Interpeller, toujours

Il y a de ces verbes dont on se dit qu’ils vont bien finir par disparaître. Ainsi d’interpeller, si populaire il y a quelques années dans le lexique psychopop, du temps où tout un chacun était interpellé au niveau de son vécu. Pourtant, ce mot a la vie dure. Deux exemples récents.

«Comme mes prédécesseurs l’ont fait dans le passé, je vous interpelle en ce début d’année scolaire 2009-2010», écrivait la Commission scolaire de Montréal en septembre dernier aux parents de tous ses élèves. Écrire est d’une autre époque.

Circule actuellement dans l’université de l’Oreille tendue un document dont une partie a été rédigée par une firme de consultants. On peut y lire ceci : «Tout changement implique donc une démarche qui peut être interpellée à plusieurs égardsInterpeller, c’est bien; à plusieurs égards, c’est mieux.

On vient de rééditer le Répertoire des délicatesses du français contemporain (2000). Renaud Camus y écrit : «Interpeller a eu son heure de gloire ridicule, qui par chance paraît un peu passée» (éd. de 2009, p. 242).

Nous avons tort.

 

Référence

Camus, Renaud, Répertoire des délicatesses du français contemporain. Charmes et difficultés de la langue du jour, Paris, Points, coll. «Points. Le goût des mots», P2102, 2009, 371 p. Édition originale : 2000.

Rebondir

Expression prisée en rhétorique universitaire : Je vais rebondir sur ce que mon collègue vient de dire. Signe supposé d’une pensée cabriolante. A l’avantage de dispenser d’une argumentation logique.

 

[Complément du 22 avril 2015]

Il y un équivalent dans la langue de Shakespeare : to riff off. Le mot viendrait du vocabulaire du jazz.

 

[Complément du 4 mai 2015]

On peut y aller avec tout son corps : on rebondit soi-même.

On peut être plus économe de ses mouvements et se contenter de prendre la balle au bond.

 

[Complément du 28 mai 2015]

On dirait bien que rechercheisidirore.fr a trouvé le bouton parfait pour l’Oreille tendue.

Le bouton Rebondir du site rechercheisidore.fr

 

[Complément du 31 janvier 2018]

Le 16 mars 2011, Jean Echenoz présentait l’œuvre de Raymond Roussel au public de la Bibliothèque nationale de France. Vers la 31e minute de la captation vidéo de son intervention, il déclare «J’aime pas le verbe rebondir.» Merci.

 

[Complément du 11 novembre 2020]

Ne dites plus : «Synthèse des thèmes de la journée.» Dites plutôt : «Rebonds sur les thèmes de la journée.»

«Rebonds» dans un programme de colloque, 2020

Des goûts et des saveurs…

À saveur : l’expression fait florès au Québec. Dans la Presse du 16 septembre, elle apparaît deux fois dans le premier cahier : «Ignatieff fait deux promesses à saveur internationale» (p. A2); «Une rencontre à saveur économique» (p. A17). Un peu plus tôt cette année, on pouvait lire dans le même journal : «Un défilé à saveur historique et multiculturelle» (25 juin 2009, p. A2).

Il est vrai que l’exemple vient de haut : «Du matériel didactique, parfois à saveur culturelle, a été mis à la disposition de nos professeurs […]» (Commission scolaire de Montréal, 2004-2005).

La cour menacée

Où l’équipe-école se rassemble-t-elle ? Dans le parc-école — cela va de soi —, mais sans le meilleur ami de l’homme. L’école du plus jeune fils de l’Oreille tendue le dit clairement : «Les chiens sont interdits sur le terrain de l’école et dans le parc-école en tout temps.» Il n’y a pas si longtemps, c’était la cour, non ?