la guitare.

7 mai

Chronique mode : la Parisienne confond rarement leggings / collants et pantalon. Ce sont les filles de Go Fug Yourself qui seraient fières d’elles.

Ce soir, à la Comédie-Française, Une puce, épargnez-la, de Naomi Wallace, traduction de Dominique Hollier. On y apprend qu’en langage de matelot une femme à la poitrine plantureuse aurait «de la voile».

8 mai

Consultation linguistique auprès d’une Parisienne de 16 ans. Expressions à la mode à Lutèce ?

1. Vous croisez quelqu’un que vous connaissez; vous saluez; on ne vous répond pas. Vous levez la main en classe; on ne vous voit pas. Dans un cas comme dans l’autre, vous venez de «prendre un vent».

Commentaire de @beloamig_ : «Je suis ce producteur de vents, archimyope.»

N.B. On entend aussi se prendre un bache.

2. @mdumais sera heureux d’apprendre que le mot «genre» est (aussi) populaire à Paris.

Confirmation, sur Twitter, par @MrJeg57 : «Expressions passablement énervantes, à bannir au plus vite : “Dire de la merde”, “genre”, “style”, “t’es sérieux, là ?”, «Et pis tout”, “trop”.»

3. Le bolos — prononcé avec des o graves — est, entre autres choses, un bouffon, mais pas congénital. Qui est bolos ne l’est généralement que temporairement. Du moins, c’est ce qu’on lui souhaite.

4. Le casso (ou cassos) est un bolos en bien pire : son état est permanent. L’origine de ce substantif, très péjoratif, est peut-être à chercher du côté du cas social. Il paraît être proche de l’ortho québécois.

5. Qui se tape une barre rit beaucoup.

6. Ce gâteau est une tuerie ? Il en a été question ici.

7. Vous vouliez voir un film, mais, quand vous vous présentez au cinéma, il vient de quitter l’affiche ? Vous étiez absente de l’école le jour où il y avait des frites à la cantine ? Vous avez, bien sûr, le seum.

8. L’historique ta gueule pourrait être avantageusement remplacé par stéve.

9 mai

Métro Mairie d’Ivry-La Courneuve, 10 : des lycéens révisent à haute voix leurs notes de cours sur l’identité sexuelle. Une pensée pour Judith Butler ?

10 mai

L’Oreille se rend à la salle Charles-Trenet de la maison de Radio-France pour assister à un enregistrement du Masque et la plume. Jérôme Garcin, l’animateur de cette émission de radio, joue de la distinction deuxième / second. L’Oreille devrait-elle se réjouir ?

«Vous avez voté ?» demande l’un. «Je l’ai fait par acte citoyen», répond l’autre. La manie du citoyen adjectivé est universelle.

11 mai

Le signe de l’américanisation de la France ? Pas la langue. La dimension des portions au restaurant.

Commentaire (inquiet) de @charlesdionne : «Dès que le doggie bag aura été popularisé, on pourra craindre le pire pour la France !».

Une voisine de l’Oreille : «Nous allons prendre seulement une entrée, un plat et un dessert, avec un pichet de rouge.» L’adverbe ravit.

Histoire d’être dépaysée, l’Oreille tendue regarde, à télé française, un match de hockey (Canada-Finlande). Les commentateurs de Sport+ s’en donnent à cœur joie : «Mikko Koivu est monstrueux depuis le début du match»; «Dion Phaneuf se fait manger par le capitaine finlandais»; «L’équipe canadienne se fait bouger par les Finlandais»; «Les Canadiens sont dominés dans tous les compartiments du jeu.» Ça change de Benoît Brunet. (Cela dit, «incroyable» sévit ici aussi.)

Commentaire (jaloux) de @niedesrochers : «OUATE?!? Pourquoi on diffuse pas ça ici??? #SoiréeTéléÀOuagadougou #TropInjuste».

«Du pipi de chat», disait-il à son téléphone. «Du pipi de chat», insistait-il. L’Oreille tendue décida de ne pas le contredire, et de rentrer chez elle.

L’oreille des lecteurs de l’Oreille

Il est temps de l’avouer : l’Oreille tendue, comme on dit dans les officines politiques anglicisées, a plusieurs agendas cachés. En voici deux, parmi bien d’autres : elle souhaite avoir des lecteurs nombreux; elle rêve que ces lecteurs se mettent à voir partout des traces des tics langagiers qu’elle s’amuse à épingler.

