À la fine pointe

L’adjectif extrême est partout dans la langue courante; la catégorie du même nom, en bas, à droite, en fait foi.

Extrême, ici substantivé, est aussi passé dans la langue savante : l’Université de Londres, dans le cadre de son institut parisien, organise, le 3 juin prochain, un colloque intitulé «Autour de l’extrême littéraire». On se souviendra que la critique littéraire aime parler de «l’extrême contemporain».

Il est rassurant de savoir que sont toujours ainsi repoussées les limites du savoir.

La vie avant l’extrême

Jean-Philippe Domecq, Ce que nous dit la vitesse, éd. de 1994, couverture

Humant l’air du temps à la recherche des mots à la mode, il arrive que l’on lise un texte et qu’à travers lui on entende ce qu’il aurait été s’il avait été écrit aujourd’hui. Exemple.

Le pilote automobile Ayrton Senna se tue le 1er mai 1994 sur le circuit d’Imola en Italie. Jean-Philippe Domecq consacre un texte à cette mort dans son ouvrage, publié la même année, Ce que nous dit la vitesse.

Ce livre rassemble, outre «Senna : pourquoi ce deuil mondial ?», trois textes sur la course automobile. «Quel héroïsme aujourd’hui ? Le cas Lauda» a d’abord paru en 1985. Il contient la phrase suivante :

Quant à l’évolution respective des courses d’endurance et des courses de concurrence limite, elle est différemment ressentie d’une décennie à l’autre, et on constate que l’endurance n’est pas systématiquement valorisée (p. 105).

Il y a fort à parier que, rédigé aujourd’hui, ce texte donnerait à lire courses de concurrence extrême plutôt que limite, tant l’extrême est devenu banal.

 

Référence

Domecq, Jean-Philippe, Ce que nous dit la vitesse. Essai, Paris, Quai Voltaire, 1994, 148 p.

Transformation de l’extrême

Que le mot extrême nous assaille quotidiennement ne devrait plus être à démontrer. En son honneur, l’Oreille tendue inaugure aujourd’hui une nouvelle catégorie (en bas, à droite).

L’on sait peut-être moins que ce mot, en son acception actuelle, a une (courte) histoire.

Prenons le cas de sports extrêmes, paire banale entre toutes. À l’origine, sports de l’extrême lui faisait concurrence. On voit les deux formes cohabiter dans le dossier de la revue Terminogramme (mai 1997) intitulé «Le français et les sports».

Dans le même ordre d’idées, Christiane Tetet, en 2000, recense «jeux de l’extrême» (p. 508) à côté d’«acrobatie extrême» en motocyclisme (p. 514), et «alpinisme extrême» (p. 520) en même temps qu’«alpinisme/escalade de l’extrême» (p. 524 n. 44).

L’histoire, elle, a tranché.

P.-S. — Que sont ces sports (de l’)extrême(s) ? ULM, canyoning, parapente, funboard, bodyguard et surf. Rien là pour l’Oreille tendue.

 

Références

Terminogramme. Bulletin de recherche et d’information en aménagement linguistique et en terminologie, 82, mai 1997, p. 2-13. Dossier «Le français et les sports».

Tetet, Christiane, «Le vocabulaire des sports et des loisirs sportifs», dans Gérald Antoine et Bernard Cerquiglini (édit.), Histoire de la langue française 1945-2000, Paris, CNRS éditions, 2000, p. 503-526.

Effets de lames

Patiner — chacun le sait — est un des grands plaisirs de la vie. L’Oreille tendue pense bien sûr au patinage décontracté, et non au patinage «extrême» (la Presse, 28 janvier 2007, p. S8; le Devoir, 3-4 mars 2007, p. A6; le Devoir, 12 janvier 2010, p. A4).

Les sceptiques n’ont qu’à revoir la scène d’ouverture du film Mystery, Alaska (1999) : il faudrait avoir un cœur de glace pour ne pas être convaincu.

À Montréal, on peut patiner à l’intérieur — c’est toujours un brin compliqué — ou à l’extérieur. Dans la Presse du 22 janvier, Daniel Lemay, sous le titre «Sur les ronds de Montréal» (p. A18-A19), dresse un utile état des lieux. (Un reproche, cependant : il faudrait dire, et déplorer, que le patinage en silence est de plus en plus difficile, sinon carrément impossible, aujourd’hui, à Montréal, où la musique paraît être de rigueur sur beaucoup des plus belles patinoires, celle du lac aux Castors, par exemple.) On peut aussi cliquer ici pour une carte.

Pourquoi parler de «ronds» ? Parce que le mot désigne, au Québec, une patinoire extérieure, quelle qu’en soit la forme.

Le vocabulaire de la glace a aussi donné naissance à l’expression (ne pas) être vite sur ses patins. On imagine aisément qu’il vaut mieux l’être, que pas.

Si ne pas être vite sur ses patins existe au figuré, c’est que cela existe au sens propre. L’Oreille, en plein air et en pleine action, le démontre clairement ici. Âmes sensibles s’abstenir.