-ounes

Le français du Québec est friand des mots en –oune.

La minoune est une voiture qui a subi des ans l’irréparable outrage. C’est aussi une femelle féline, voire un hypocoristique (Viens ici, ma minoune).

La pitoune est un jeton, une pièce de bois flotté ou une beauté — nécessairement féminine — surfaite (littéralement). Martin Winckler emploie le mot en ce dernier sens dans son polar les Invisibles (2011, p. 152).

Dans le même registre, poupoune n’est guère mieux. Celle-ci peut être «extrême», croit la Presse (23 octobre 2010, p. A5). Si elle fréquente les pistes de course, elle est dans une catégorie, au moins lexicale, à part : «“Les racing poupounes” : jolies reliques du passé» (la Presse, 28 novembre 2011, cahier Auto, p. 16). Elle a son verbe : se poupouner.

En revanche, poupoune peut s’employer pour parler affectueusement d’une enfant. Ainsi, la chanteuse Shilvi a un album intitulé Ma p’tite poupoune (2001).

Comme le ti-coune, la nounoune n’est pas appréciée pour ses qualités intellectuelles. On suppose qu’il en va de même de la «paranounoune» évoquée par Mélika Abdelmoumen (le Dégoût du bonheur, 2001, p. 154). Certains lecteurs de ce blogue se sont demandé récemment si le mot n’est pas la forme féminine de nono; sur le plan du sens, cela se défend; en revanche, sur le plan morphologique, le passage de nono à nounoune ne va pas de soi. (Cela étant, on peut imaginer un cas semblable, de coco à coucoune.)

Les foufounes désignent l’arrière-train, sans distinction de sexe : tout le monde en a. Elles ont donné leur nom à un célèbre bar montréalais, Les foufounes électriques. À l’antipode des foufounes, il y a la noune (chez les femmes) ou la bizoune (chez les autres).

Une chanson est une toune, par exemple «Toune d’automne» des Cowboys fringants (Break syndical, 2002).

La toutoune n’a (généralement) rien à voir avec la musique. Le mot désigne une personne du sexe, un brin enrobée. Francine Allard a signé une Défense et illustration de la toutoune québécoise (1991); le catalogue numérique de Bibliothèque et Archives nationales du Québec classe ce titre sous «Femmes obèses–Humour».

Les gougounes se portent aux pieds. Ailleurs qu’au Québec, ce seraient des sandales de plage ou des tongs.

La balloune existe sous deux orthographes, avec une l ou deux, et sous au moins cinq espèces. L’une est enfantine : on souffle une balloune comme on souffle un ballon. La deuxième est pré-enfantine : une femme en balloune est enceinte. Les deux suivantes relèvent de la beuverie : qui part sur une balloune vise l’imbibition alcoolique, au risque d’être forcé à souffler dans l’ivressomètre (à souffler dans la balloune). La dernière est sportive : une balloune est un tir sans force au baseball ou au tennis, par exemple.

Qui fait la baboune ou, plus simplement, qui baboune, exprime ouvertement son mécontentement. La bouderie a plus d’un nom, comme la lèvre (aussi dite baboune).

La doudoune québécoise n’est pas une «Veste matelassée, légère et chaude» (le Petit Robert, édition numérique de 2010), mais un «Objet choisi par le jeune enfant qui s’y attache; objet transitionnel» (bis). Bref, un doudou.

La guidoune est une personne aux mœurs légères, femme (surtout) ou homme. Il lui arrive donc de guidouner, parfois contre rétribution. L’ange tutélaire de l’Oreille tendue, André Belleau, avait une belle formule pour parler des échanges linguistiques : «La langue française aussi est à tout le monde. C’est une guidoune que personne n’a réussi à maquer» (éd. de 1986, p. 35).