Un tweet et un courriel, reçus au cours des derniers jours, la rassurent sur la qualité des visiteurs de son blogue. C’est cependant elle, et non l’inverse, qui se met aujourd’hui à repérer autour d’elle ce que ce tweet et ce courriel lui ont révélé.

Premier cas

Le 22 février, sur Twitter, @nicolasdickner écrivait ceci : «Question à @benoitmelancon : l’Oreille s’est-elle déjà intéressé au verbe oser ?» Suivait une liste de liens, où l’on pouvait mesurer le succès de ce verbe, surtout à l’impératif. L’Oreille n’avait jamais remarqué combien il était populaire. Depuis, elle ne voit que lui.

Dans le métro :

Se mettre en mode «osez»

Sur Twitter : «La chose la plus rigolote qu’on m’ait dit cette semaine : “Tu devrais oser le point-virgule, ça fait extravagant!”»

En titre dans le Devoir : «Il faut “oser” enseigner l’égalité» (3-4 mars 2012, p. G5).

Parmi des recommandations en matière de bibliographie : «Oser les bibliographies surprenantes ou séduisantes.»

Second cas

Le courriel provenait d’un fidèle lectrice; appelons-la, entre nous, La sociocriticienne postrudérale. Elle attirait l’attention de l’Oreille, nombreux exemples à l’appui, sur l’expression en mode, le plus souvent suivie d’un nom, plus rarement d’un adjectif.

«en mode élection» (le Devoir, 27 février 2012)

«se “mettre en mode pause”» (le Devoir, 24 février 2012)

«en mode persuasion et démarcation» (le Devoir, 20 février 2012)

«en mode séduction» (le Devoir, 18 février 2012)

«en mode électoral» (le Devoir, 13 février 2012)

«en mode achat» (la Presse, 27 février 2012)

«en mode confrontation» (la Presse, 19 février 2012)

«en mode éducation» (la Presse, 18 février 2012)

Comme il se doit, l’Oreille, maintenant alertée, ouvre son journal et tombe sur ceci : «Du ski de fond en mode contemplatif» (la Presse, 3 mars 2012, cahier Voyage, p. 15).

Le monde de l’Oreille ne sera jamais plus le même. Merci.

P.-S. — À quand un Osez le «en mode» ?

 

[Complément du 1er avril 2015]

Deux choses.

Le phénomène en mode n’est pas récent : Antoine Robitaille en parlait au micro de Marie-France Bazzo, à l’émission Indicatif présent de la Société Radio-Canada, le 9 mai 2006.

Et voici une nouvelle brassée d’exemples, pour montrer que en mode ne se démode pas.

«Improvisation en mode… pétoncle» (la Presse+, 1er avril 2015).

«“Une vidéo en mode solution”… c’est un nouveau format HD ?» (18 mars 2015, @PimpetteDunoyer)

«Une comédie musicale en mode yiddish pour Socalled» (le Devoir, 7 juin 2013, p. B1).

«Exceldor en mode solution poulet» (la Presse, 19 mars 2013, cahier Affaires, p. 8).

«Le ministre Pierre Duchesne en mode écoute» (le Devoir, 10 octobre 2012, p. A3).

«On était en mode électoral plus que financier» (le Devoir, 6-7 octobre 2012, p. A1).

«Nexen : la Chine en mode séduction» (le Devoir, 24 septembre 2012, p. A4).

«Joueurs et proprios en mode séduction» (la Presse, 17 septembre 2012, cahier Sports, p. 2).

«Les Biches pensives en mode intime et collectif» (le Devoir, 18-19 août 2012, p. E1).

«Huit camps pour de la poésie en mode extrême» (@Gehenne1, 23 juillet 2012).

Cristiano Ronaldo s’est mis «en mode madrilène» (la Presse, 18 juin 2012, cahier Sports, p. 4).

«Pique-nique en mode rural» (le Devoir, 26-27 mai 2012, p. G5).

«Il y a peut-être un signal à saisir pour le rédacteur de la loi quand ceux qui doivent l’appliquer sont en mode retenue…» (le Devoir, 23 mai 2012, p. A7).

«Shan en mode asiatique» (la Presse, 9 mai 2012, cahier Affaires, p. 3).

«Nissan en mode hybride» (la Presse, 12 mars 2012, cahier Auto, p. 6).

