L’art du portrait pour confiseur

 Jean Echenoz, Au piano, 2003, couverture

«Toujours sans se retourner, tout en cherchant le bouton fugitif, Max vit s’amplifier dans le miroir la silhouette massive et dégarnie de Parisy, physique de loukoum rétractile à grosses lunettes, costume croisé, transpiration chronique et tessiture de ténor léger.»

Jean Echenoz, Au piano. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2003, 222 p., p. 19.

L’art du portrait en miniature

Jean Echenoz, les Grandes Blondes, 1995, couverture

«Béliard est un petit brun maigrelet, long d’une trentaine de centimètres et présentant un début de calvitie, une raie sur le côté, une lèvre supérieure et des paupières tombantes, un teint brouillé. Il est vêtu d’un complet de coton brun, cravate violet foncé, petits souliers marron glacé cirés à la salive. Visage veule assez disgracieux quoique expression déterminée. Bras croisés, ses doigts dépassant de manches un peu trop longues pianotent sur ses coudes.»

Jean Echenoz, les Grandes Blondes. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1995, 250 p., p. 36.

Quasi-otoflorilège

Cela n’étonnera personne : quand elle entend le mot oreille, l’Oreille tendue tend la sienne. Il lui arrive même de s’imaginer constituant, en tout bien tout honneur, un florilège de l’oreille : un otoflorilège qui aurait, en quelque sorte, valeur d’autoflorilège.

Les jours où ça ne va pas, elle citerait Tout ce que je sais en cinq minutes de Corey Frost — «Les désavantages d’avoir des oreilles» (p. 51) —, Claire Legendre — une des protagonistes de Viande est «devenue une oreille à recueillir les déchets des gens» (p. 183) — ou Diderot — «Cet organe-là que j’ai aux deux côtés de ma tête a quelque chose de bizarre» (Leçons de clavecin, dixième dialogue).

Pensant à ses lecteurs, elle se souviendrait d’une phrase de Benjamin Péret : «Chaque jour ils reçoivent une oreille […].»

Elle craindrait parfois qu’ils ne lui soient plus fidèles : «Entre les dernier Panama [sic] de l’été, tu as essayé plusieurs paires d’oreilles» (Chanson française, p. 51).

Elle souhaiterait plutôt les entendre déclarer : «Vous avez de l’oreille» (le Méridien de Greenwich, p. 133).

Puis elle se dit que ce projet d’otoflorilège n’a guère de sens, et elle l’abandonne.

 

Références

Echenoz, Jean, le Méridien de Greenwich. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1979, 255 p.

Frost, Corey, Tout ce que je sais en cinq minutes. Fictions, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 54, 2013, 184 p. Ill. Traduction de Christophe Bernard.

Legendre, Claire, Viande, Paris, Grasset, 1999, 187 p.

Létourneau, Sophie, Chanson française. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 70, 2013, 178 p.

Péret, Benjamin, «Pulchérie veut une auto», 1922.

L’art du portrait balafré

Jean Echenoz, les Grandes Blondes, 1995, couverture

«Depuis le tabouret latéral qu’il occupait, Boccara jeta un œil intimidé sur Personnettaz, raidement assis dans un fauteuil devant le bureau de Jouve : sujet maigre et farouche, austère quoique bizarrement déguisé en assureur de fantaisie, costume sable et chemise tête-de-nègre avec cravate vert clair. Cheveux cuivrés, presque roux, taillés comme dans les casernes, joues creuses et front plissé; deux longues rides parallèles à l’axe maxillaire pouvaient passer pour des balafres, des scarifications initiatiques, et son regard gelé pouvait faire peur à Boccara. Son visage reflétait une préoccupation majeure à moins qu’une grande souffrance morale à moins qu’une maladie chronique, un ulcère ou quelque chose. Il était attentif et grave comme chez son docteur.»

Jean Echenoz, les Grandes Blondes. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1995, 250 p., p. 82-83.

L’art du portrait en prédéliquescence

 Jean Echenoz, les Grandes Blondes, 1995, couverture

Boccara «s’examina dans le miroir : toujours le même jeune type un peu replet malgré de jolis yeux de fille, l’air avisé, pas assez petit pour être petit, pas assez gros pour être gros, pas encore assez dégarni pour être vraiment chauve mais tout cela viendrait. Tout cela viendrait donc le préoccupait. Car malgré qu’il en eût, sous vingt ans son avenir était sans doute fixé : lotions et talonnettes, anorexigènes, course à pied, rien n’y ferait.»

Jean Echenoz, les Grandes Blondes. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1995, 250 p., p. 75-76.