Lettre à Pierre Houde

Cher Pierre Houde,

Au fil des ans, j’ai pris plaisir à vous entendre décrire les matchs de hockey à la télévision.

En suivant la Coupe du monde 2014 dans le poste, j’ai eu plusieurs réactions. Je vous en indique deux.

La première est que vous me manquez, notamment quand j’entends les présentateurs des matchs à Radio-Canada (Michel Chabot, René Pothier) affubler les joueurs de noms anglophones même s’ils ne sont pas anglo-saxons. Ils se surpassent dans les matchs de l’équipe des Pays-Bas, où plusieurs joueurs — Van Persie, Sneijder — semblent être devenus citoyens américains. Vous savez, vous, qu’il ne faut pas céder à «L’effet Derome», jadis décrié par André Belleau.

La seconde réaction qui me vient en écoutant les matchs de football (de soccer) à la télévision est que la langue du foot pourrait, à l’occasion, permettre à la langue de puck de se renouveler. Des exemples ?

Effacer un joueur, c’est mieux que simplement le déjouer, non ?

Percuter un adversaire a au moins autant de punch que de le mettre en échec.

Un joueur part en échappée ? C’est qu’on a ouvert un boulevard à ce joueur lancé.

Il y a des feintes sur la glace. Pourquoi ne pas les décrire, comme sur la pelouse, en parlant de petit pont et de grand pont ?

Le devant du filet, oui. Sa façade, aussi.

Le centre de la glace, oui. L’axe, également.

Votre collègue Martin McGuire a déjà adopté dribbler, mais pas vous. Vous préférez transporter le disque, contrôler la rondelle, voire tricoter. (Je n’ai rien contre.)

Partir en contre, c’est bien l’équivalent, en moins guerrier, de la contre-attaque ?

On souhaite que tous les tirs au but soient cadrés.

(Soyez rassuré : je ne souhaite pas que les joueurs des Canadiens se mettent à faire des bicyclettes ni que leurs partisans deviennent des hooligans. Les gardiens ne devraient pas boxer la rondelle, non plus.)

Ce ne sont là qu’une douzaine d’exemples, mais il me semble que cela donnerait de la variété à la description télévisuelle hockeyistique.

Au plaisir de continuer à vous entendre,

L’Oreille tendue

P.-S. — Vous me permettrez un (minuscule) reproche avant de terminer ? Non, tentativement n’existe pas en français. Sorry.

 

Références

Belleau, André, «L’effet Derome ou Comment Radio-Canada colonise et aliène son public», Liberté, 129 (22, 3), mai-juin 1980, p. 3-8; repris, sous le titre «L’effet Derome», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 82-85; repris, sous le titre «L’effet Derome», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 107-114; repris dans Laurent Mailhot (édit.), l’Essai québécois depuis 1845. Étude et anthologie, Montréal, Hurtubise HMH, coll. «Cahiers du Québec. Littérature», 2005, p. 187-193; repris, sous le titre «L’effet Derome», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 105-112. https://id.erudit.org/iderudit/29869ac

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Ne parlons pas religion

Soit le commentaire suivant, signé par un chroniqueur du site RDS.ca, qui en a contre les joueurs des Canadiens de Montréal — c’est du hockey — qui ne démontre(raie)nt pas les efforts nécessaires par les temps qui patinent :

Les passagers des derniers matchs avaient déjà été identifiés : Pacioretty, Bourque, Plekanec, Subban, Eller, Gionta, Vanek et Emelin. Par passagers, on sous-entendait des éléments qui n’apportaient à peu près rien sur le plan des statistiques ou qui se prenaient carrément le moine pendant qu’un petit groupe de coéquipiers, toujours les mêmes, se tuaient à l’ouvrage.

Deux remarques.

On pourra ajouter passagers à Langue de puck. Abécédaire du hockey, petit ouvrage que publiait l’Oreille tendue il y a quelques semaines.

On notera que lesdits passagers sont réputés se prendre le moine. De quoi s’agit-il ?

Sans entrer dans des détails scabreux, on dira que le moine, pour utiliser la langue du hockey, se trouve dans le bas du corps. Qui se le prend paresse. Pour un joueur de hockey, ce n’est pas bien.

P.-S. — On voit aussi se pogner le moine ou se pogner le beigne. C’est dans la même région.

P.-P.-S. — Ce moine se prononce fréquemment mouène.

P.-P.-P.-S. — Un collègue de l’Oreille, Olivier Bauer, ne cesse de le démontrer : hockey et religion ont partie liée au Québec. Cela étant, il ne paraît pas à l’Oreille que la dimension religieuse de ce moine soit clairement démontrée.

