Aller au fond du canal avec Serge Bouchard

Balle bleu-blanc-rouge

Serge Bouchard a grandi à Pointe-aux-Trembles; l’Oreille tendue, à Repentigny. Ne les séparaient donc que le pont Le Gardeur et une dizaine d’années. Ils partageaient cependant un vocabulaire commun.

Exemple :

Je plonge une autre fois dans l’univers de mon passé et j’y retrouve des crapauds à la pochetée. Nous jouions au hockey dans la rue et une balle bleu-blanc-rouge nous servait de rondelle. À cette époque pas si lointaine mais désormais fort éloignée en raison des progrès enregistrés dans le génie civil et public, les couvercles des puisards se distinguaient par la grande ouverture des fentes qui permettaient à l’eau de s’y engouffrer. Les ingénieurs d’alors songeaient à la course de l’eau, mais ils n’avaient guère de sensibilité pour les cyclistes ou même pour les handicapés. Mais ils oubliaient surtout les jeunes joueurs de hockey dont l’enthousiasme était trop souvent brisé par la chute de leur unique balle dans ce que nous appelions tout simplement le canal (p. 186).

Le canal; oui, évidemment.

 

Référence

Arcand, Bernard et Serge Bouchard, «Le crapaud», dans Du pâté chinois, du baseball, et autres lieux communs, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1995, 226 p., p. 179-193.

Tataouinage baseballistique

Baseball, dessin de presse, 1901

Soit la phrase suivante, tirée de la Presse+ du jour : «De nouvelles tactiques, comme la multiplication des releveurs, ont ralenti le rythme du jeu. Mais le vrai coupable, c’est le tataouinage.»

Elle demande deux explications.

Les tactiques dont il est question sont celles des joueurs de baseball. Elles ont pour effet d’allonger indûment les matchs. La direction des ligues majeures vient d’imposer de nouvelles règles pour y mettre fin.

Le tataouinage, dans le français populaire du Québec, désigne le fait de prendre trop de temps, de ralentir une action, de perdre et de faire perdre son temps. Pierre Corbeil parle de «complication inutile» (p. 37); Léandre Bergeron, de «niaisage» (p. 481).

À votre service.

 

P.-S.—Oui, on peut dire des personnes qui tataouinent qu’elles brettent.

P.-P.-S.—Le Fichier lexical du Trésor de la langue française au Québec propose 33 citations comportant tataouinage.

 

[Complément du 9 décembre 2024]

Un lecteur de l’Oreille lui indique l’étymologie proposée par la suite logicielle Antidote :

Remarque. — Le verbe québécois tataouiner résulte probablement du croisement de dérivés dialectaux du verbe tâter. Son sens correspond, de fait, à celui généralement véhiculé par ces dérivés, soit «faire de petits aller-retour (physiques ou mentaux)», qui constitue une extension du sens «toucher plusieurs fois avec les mains» de tâter. Ainsi, en gallo, on a tantouiller (ou tantouillë) «agiter un objet dans l’eau ou dans la boue». En normand, on a tatouiller «barbouiller». Dans la même langue, on a enfin tatiner «marchander à l’excès». Les meilleurs candidats pouvant prétendre à la paternité du mot québécois sont tatouiller et tatiner.

Merci.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Corbeil, Pierre, Canadian French for Better Travel, Montréal, Ulysse, 2011, 186 p. Ill. Troisième édition.

L’Oreille est rassurée

Dans le Dictionnaire québécois instantané qu’elle cosignait en 2004, l’Oreille tendue octroyait des prix aux mots à succès au Québec, les «Perroquets» (d’or, d’argent, de bronze). Le mot extrême était arrivé en tête.

Depuis, périodiquement, elle de demande si le mot a encore cours, d’où la rubrique «Extrême».

Les journaux de la fin de semaine la rassurent : «Oser la rénovation extrême», titre la Presse+; «Au-delà des sports extrêmes», répond le Devoir.

Ouf.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Extrême un jour, extrême toujours

Trampoline extrême (titre de la la Presse+)

Il y a longtemps que l’Oreille tendue a à l’œil le mot extrême (voir ici, par exemple). Il y a même une catégorie à lui réservée (c’est par là).

À l’occasion, l’Oreille se demande si le mot est toujours aussi populaire. C’est généralement à ce genre de moment qu’elle tombe sur des titres comme ceux-ci.

«Perquisition extrême : les policiers récupèrent le cellulaire qu’un détenu avait avalé» (@beaudoinsop, 21 novembre 2017).

«Ceci est la plus longue et la plus extrême rampe de mise à l’eau au monde !» (la Presse+, 30 septembre 2017)

«Un PDG adepte de vélo extrême» (la Presse+, 25 juillet 2017).

«Finances personnelles extrêmes» (la Presse+, 22 avril 2017).

«À cet égard, je salue l’ouverture d’esprit de Denys Arcand qui a accepté de complètement abandonner son œuvre afin qu’elle subisse une transformation extrême. Ce ne sont pas tous les auteurs qui accepteraient cela» (la Presse+, 4 mars 2017).

Cela rassure l’Oreille, en quelque perverse sorte.

«Veggie burger extrêmes», publicité

Nostalgie extrême ?

Roy MacGregor, l’Enfant du cimetière, 2009, couverture

Il y a un petit temps que l’Oreille tendue n’est pas allée musarder du côté de l’extrême. Aujourd’hui, chassons-le quand il croise l’oxymore (définition ici).

Cela donne…

un «Anti-extrémisme extrême» (le Devoir, 16-17 avril 2016, p. B1).

un «Minimalisme extrême» (la Presse, 17 mars 2012, cahier «Maison», p. 1).

des «Dépouillements extrêmes» (le Devoir, 19-20 mars 2011, p. E8).

de l’«étapisme extrême» (la Presse, 6 mars 2008, p. A26).

une équipe de crosse qui s’appelle «le mini-Extrême de Sherbrooke», dans l’Enfant du cimetière, de l’excellent Roy MacGregor (2009).

On n’arrête pas le progrès (à mi-chemin).

 

Référence

MacGregor, Roy, l’Enfant du cimetière, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 13, 2009, 164 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 2001.