Divergences transatlantiques 047

Brique

Soit le texte suivant, tiré du recueil de nouvelles le Palais de la fatigue de Michael Delisle (2017) :

Pourquoi étais-je incapable de suivre ma voie avec l’allant de ce gars dans la brique de Flaubert qui courait d’une demi-mondaine à l’autre, louait des étages d’hôtel, commandait des portraits, engageait des avocats, se présentait comme politicien et intriguait pour obtenir des charges ? Pourquoi étais-je incapable de faire autre chose que de rester assis à attendre qu’on me verse des litres de piquette jusqu’à ce que je m’écroule, offert au premier prédateur qui passe ou qui, désormais, passerait tout droit parce que j’étais trop vieux ? (p. 76)

Un ami français de l’Oreille tendue, appelons-le Le Flaubertien, s’est étonné à la lecture de cette citation devant le mot brique. Il aurait dit, lui, pavé.

L’Oreille, jusque-là, ne s’était jamais avisée de ce sens québécois du mot brique. En revanche, le dictionnaire numérique Usito l’a repéré : «Fam[ilier]. Livre volumineux, à la lecture parfois laborieuse.»

Merci à l’ami et au dictionnaire.

P.-S. — Un lecteur d’un des livres de l’Oreille a déclaré un jour, à la télévision, le tenant dans ses mains, que c’était «toute une brique». Le livre fait 125 petites pages. On peut penser que c’était ironique.

 

[Complément du 28 mars 2017]

Sur Twitter, Michel Francard, le coauteur du Dictionnaire des belgicismes (2010), écrit que cet emploi de brique existe aussi en Belgique.

 

Références

Delisle, Michael, le Palais de la fatigue. Nouvelles, Montréal, Boréal, 2017, 137 p.

Francard, Michel, Geneviève Geron, Régine Wilmet et Aude Wirth, Dictionnaire des belgicismes, Louvain-la-Neuve et Paris, De Boeck et Duculot, coll. «Langue française – Ouvrages de référence», 2010. Ill. Préface de Bruno Coppens.

Du dépanneur : enquête lexicale hors Québec

Jacques Berrtin, le Dépanneur, 2011, couverture

 

Le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française donne du dépanneur, en une de ses acceptions québécoises, la définition suivante : «Petit commerce, aux heures d’ouverture étendues, où l’on vend des aliments et une gamme d’articles de consommation courante.» En anglais, on parlerait de convenience store.

Le Petit Robert (édition numérique de 2014) donne «RÉGIONAL (Canada) Épicerie qui reste ouverte au-delà des heures d’ouverture des autres commerces. Le dépanneur du coin

Lecteurs francophones (hors Québec), comment désigneriez-vous ce commerce de proximité ?

(Prière de répondre ci-dessous, dans la rubrique «Laisser un commentaire». Merci à l’avance.)

Une nation ou deux ?

Dimanche soir, dans une mosquée de la ville de Québec, six hommes ont été assassinés. Comment les désigner ?

On a parlé de «musulmans». Beaucoup ont préféré dire qu’il s’agissait de «Québécois» ou de «Canadiens». Le premier ministre du Québec, à juste titre, évoque les «Québécois de confession musulmane» (la Presse+, 31 janvier 2017).

L’Agence France-Presse (AFP) utilise, elle, une expression inattendue : «Les six personnes tuées étaient toutes des Canadiens binationaux, a indiqué Mohamed Labidi, vice-président du Centre culturel islamique de Québec.» Sa dépêche a été reprise par plusieurs publications françaises et québécoises.

«Binationaux» ? L’adjectif étonne, vu du Québec : si l’on en croit la banque de données médiatique Eureka.cc, aucun média du Canada français n’a utilisé le mot pour désigner les victimes de l’attentat de Québec (sauf pour reprendre la dépêche de l’AFP).

On peut légitimement s’interroger sur son sens. Azzedine Soufiane vivait au Québec depuis près de trente ans. Khaled Belkacemi a obtenu deux diplômes de l’Université de Sherbrooke, l’un en 1986, l’autre en 1990, et il était professeur à l’Université Laval. Que voudrait dire «binationaux» dans leur cas ?

Voilà un adjectif qui en dit long sur la conception que l’on se fait, d’un côté et de l’autre de l’Atlantique, de la citoyenneté.

P.-S. — Merci à Clément Laberge et à Mélika Abdelmoumen d’avoir attiré l’attention de l’Oreille tendue là-dessus.

C’est Noël : aidons le Petit Robert

Le Petit Robert (édition numérique de 2014) connaît deux définitions du mot sous-verre : «Image ou document que l’on place entre une plaque de verre et un fond rigide; cet encadrement. Photos de famille dans un sous-verre. Des sous-verres»; «RÉGIONAL (Belgique, Luxembourg) Petit support sur lequel on pose un verre. => 2. dessous (de verre).»

Précisons : le deuxième sens est aussi commun au Québec, comme l’atteste (!) le tweet suivant.

Il atteste aussi que l’Oreille tendue a été bonne cette année. N’a-t-elle pas reçu de beaux cadeaux ?

P.-S. — Le dictionnaire numérique Usito signale que le deuxième sens est utilisé au Québec, mais pas le Multidictionnaire de la langue française.

P.-P.-S. — Les sous-verres reçus par l’Oreille complètent sa panoplie. Elle avait déjà les chaussettes.

 

Référence

Villers, Marie-Éva de, Multidictionnaire de la langue français, Montréal, Québec Amérique, 2015, xxvi/1855 p. Sixième édition.

Divergences transatlantiques 046

Ce tweet est passé sous les yeux de l’Oreille tendue l’autre jour :

«Chronique poche» de la revue En attendant NadeauIl pourrait troubler ses lecteurs québécois, à cause du mot poche.

Bien sûr, il y a au Québec des livres de poche et on peut leur consacrer une «chronique», la «chronique poche».

Le mot est aussi synonyme de nullité : une «chronique poche» peut être une chronique nulle, mauvaise, sans intérêt.

Il ne faudrait pas confondre.

 

[Complément du 19 juin 2017]

La remarque est aussi valable en matière de dictionnaires. (Merci à Francis Lalumière pour l’image.)

Le Robert & Collins. Anglais. Poche, couverture