Le dilemme de l’autobus

François Blais, la Nuit des morts-vivants, 2011, couverture

Parmi les plus graves problèmes québécois, il y a le genre du mot autobus.

Les dictionnaires sont pourtant formels : autobus est masculin.

Dans la vie de tous les jours, on entend fréquemment une autobus. L’Oreille tendue a déjà proposé une hypothèse à ce sujet, qui a entraîné quelques réactions de lecteurs (c’est ici).

Si l’on en croit le François Blais de la Nuit des morts-vivants (2011), il y aurait même des endroits au Québec, en l’occurrence en Mauricie, où l’on dirait «une bus» : «jusqu’en troisième année on est obligé de prendre la bus» (p. 39); «Grouille, tu vas rater la bus de sept heures et vingt» (p. 47); «attendre la bus de 7 h 35» (p. 67). On notera que c’est la même chose au style indirect libre (premier exemple), dans les dialogues (deuxième) et chez le narrateur (troisième).

Cette bizarre féminisation — que l’Oreille tendue n’a jamais entendue, ce qui vaut ce que ça vaut — avait (pourtant) déjà été repérée par Wim Remysen en 2003 :

L’originalité de la variété québécoise au niveau morphologique se situe surtout au niveau du genre et du nombre de certaines unités lexicales. Ainsi, il est fréquent au Québec qu’on parle d’une autobus, d’un affaire et d’un heure. […] Il faut noter toutefois que ces traits ne sont pas toujours généralisés dans la variété québécoise : ainsi, parler de la bus est typique des situations de communication informelles et du parler populaire (p. 33).

Cela ne règle pas le mystère pour autant : d’où cela vient-il ?

P.-S. — On se souviendra qu’à Québec, pour simplifier encore les choses, on a essayé de faire de bus un verbe.

 

[Complément du 20 mai 2014]

Autre exemple littéraire, du Saguenay, tiré de la Déesse des mouches à feu de Geneviève Pettersen (2014) : «Ma mère voulait jamais venir me porter chez Pascal, ça fait que j’y allais en bus de ville. Fallait que je prenne la bus pis que je transfère dans une autre rendue au terminus de la rue Racine» (p. 46).

 

[Complément du 13 novembre 2014]

Dans la Presse+ d’hier, la chroniqueur Patrick Lagacé, s’agissant d’autobus, écrit ceci : «La 25A est repartie.» Dans celle d’aujourd’hui, il doit s’expliquer : «Je sais qu’on dit UN autobus. Merci à tous ceux qui me l’ont souligné, après ma chronique d’hier. […] C’est con, je sais, mais quand je désigne un autobus par le trajet numéroté qu’il emprunte, c’est plus fort que moi, c’est trop profondément ancré : c’est “la”. C’était “la” 70 qui me transportait jusqu’au Carrefour Laval, ti-cul, “la” 40 qui me déposait au cégep. […] LA route avale LE bus; qui ne font un quand on choisit l’article…» Une nouvelle victime du dilemme de l’autobus. Espérons qu’il s’en remette.

 

[Complément du 16 novembre 2014]

Il est encore une autre façon de désigner les circuits d’autobus (numéro + rue), que l’Oreille découvre en lisant le Titre de transport (2014) d’Alice Michaud-Lapointe :

Il est trois heures et quart au moment où les quatre filles se dirigent vers le métro Villa-Maria. Evelyn prend habituellement la 24/Sherbrooke pour retourner dans Westmount, mais elle se dit qu’aujourd’hui elle peut bien faire une exception, ce n’est pas tous les jours qu’elle a la chance d’être vue en compagnie de Nicky. Comme tous les vendredis, des élèves en provenance de divers collèges bloquent l’entrée du métro. Ceux qu’on voit arriver par la 103/Monkland étudient au Royal Vale High School, mais ils ne sont pas très nombreux, la plupart habitant dans les environs de Somerled (p. 78).

 

[Complément du 1er décembre 2014]

 

[Complément du 24 août 2015]

Vue, ce matin, une publicité pour l’édition 2016 du Petit Larousse, sur un autobus de la Société de transport de Montréal : «Un ou une autobus ?» Ça s’appelle une publicité bien ciblée (pour le Québec).

 

[Complément du 23 septembre 2016]

En deux tweets parfaitement symétriques, Sylvain Carle a résumé un usage québecquois (à l’aller) et un usage montréalais (au retour).