Parmi les mots en -oune, il en est un particulièrement populaire depuis quelques années. Il y a jadis naguère, surtout dans les cours d’école, moumoune désignait l’efféminement, voire l’homosexualité; il évoque aujourd’hui une faiblesse supposée, et désapprouvée. Les exemples abondent, avec ou sans italiques : «Ce n’est pas un hasard si “moumoune” rime avec “Sigmund”» (le Devoir, 10 juin 2003); «Gang de moumounes» (la Presse, 26 janvier 2004); «Je n’ai pas envie d’avoir l’air d’une moumoune en sortant d’ici» (Suzanne Myre, Humains aigres-doux, p. 148); «Camping de moumoune» (le Devoir, 14 octobre 2005, p. B10); «Croisière d’hiver pour une moumoune quatre saisons» (le Devoir, 24 février 2006, p. B10); «Éloge du hockey moumoune» (la Presse, 21 avril 2006, p. A5); «Ce n’est pas sa faute si vous êtes aptères, / Mounounes, / À ce que rapportent les dernières dépêches Reuter» (François Hébert, Toute l’œuvre incomplète, p. 9). On ne devient pas moumoune; on «vire moumoune» (Patrick Roy, la Ballade de Nicolas Jones, p. 48). La moumoune est victime de sa moumounerie : «Toutes ces moumouneries étaient inutiles pour un Bleuet qui a fait la drave» (la Presse, 1er mars 2003).

On imagine sans peine les euphoniques concaténations que permet cette terminaison.

«[Deux] filles, l’une un peu nounoune et nièce de la Poune [surnom de la comédienne Rose Ouellette], l’autre un brin toutoune et qui ne quittait jamais ses gougounes, se promenaient dans une minoune rue Sainte-Catherine Est. Au feu rouge, à la sortie d’un bar de moumounes, une cliente, partie sur une balloune, traitait ses amis de guidounes» (le Devoir, 5 décembre 2003).

«les poupounes les toutounes
avec leurs grosses foufounes
forment des rimes assez nounounes» (Plume Latraverse, «Le beau filon», Chants d’épuration, 2003)

Plume a raison : le «filon» est «beau».

 

[Complément du 7 janvier 2017]

Un esprit chagrin pourrait voir, dans la «baboune boudeuse» de Patrick Senécal en 2011 (p. 249), un pléonasme (mais aussi une alliération).

 

[Complément du 8 avril 2022]

Qui ne souhaite pas utiliser guidoune peut remplacer ce mot par guedaille. Exemple tiré de Mouron des champs de Marie-Hélène Voyer (2022) : «boîtes de dévotion maisons de poupées bagues de foi brassards de communion trousseaux rongés Vierges d’accouchées coiffes de Sainte-Catherine guêpières de guedailles robes d’enfirouapeuses fourrures informes fuseaux rouets soufflets icônes de bois Jésus de cire statues de carême images pieuses aux visages effacés» (p. 89).

N.B. En 1981, Léandre Bergeron propose la graphie guédaille (p. 108), de même que Pierre Corbeil en 2011 (p. 138); Ephrem Desjardins, en 2002, guidaille (p. 91). C’est comme ça.

 

[Complément du 21 avril 2022]

Coup double, chez Stéfanie Tremblay, dans Musique (2022) : «lady guedaille de Sainte-Guedoune» (p. 63). On notera le guedoune mis pour guidoune.

 

Références

Abdelmoumen, Mélika, le Dégoût du bonheur, Montréal, Point de fuite, 2001, 174 p.

Allard, Francine, Défense et illustration de la toutoune québécoise, Monréal, Stanké, 1991, 125 p.

Belleau, André, «Parle (r)(z) la France», Liberté, 138 (23, 6), novembre-décembre 1981, p. 29-34; repris, sous le titre «Parle(r)(z) la France», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 45-47; repris, sous le titre «Parle(r)(z) de la France», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 33-38; repris, sous le titre «Parle(r)(z) de la France», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 33-38. https://id.erudit.org/iderudit/60322ac

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Corbeil, Pierre, Canadian French for Better Travel, Montréal, Ulysse, 2011 (troisième édition), 186 p. Ill.

Les Cowboys fringants, Break syndical, 2002, disque audionumérique, étiquette La Tribu.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Hébert, François, Toute l’œuvre incomplète, Montréal, l’Hexagone, coll. «Écritures», 2010, 154 p.

Latraverse, Plume, Chants d’épuration, 2003, disque audionumérique, étiquette Disques Dragon.

Myre, Suzanne, Humains aigres-doux. Nouvelles, Montréal, Marchand de feuilles, 2004, 157 p.

Roy, Patrick, la Ballade de Nicolas Jones. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 01, 2010, 220 p.

Senécal, Patrick, Malphas 1. Le cas des casiers carnassiers, Québec, Alire, coll. «GF», 16, 2011, 337 p.

