Entretenir le dictionnaire

En 2008, à l’initiative de Monique Cormier, collègue et néanmoins amie de l’Oreille tendue, s’est tenu le concours «J’ajoute un québécisme au dictionnaire». Les auditeurs de la radio de Radio-Canada étaient invités à soumettre leurs propositions de québécisme à inclure dans trois dictionnaires : le Petit Robert, le Petit Larousse et le Multidictionnaire de la langue française.

Une première sélection a été faite par un jury composé de Louise Beaudoin, Guy Bertrand, Monique Cormier, Noëlle Guilloton et l’Oreille.

Par la suite, Alain Rey (le Petit Robert), Yves Garnier (le Petit Larousse) et Marie-Éva de Villers (Multidictionnaire de la langue française) ont retenu un mot et l’ont incorporé à la nomenclature de leur ouvrage.

Résultats ?

Guidoune : proposé par Jean Hudon de Montréal, choisi par Alain Rey pour le Petit Robert.

Motton : Raymond Pellerin, gagnant par tirage (le mot ayant été proposé par plus d’une personne), choisi par Yves Garnier pour le Petit Larousse.

Hameçonnage : proposé par Sylvie Charbonneau de Montréal, choisi par Marie-Éva de Villers pour le Multidictionnaire de la langue française.

Les trois lexicographes ont expliqué leur choix au micro de Joël Le Bigot le 5 avril 2008.

Pourquoi parler de cela aujourd’hui ? Parce que l’Oreille tendue sera demain, le 5 juin, autour de 9 heures, chez Catherine Perrin, à l’émission Médium large de la radio de Radio-Canada, pour proposer l’inclusion de quelques mots aux dictionnaires courants. Elle sera en compagnie d’Antoine Robitaille (le Devoir) et de Catherine Perreault-Lessard (Urbania).

Langue péripatéticienne

Débat, sur remileroux.net, au sujet de la façon de traiter le féminin dans le Petit Robert junior. S’agit-il de stigmatisation, comme le dit l’auteur de l’article ? Ou d’un des effets pervers de la nomenclature retenue, selon quelques-uns des commentateurs ? Allez-y voir.

Ce débat a rappelé à l’Oreille tendue un tableau fort pratique, que lui a fait découvrir un jour sa collègue @AndreaOberhuber.

Un gars : c’est un jeune homme.
Une garce : c’est une pute.

Un courtisan : c’est un proche du roi.
Une courtisane : c’est une pute.

Un masseur : c’est un kiné.
Une masseuse : c’est une pute.

Un coureur : c’est un sportif.
Une coureuse : c’est une pute.

Un rouleur : c’est un cycliste.
Une roulure : c’est une pute.

Un professionnel : c’est un sportif de haut niveau.
Une professionnelle : c’est une pute.

Un homme sans moralité : c’est un politicien.
Une femme sans moralité : c’est une pute.

Un entraîneur : c’est un homme qui entraîne une équipe sportive.
Une entraîneuse : c’est une pute.

Un homme à femmes : c’est un séducteur.
Une femme à hommes : c’est une pute.

Un homme public : c’est un homme connu.
Une femme publique : c’est une pute.

Un homme facile : c’est un homme agréable à vivre.
Une femme facile : c’est une pute.

Un homme qui fait le trottoir : c’est un paveur.
Une femme qui fait le trottoir : c’est une pute.

La langue n’est pas neutre. On le savait, mais il n’est pas mauvais de le répéter.

P.-S. — L’Oreille est bibliographe. Elle se sent donc fort mal de ne pas pouvoir attribuer précisément ce texte à son auteur.

 

[Complément du jour]

Il suffisait de demander : une fidèle lectrice de l’Oreille tendue attire son attention sur la chanson «C’est une pute» du «rappeur fictif» Fatal Bazooka sur son album T’as vu (2007). On peut l’entendre ici. Ses paroles ne correspondent pas exactement au texte qu’on peut lire ci-dessus, mais l’esprit, lui, est précisément le même.

 

[Complément du 8 février 2015]

On peut donc comprendre cette personne d’avoir choisir entraîneure plutôt qu’entraîneuse.

Entraîneure ou entraîneuse ?

 

 

[Complément du 5 mars 2016]

Sur la question de la féminisation des titres de fonction, l’Oreille tendue recommande un billet de la chronique de Michel Francard, «Vous avez de ces mots…», paru le 4 mars 2016 dans le Soir (Belgique).

 

[Complément du 25 août 2016]

Sonia Rykiel vient de mourir. Interrogation de Nicolas Ancion sur Twitter : «Pourquoi est-ce que “couturière” évoque une petite main, là où “couturier” fait haute couture ?»

Taper dans le tableau de bord

Les habitués de l’Oreille tendue se souviendront peut-être que, s’agissant de la diaphore, il avait aussi été question de l’usage du verbe fesser au Québec.

Ce verbe n’y signifie pas uniquement «Battre en donnant des coups sur les fesses, donner la fessée à (qqn)» (le Petit Robert, édition numérique de 2010), mais aussi frapper (fort), donner un coup. La construction fesser quelqu’un est usuelle, de même que ça fesse, pris absolument. Exemple : «Dégat de la route du #tremblementdeterre ça fesse en 5 secondes» (Twitter).

En 1980, Léandre Bergeron signalait qu’on peut aussi «fesser sur un clou avec [un] marteau» (p. 223). L’année suivante, il répertoriait fesser dans l’mille (p. 100), où fesser est évidemment le synonyme de taper.

Il y a peu, sur Twitter, @LucieBourassa, une collègue de l’Oreille, s’enthousiasmait pour une expression contenant le verbe qui nous occupe : «“Ça fesse dans l’dash!” Voilà une #expression réussie! littéralement #percutante #monosyllabes #fricatives #dentales Bref, #ÇaFesseDansLDash.»

Autre exemple, déjà répertorié en 2004 dans le Dictionnaire québécois instantané : «Avec ses scènes de sexe explicites et ses meurtres carabinés, cette espèce de Thelma & Louise version hardcore, qui se situe entre road movie sanguinolent et film de cul trash-qui-fesse-dans-le-dash, est à déconseiller aux âmes sensibles» (la Presse, 15 septembre 2000).

Fesser dans le dash, donc. Ce superlatif de fesser fait appel au vocabulaire de l’automobile (tableau de bord => dashboard => dash). On peut légitimement se demander pourquoi.

P.-S. — Franqus. Dictionnaire de la langue française. Le français vu du Québec, ce dictionnaire numérique actuellement en période d’essai gratuite sur le Web, connaît fesser sur un clou avec un marteau, mais pas fesser dans le dash.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Autopromotion 043

La 4e Journée québécoise des dictionnaires se tiendra le 4 octobre à Montréal. Son thème ? «Du papier au numérique : la mutation des dictionnaires.» L’Oreille tendue en présidera une des séances.

Le journal le Devoir des 29-30 septembre lui consacre un cahier spécial.

Le programme du colloque est disponible ici.

Autopromotion 040

La 4e Journée québécoise des dictionnaires se tiendra le 4 octobre 2012, à Montréal, sur le thème «Du papier au numérique : la mutation des dictionnaires».

L’Oreille tendue fait partie du Comité scientifique et organisateur, et elle vous invite à participer à cette journée.

On apprend tout ici.