Deux tweets de Sylvain Carle le 23 septembre 2016

 

[Complément du 5 novembre 2017]

La preuve que l’écrivaine Amélie Panneton est née à Québec ? La quatrième de ses «Quatre promesses pour une capitale tendre» est la suivante : «Féminiser définitivement, dans tous les documents de l’administration municipale, le mot “autobus”» (le Devoir, 4-5 novembre 2017, p. F1).

 

[Complément du 28 octobre 2020]

Sur le site Français de nos régions, le 22 octobre 2018, André Thibault publiait le texte «La “bus” ou le “bosse” ? Une autre rivalité Québec-Montréal…» Cartes à l’appuie, il y présente les «quatre formes possibles» du même mot au Québec : «1) la bus; 2) le bosse; 3) le bus; 4) la bosse».

 

[Complément du 1er octobre 2021]

Il y a aura bientôt des élections à Québec. Les responsables du parti Transition Québec ne cachent pas leur choix lexical : «LA bus». (La taupe québecquoise de l’Oreille, qui lui fait découvrir ce choix, parle de populisme linguistique. Cela se défend.)

« LA bus gratuite pour tout le monde», publicité électorale du parti Transition Québec, mai 2021

 

Références

Blais, François, la Nuit des morts-vivants. Roman, Québec, L’instant même, 2011, 171 p.

Michaud-Lapointe, Alice, Titre de transport, Montréal, Héliotrope, série «K», 2014, 206 p.

Pettersen, Geneviève, la Déesse des mouches à feu. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 2014, 203 p.

Remysen, Wim, «Le français au Québec : au-delà des mythes», article numérique, Romaneske, 1, 2003, p. 28-41. http://www.vlrom.be/pdf/031quebec.pdf

Voyage de découverte en Notulie

Philippe Didion, Notules dominicales de culture domestique, 2008, couverture

[Le texte qui suit s’inscrit dans un projet de «médiation numérique» intitulé «Autour de Publie.net» et mis sur pied par les bibliothèques de Montréal.]

Notulie. n.f. Pays littéraire. Il s’étend aux quatre coins d’Internet. Cap. Épinal. Langue off. Français. Hab. Notulographe et notuliens, notuliens et notuliennes. Climat. Tempéré. Hist. Indépendante dès son origine, la Notulie est fondée en mars 2001. Pol. Le créateur de la Notulie est Philippe Didion, dit «Le notulographe». Il a des ambassadeurs plénipotentiaires dans quelques pays (au Canada, cet ambassadeur est H.). Fête nat. 7 mars, date de la naissance de Georges Perec. Industr. Outre les Notules dominicales de culture domestique, la production de la Notulie est faite de chantiers (interminables) : Mémoire louvrière (œuvres commentées du musée du Louvre), Itinéraire patriotique départemental (descriptions de monuments aux morts régionaux), Invent’Hair (collection d’enseignes de figaros surtout français), Atlas de la Série noire, Films vus à la télévision et au cinéma, Déplacements de 1998 (pays, départements, villes, rues), Souvenirs quotidiens (avant le 4 mars 1997).

Comment accède-t-on à la Notulie ?

On peut s’abonner à la livraison électronique (quasi) hebdomadaire : sur le coup de midi — heure hexagonale —, le dimanche — «le dimanche, c’est […] le jour des notules» —, dans votre boîte de courriel, tombent les Notules dominicales de culture domestique. On dit alors que «les Notules sont servies». Pour les recevoir — et devenir «notulien de base» —, il faut en faire la demande : «les notuliens sont des victimes consentantes».

On peut consulter le site de leur auteur, Philipppe Didion, et lire les nouvelles livraisons au fur et à mesure qu’elles paraissent, de même que les plus anciennes. (Le titre du site est légèrement différent : s’y ajoute «(et de villégiature exotique)»).

On peut enfin lire le recueil qu’a publié publie.net en 2008 — puis, si on n’est pas déjà un abonné, le devenir ou aller visiter le site.

Peu importe : tous les chemins devraient mener à la Notulie.

La mission du notulographe tient en quelques mots :

Recension critique hebdomadaire des livres lus pendant la semaine, accompagnée d’un aperçu sur certains chantiers en cours et de quelques considérations plus ou moins inintéressantes sur ma trépidante existence.

Voilà qui paraît simple : livres lus, chantiers en cours, considérations autobiographiques. Mais l’est-ce (simple) ? Allons voir le recueil.