Shilvi, Ma p’tite poupoune, 2001, disque audionumérique, étiquette Les Disques Petite Plume.

Tremblay, Stéfanie, Musique, Saguenay, La Peuplade, coll. «Poésie», 2022, 120 p.

Voyer, Marie-Hélène, Mouron des champs suivi de Ce peu qui nous fonde, Saguenay, La Peuplade, coll. «Poésie», 2022, 196 p.

Winckler, Martin, les Invisibles, Paris, Fleuve noir, 2011, 277 p.

L’école n’est pas finie

Le fils cadet de l’Oreille tendue est encore tout au début de son parcours scolaire. Il aspire pourtant à mieux que ce qu’on lui enseigne. L’autre jour, il s’est mis, tout seul, en plein été, à faire des additions, et complexes. Autodéfinition de cette activité ? Des «mathématiques extrêmes».

Si petit, et déjà touché par ce grand mal.

À la fine pointe

L’adjectif extrême est partout dans la langue courante; la catégorie du même nom, en bas, à droite, en fait foi.

Extrême, ici substantivé, est aussi passé dans la langue savante : l’Université de Londres, dans le cadre de son institut parisien, organise, le 3 juin prochain, un colloque intitulé «Autour de l’extrême littéraire». On se souviendra que la critique littéraire aime parler de «l’extrême contemporain».

Il est rassurant de savoir que sont toujours ainsi repoussées les limites du savoir.

La vie avant l’extrême

Jean-Philippe Domecq, Ce que nous dit la vitesse, éd. de 1994, couverture

Humant l’air du temps à la recherche des mots à la mode, il arrive que l’on lise un texte et qu’à travers lui on entende ce qu’il aurait été s’il avait été écrit aujourd’hui. Exemple.

Le pilote automobile Ayrton Senna se tue le 1er mai 1994 sur le circuit d’Imola en Italie. Jean-Philippe Domecq consacre un texte à cette mort dans son ouvrage, publié la même année, Ce que nous dit la vitesse.

Ce livre rassemble, outre «Senna : pourquoi ce deuil mondial ?», trois textes sur la course automobile. «Quel héroïsme aujourd’hui ? Le cas Lauda» a d’abord paru en 1985. Il contient la phrase suivante :

Quant à l’évolution respective des courses d’endurance et des courses de concurrence limite, elle est différemment ressentie d’une décennie à l’autre, et on constate que l’endurance n’est pas systématiquement valorisée (p. 105).

Il y a fort à parier que, rédigé aujourd’hui, ce texte donnerait à lire courses de concurrence extrême plutôt que limite, tant l’extrême est devenu banal.

 

Référence

Domecq, Jean-Philippe, Ce que nous dit la vitesse. Essai, Paris, Quai Voltaire, 1994, 148 p.

Transformation de l’extrême

Que le mot extrême nous assaille quotidiennement ne devrait plus être à démontrer. En son honneur, l’Oreille tendue inaugure aujourd’hui une nouvelle catégorie (en bas, à droite).

L’on sait peut-être moins que ce mot, en son acception actuelle, a une (courte) histoire.

Prenons le cas de sports extrêmes, paire banale entre toutes. À l’origine, sports de l’extrême lui faisait concurrence. On voit les deux formes cohabiter dans le dossier de la revue Terminogramme (mai 1997) intitulé «Le français et les sports».

Dans le même ordre d’idées, Christiane Tetet, en 2000, recense «jeux de l’extrême» (p. 508) à côté d’«acrobatie extrême» en motocyclisme (p. 514), et «alpinisme extrême» (p. 520) en même temps qu’«alpinisme/escalade de l’extrême» (p. 524 n. 44).

L’histoire, elle, a tranché.

P.-S. — Que sont ces sports (de l’)extrême(s) ? ULM, canyoning, parapente, funboard, bodyguard et surf. Rien là pour l’Oreille tendue.

 

Références

Terminogramme. Bulletin de recherche et d’information en aménagement linguistique et en terminologie, 82, mai 1997, p. 2-13. Dossier «Le français et les sports».

Tetet, Christiane, «Le vocabulaire des sports et des loisirs sportifs», dans Gérald Antoine et Bernard Cerquiglini (édit.), Histoire de la langue française 1945-2000, Paris, CNRS éditions, 2000, p. 503-526.