Les (non-)mots du hockey

Palet (au lieu de rondelle)

Rédigeant d’abord son «Dictionnaire des séries», puis son Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), l’Oreille tendue s’est appliquée à recenser et à définir les mots les plus courants du hockey. Qu’en est-il des mots peu courants ?

Il y a, parmi eux, les mots retenus dans une culture et pas dans une autre. Pas de palet au Québec, mais la rondelle, le disque, le caoutchouc, l’objet, la noire, la puck. Pas plus de gouret, de crosse ou de canne, mais le bâton ou le hockey.

Les médias québécois engagent des joueurnalistes, tandis que les hexagonaux préfèrent des consultants.

Sauf Martin McGuire, les descripteurs de matchs de hockey n’utilisent pas dribbler pour désigner le fait, pour un joueur, d’être en mouvement et de manier la rondelle. Ils emploient plutôt transporter le disque ou tricoter.

En séries éliminatoires, quand on joue des quatre de sept, il est rarissime qu’on dise du match décisif que c’est la belle. Exceptions : l’ami Jean Dion (le Devoir, 13 mai 2014, p. B6) ou tel joli titre, bien euphonique, du Devoir («La belle au Centre Bell», 14 mai 2014).

L’équipe qui gagne la coupe Stanley gagne… la coupe Stanley. Il est peu fréquent, de ce côté-ci de la patinoire, de parler de championnat.

Au football — au soccer —, quand deux villes voisines s’affrontent, il y a derby. Personne ne dit cela quand Montréal rencontre Ottawa.

C’est comme ça.

 

[Complément du 25 janvier 2015]

Étiemble proposa un jour de traduire derby par match de terroir ou de voisinage (éd. de 1991, p. 55). Il ne paraît pas avoir été beaucoup entendu.

 

Références

Étiemble, Parlez-vous franglais ? Fol en France. Mad in France. La belle France. Label France, Paris, Gallimard, coll. «Folio actuel», 23, 1991, 436 p. Troisième édition. Édition originale : 1964.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

 

Du miroir photographique

Autoportrait au crâne

Le selfie a déjà fait couler beaucoup (trop) d’encre. Et il a essaimé.

Une photo de téléphone cellulaire (les portables hexagonaux) ? Un cellfie.

Une photo devant sa bibliothèque ? Un shelfie.

Une photo de fermier ? Un felfie.

On n’arrête pas le progrès.

P.-S. — En français ? Selon l’un, égoportrait, autoportrait ou autophoto. Selon un autre, moivatar.

 

[Complément du 11 juillet 2014]

Et ça continue…

Avec un phoque ? Un sealfie (#sealfie).

Avec un poisson ? Un selfish (@danyturcotte).

Au bureau de vote ? Un selfisoloir (Émilie Mouchard).

Aux chiottes ? Un scato-selfie (@culturelibre).

 

[Complément du 12 janvier 2016]

Fournée du jour…

En allaitant ? Un brelfie (#brelfie).

En voyageant ? «Un égoportrait fait à Terre-Neuve s’appelle-t-il un snewfie ?» (@Franciskl)

En faisant voler un drone ? Un dronie.

En vous tenant près d’un être cher ? Un relfie.

Campagne Centraide, métro de Montréal, janvier 2016

Divergences transatlantiques 031

L’Oreille tendue dispose d’un réseau international (pour ne pas dire plus) d’informateurs à l’oreille tendue.

Il y a peu, un de ces informateurs attirait son attention sur l’utilisation du mot lunatique au Québec.

Le Trésor de la langue française informatisé donne du substantif lunatique un sens général — «Celui, celle qui est influencé(e) par la lune, qui présente des caractères rappelant certains aspects de la lune ou de son influence» — et trois sens particuliers — «Personne atteinte de folie», «Personne atteinte d’épilepsie, possédée du démon» (dans l’Évangile), «Personne fantasque, capricieuse, d’humeur changeante».

Le Petit Robert (édition numérique de 2014) est conscient d’un particularisme local. Après les définitions «VIEUX Soumis aux influences de la lune et, de ce fait, atteint de folie périodique» et «MOD. Qui a l’humeur changeante, déconcertante», on y trouve en effet celle-ci : «RÉGIONAL (Canada) Distrait (cf. Dans la lune*).» C’est juste, mais peut-être insuffisant.

Prenons un texte paru le 16 février dernier dans la Presse+ sur la bande dessinée Peanuts et son rapport au sport. On y lit ceci :

Charlie Brown, éternel perdant terriblement seul sur son monticule [l’endroit d’où on lance au baseball], est le capitaine de la pire équipe de baseball junior [?] des États-Unis, formée de lunatiques, de joueurs récalcitrants ou trop sensibles et même d’un chien, Snoopy, qui s’avère le meilleur joueur, ce qui en dit long sur les performances du groupe.

Lunatiques désigne-t-il uniquement des joueurs distraits ? Non. Il y a certes de la distraction dans le substantif lunatique au Québec, mais aussi de la bizarrerie — c’est le cas des coéquipiers de Charlie Brown —, voire un brin de folie. L’emploi québécois de lunatique rejoint par là un de ses sens anciens, peut-être par contamination de l’anglais («“Lunatic” is an informal term referring to people who are considered mentally ill, dangerous, foolish or unpredictable», dit Wikipedia).

Un mot en cache souvent plusieurs autres.

Et voilà le travail !

Un fidèle bénéficiaire de l’Oreille tendue, dans les commentaires de l’article sur le genre du mot deadline des deux côtés de l’Atlantique, pose la question suivante : «Qu’en est-il du genre du mot “job” ? Féminin au Québec et masculin en France ?»

La réponse est un peu plus complexe.

En effet, au Québec, job, prononcé djobbe, est féminin dans la langue courante, mais (le plus souvent) masculin dans les médias (écrits).

«“Il était très fier. Il disait : ‘Il y a plusieurs patrons au SPVM et à la SQ qui auraient voulu ce job, mais c’est moi qui l’ai eu’”, décrit une personne de son entourage» (la Presse, 22 janvier 2014).

«Quelqu’un d’autre aurait pu créer le même effet, mais à ce moment-ci, personne d’autre que lui n’avait le charisme communicationnel indispensable à ce job» (le Devoir, 4 janvier 2014, p. B4).

Le Petit Robert (édition numérique de 2014) a donc tort d’affirmer, sans distinguer : «Ce mot est féminin au Canada : une job intéressante. “ton père a encore perdu sa job” (G. Roy).» (Merci d’avoir cité Gabrielle Roy; ça fera plaisir à François Bon.)

Marie-Éva de Villers, dans son Multidictionnaire de la langue française (cinquième édition, édition numérique) ne fait pas la distinction (régionale) du Robert : «Cet anglicisme s’emploie dans la francophonie aux sens de “travail de peu d’importance” et de “emploi rémunéré” et son genre est masculin.»

En matière de langue, rien n’est simple. La suivre est une grosse djobbe.

 

[Complément du 17 février 2015]

Les enseignants québécois sont en rogne contre leur gouvernement provincial. Le quotidien la Presse du jour décrit leur projet : des «commandos d’enseignants» devraient se lancer dans des moyens de pression — et donner à chacun un nom. Il y aurait notamment «Fais mon job, tu veux ?». Sur Twitter, @revi_redac écrit : «Oui aux actions de la Fédération des syndicats de l’enseignement, mais non à “Fais mon job, tu veux ?”. #FémininPlease.» L’Oreille est d’accord avec ce «non».