Philippe Didion y a sélectionné des textes parus entre 2001 et 2007, qu’il publie en ordre chronologique (chaque entrée est titrée, numérotée, datée). Ils sont de longueurs très variables. Exemple (radical) : «Samedi. (Bâillements). (no 284, 3 décembre 2006).» D’autres entrées font quelques pages.

Listes à l’appui, on y découvre ses goûts littéraires et cinématographiques : le roman policier, l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle), les finalistes du prix René-Fallet (il est du jury), les films français de série B; en ces domaines, l’érudition (primesautière) est constante. Sans être un grand défenseur du sport professionnel, le notulographe est pourtant fort attaché à son club de football, le SAS Épinal. Ses marottes reviennent au fil des pages : il ne mange pas — il croûte; il ne prend pas le métro — il métrotte. Il est plus porté sur le train que sur la voiture (ce qui, si l’on se fie à ses récits, est un choix judicieux). En matière de chasse à l’aptonyme, il n’a de leçon à recevoir de personne, pas même d’Antoine Robitaille.

Professeur de collège, il n’est pas toujours d’accord avec les autorités ni les programmes officiels. En société, il a un idéal — la transparence — et un ennemi — le chauffeur de bus. De-ci de-là, on apprend des choses sur sa santé : il a été grand brûlé, il est abstinent par obligation, il ne multiplie pas les exploits musculaires, il fume, il est adepte de la sieste («ma présence est indispensable at home, personne ne peut faire la sieste à ma place»). Plus jeune, il a fait son service militaire et joué dans le groupe musical Garlamb’Hic. Sa famille est fréquemment mise en scène : à l’officine, Caroline; leurs filles, Alice la cadette et Lucie l’aînée (on peut mesurer l’évolution de son diabète sous la rubrique «Vie merdicale»). On suit ce quatuor spinalien, «la Didionnée», en villégiature, où le pater familias aligne les triomphes halieutiques. Quelques passages plus sombres racontent des deuils. Philippe Didion est un homme d’habitudes, mais aussi de fidélités.

En Notulie, plusieurs qualités sont essentielles : le plaisir de dire je, la qualité du regard, une mémoire fertile, le sens de l’humour («Il y a décidément plus de pédophiles chez les instituteurs que chez les gérontologues»), le refus de l’esprit de sérieux («j’ai des convictions, auxquelles je n’hésite d’ailleurs pas à tordre le cou dès que ça m’arrange»), une bonne dose d’autodérision («Nous faisons un tour dans la ville, d’abord austère mais pas dépourvue de charme. Un peu comme moi, quoi»).

Philippe Didion a beau dire de son «aventure» qu’elle est «modeste et artisanale», ses lecteurs reviennent de Notulie la besace pleine. On pourrait dire de lui ce qu’il écrit de Jean-Claude Bourdais :

À cause aussi de l’empathie qui finit par se créer avec l’homme. Non que celui-ci déploie des trésors de séduction mais parce que, c’est le propre de ces ouvrages quand ils sont réussis, on finit par l’accepter comme un compagnon de sa propre vie, on s’attache à lui et parce que la manque d’indulgence dont il fait preuve pour lui-même vous renvoie à votre propre médiocrité.

Bienvenue en Notulie.

P.-S. — On l’aura compris : il existe un vocabulaire de la Notulie. On le trouve dans la livraison du 10 janvier 2010.

 

[Complément du 16 décembre 2012]

Notulographe et notuliens sont tous embarqués à bord du même navire, le Notulus (livraison du 9 décembre 2012).

 

[Complément du 14 octobre 2018]

Les archives de la Notulie sont disponibles en ligne sur deux sites.

Archives 2001-2011 : http://pdidion.free.fr/

Archives 2011-2018 : https://notulesdominicalesblog.wordpress.com/

 

[Complément du 13 mars 2023]

Sur Twitter, Bibliomancienne «vote pour une notulocratie plus représentative des notuliennes». Dont acte : voir la correction ci-dessus. Elle propose aussi de parler de «notulosphère». Dont acte, bis.

 

[Complément du 17 décembre 2023]

En 2023, le Notulographe présentait son travail sur les ondes de Radio Cristal, «La radio au cœur des Vosges». Ça s’écoute ici.

 

[Complément du 14 juillet 2024]

Le Didion Swinging System a dorénavant sa chaîne vidéo.

 

Référence

Didion, Philippe, Notules dominicales de culture domestique, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Temps réel», 2008, 355 p. Édition numérique.