 

[Complément du 2 avril 2022]

On peut aussi se pogner le morceau. Ce n’est pas mieux.

 

Référence

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Dix questions d’avant-match

Les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — risquent l’élimination ce soir contre les Rangers de New York. Cela oblige l’amateur, ce gérant d’estrade, à se poser des questions.

(Ces questions ne sont pas sans rapport avec les clichés énumérés par l’Oreille tendue le 14 mai dernier.)

Les Montréalais pourront-ils forcer la tenue d’un septième match ?

Y aura-t-il des passagers ou tous les joueurs seront-ils impliqués ?

Seront-ils capables de puiser dans leurs ressources ? Joueront-ils du hockey inspiré ?

Qui se lèvera et élèvera son jeu d’un cran ? Le joueur clutch, cet homme des grandes occasions, ce money player, se manifestera-t-il ?

Un gardien sera-t-il plus fumant que l’autre ?

Le personnel d’entraîneurs saura-t-il apporter les ajustements nécessaires ?

Quelle équipe réussira la première à se forger une avance, voire une avance confortable ? Cette équipe pourrait dicter l’allure du match. Pour cela, il n’est pas plus mal de sortir des blocs gonflé à bloc (oui, c’est une diaphore).

Qui fermera les livres ?

Tant de questions, si peu de temps de glace.

P.-S. — Les expressions en italique ci-dessus rejoignent celles qui se trouvent dans Langue de puck. Abécédaire du hockey, le petit livre que faisait paraître l’Oreille tendue chez Del Busso éditeur en mars dernier.

 

Référence

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

 

Ébullition de testostérone

Dans un match de hockey, il arrive que les joueurs se battent. (C’est stupide, mais c’est comme ça.)

Comment dire ce qui se passe alors ? Quand il y a de vrais coups, on parle de bagarre, d’échauffourée ou de bataille. Quand on ne fait que se colletailler, il y a escarmouche. Il s’agit, dans les deux cas, de brasse-camarade.

D’où cela vient-il ? C’est qu’un joueur a cherché noise à un autre, qu’ils ont eu maille à partir.

Le hockey est un sport jeune, avec un vieux vocabulaire.

P.-S. — Les belligérants (toujours au pluriel) peuvent être désignés de plusieurs façons; voir ici.

P.-P.-S. — Oui, c’est de la langue de puck.

 

[Complément du 8 juin 2022]

Quand les joueurs s’invitent à danser ou à valser, on emploie aussi bousculade et rififi.

 

Référence

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

 

Requiem pour un tir

Brasserie Dow, calendrier publicitaire, 1955

Parmi l’arsenal à la disposition des joueurs de hockey, il y a le lancer du revers ou le revers, ce tir qui utilise l’extérieur de la lame du bâton plutôt que l’intérieur.

À ce sujet, le beau-père du journaliste Yves Boisvert est formel :

Il a ajouté […], en voyant Pacioretty rater le but avec son revers, que «Maurice Richard n’aurait jamais manqué ça», avant d’accuser les bâtons trop recourbés qui cassent tout le temps et le déclin catastrophique des tirs du revers dans le hockey moderne (la Presse, 22 mai 2014, cahier Sports, p. 4).

L’affaire serait entendue : le tir du revers serait une chose du passé. On se le dit depuis longtemps dans les discussions familiales.

Stéphane contempla rêveusement les souvenirs du célèbre joueur. À son époque, Maurice Richard avait marqué 50 buts en 50 parties. Son grand-père lui avait répété à maintes reprises que plus personne aujourd’hui ne savait compter des buts comme Maurice Richard. On avait oublié comment frapper du revers. D’après lui, un bâton à palette recourbée ne permettait pas un lancer du revers digne de ce nom (Roy MacGregor, le Vol de la coupe Stanley, p. 64).

Dans le bon vieux temps, celui des six équipes, on marquait nombre de buts de cette façon. Ce revers-là était un gage de succès. De celui de Maurice Richard, Stan et Shirley Fischler n’hésitaient pas à écrire, dans leur Great Book of Hockey, que c’était «the most lethal backhand in hockey» (1991, p. 146).

Les valeurs se perdent.

P.-S. — L’Oreille tendue a cité Roy MacGregor dans son Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso, 2014).

 

Illustration : Brasserie Dow, calendrier publicitaire, 1955

 

Références

Fischler, Stan et Shirley, Great Book of Hockey. More than 100 Years of Fire on Ice, Lincolnwood, Publications International, 1991, 336 p. Ill. Édition mise à jour.

MacGregor, Roy, le Vol de la coupe Stanley, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 2, 2005, 140 p. Traduction de Jean-Pierre Davidts. Édition originale : 1995.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture