En vue du sommet

«Le Québec est un vaste
camp de concertation,
ai-je déjà entendu.»
(@Ant_Robitaille)

Les 25 et 26 février, le gouvernement du Québec tiendra un Sommet sur l’enseignement supérieur. Pour qui ne le saurait pas, le sommet est un art québécois.

En 2004, voici ce qu’écrivaient l’Oreille tendue et son comparse dans leur Dictionnaire québécois instantané à l’article «sommet» :

1. Vie courante. Voir top.

2. Politique. Réunion de gens qui ont un caractère physique ou idéologique commun. Les conclusions d’un sommet sont toujours préparées à l’avance par son organisateur, lequel est le plus souvent un ministère, un lobby ou un gouvernement. Variante du festival et du salon. De l’animation, de la francophonie, de la nordicité, des Amériques, des légendes, des régions, du Québec et de la jeunesse, sur l’économie et l’emploi. Voir audiences, carrefour, chantier, coalition, comité, commission, concertation, consensus, consultation, états généraux, forum, partenaires sociaux, rencontre, suivi et table.

[Remarque] 1. De moins en moins pris au sérieux. «Le sommet des corridors. Les discussions formelles ne sont que la pointe de l’iceberg» (la Presse, 25 février 2000). «L’utilité des sommets reste à démontrer» (le Devoir, 11 avril 2001). «Tiens tiens, un Sommet…» (la Presse, 17 avril 2001) «Montréal, ville aux 100 sommets» (la Presse, 13 mars 2002). «Le sommet du tricot» (la Presse, 26 mai 2002). «Le sommet du sac de couchage» (la Presse, 25 mai 2002). «Le sommet des listes d’épicerie» (le Devoir, 31 mai 2002). «Le sommet des bonnes intentions» (le Devoir, 8-9 juin 2002).

[Remarque] 2. S’exporte, néanmoins. «Un sommet extraordinaire des primats anglicans sur l’homosexualité» (le Devoir, 9-10 août 2003) (p. 207).

En 2005, dans un article pour la revue française Cités, l’Oreille évoquait de nouveau cette pratique :

Le Québécois, surtout s’il est pure laine, est grégaire. La moindre question sociale est-elle soulevée, qu’il convoque des audiences, un carrefour, un chantier, un comité, une commission, des états généraux, un forum, un groupe (~-conseil, ~ de discussion, ~ de travail), une rencontre ou un sommet. Son meuble favori est la table : d’aménagement, de concertation, de convergence, de prévention, de suivi, ronde. S’il veut s’amuser, rien de mieux qu’un festival, voire des festiveaux (orthographe recommandée). Dans les régions ou le 450, il célèbre la faune et la flore, l’eau et le feu, le pétrole et le sirop d’érable, la tomate comme le camion. Autour du Plateau, il se croit plus raffiné et préfère le théâtre (des Amériques), le jazz (musique à la définition extensible, de Ray Charles à Luis Mariano), l’humour (dit Juste pour rire). Il ne trompe personne en déguisant son festival en biennale, en classique, en défi, en féria, en fête, en foire, en international, en rendez-vous ou en virée. Plus on y est de fous, plus on rit (p. 239-240).

Il n’y a donc pas lieu de s’étonner du fait que le gouvernement du Parti québécois de Pauline Marois ait décrété un sommet à la suite du printemps érable.

Une chose reste à vérifier. En 2004, nous écrivions : «Les conclusions d’un sommet sont toujours préparées à l’avance par son organisateur […].» Vu l’état de non-organisation du sommet des prochains jours, rien n’est moins sûr. On verra.

 

[Complément du 25 février 2013]

Parfois, l’Oreille se demande si elle n’exagère pas un brin. Puis elle ouvre le Devoir et elle lit : «Pour un chantier post-sommet sur la gratuité» (25 février 2013, p. A7). Cela la rassure, en quelque sorte.

 

Références

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Melançon, Benoît, «La glande grammaticale suivi d’un Petit lexique (surtout) montréalais», Cités. Philosophie. Politique. Histoire, 23, 2005, p. 233-241. https://doi.org/10.3917/cite.023.0233; https://doi.org/10.3917/cite.023.0238

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Enfin

Le Québec regorge de capitales. L’Oreille tendue en a recensé des dizaines.

Voilà pourquoi un titre récent du Devoir la réjouit : «Montréal n’est pas une capitale de la mode» (15 février 2013, p. A9).

C’est, en quelque sorte, une bonne nouvelle.

(Il n’est pas tout à fait sûr que la satisfaction de l’Oreille soit partagée par l’auteur du texte que coiffe ce titre.)

Trop, c’est comme pas assez, ter

L’Oreille tendue a eu l’occasion de le dire et de le répéter : l’apocope est populaire.

Presque symétriquement, en quelque sorte, on trouve des cas où, au lieu de couper des lettres ou des mots, certaines personnes décident, sans raison apparente, d’en ajouter (voir ici et ).

Prenons trois cas récents.

Une photo prise par @ZabethRousseau rue Sainte-Catherine à Montréal :

Publicité au Complexe Desjardins, janvier 2013

Un texte recopié de l’Infolettre de la Commission scolaire de Montréal, sur Twitter, par @PimpetteDunoyer : «Persévérer, c’est donner libre cours à sa détermination […] c’est de rendre hommage au métier d’élève.»

Un tweet de @Samuel_Cramer : «Viens d’entendre une fille avec de faux ongles dire : “Amis de gars.” Que vient faire le “de” dans cette expression ? #songeur #perplexe.»

Faudra-t-il dorénavant se méfier des «de» en trop («de trouver», «de rendre hommage», «de gars») ? Si peu d’heures, tant de combats (perdus d’avance).

P.-S. — Au Québec, «ami de gars», comme «amie de fille», serait un syntagme figé ? L’Oreille n’en disconvient pas.

 

[Complément du 22 février 2013]

Confirmation du «P.-S.» par @ZabethRousseau : «Dans Bonheur d’occasion [Gabrielle Roy, 1945], Florentine devient “l’amie de fille” d’Emmanuel.»

 

[Complément du 20 mars 2013]

Le Parti libéral du Québec, durant son congrès des derniers jours, a fait tourner une chanson de Pierre Lapointe sans lui demander la permission. En réponse, l’auteur-compositeur-interprète publie aujourd’hui une «Lettre de Pierre Lapointe au PLQ» sur le site du journal la Presse. (Merci à @ZabethRousseau d’avoir signalé ce texte à l’Oreille.)

Lapointe aime manifestement la préposition qui nous occupe (l’Oreille souligne) : «De se l’approprier pour vendre une idéologie, de s’en servir comme d’un souffle politiquement chargé sans demander au propriétaire de la dite [sic] chanson sa permission, est une grave erreur morale et un manque de respect flagrant»; «Aujourd’hui, de voir que vous vous appropriez une de mes chansons, sans même avoir la cohérence d’esprit de vous souvenir que vous avez utilisé mon nom, pour salir l’image de tous les artistes qui portaient le carré rouge, me dégoûte».

C’est encore un de inutile que l’on trouve dans «Dois-je en comprendre qu’on peut utiliser les artistes là où ils sont profitables, le temps d’un court instant, pour ensuite les jeter ?» et dans «Dois-je en comprendre qu’une œuvre existe pour vendre une image, en ne tenant pas compte de son créateur et de ce qu’il symbolise, même si cet artiste est toujours vivant ?».

Voilà une vraie passion prépositionnelle.

Unités de mesure hospitalières

C’est @JoseeLegault, sur Twitter, qui a mis la puce à l’oreille de l’Oreille tendue : «Réalise-t-on au Qc qu’on parle des personnes vulnérables en termes de “lits” ?».

Une lecture cursive de la presse confirme que @JoseeLegault a vu juste : «Hôpital de Lachine. Le cinquième des lits supprimé» (la Presse, 9 janvier 2013, p. A5); «Québec suspend la fermeture de lits à l’hôpital de Lachine» (la Presse, 10 janvier 2013, p. A5); «Urgences débordées. Des opérations seront reportées pour libérer des lits» (la Presse, 18 janvier 2013, p. A5).

Un lit «fermé», pour le dire dans le jargon médical, n’est-ce pas un patient de moins ?

Remarque. En revanche, les civières, elles, ne sont jamais fermées. Poussées (ou pas) par des périsoignants, elles sont toujours prêtes à accueillir de nouveaux bénéficiaires.

Top, top, top, top, top, top

Riche mot que top. Le Petit Robert (édition numérique de 2010) lui consacre quatre entrées : «signal sonore»; «le top (de qqch.)» / «être au top»; «Haut (d’une tenue vestimentaire féminine)»; «Mannequin vedette à la carrière internationale».

Le deuxième sens se retrouve notamment chez Jean Dion : «J’ai résolu de faire une partie du bag, d’être full hip, top tendance, maxi fashion, méga cool, extra fun plus, super rapport, et pas seulement en usant d’un vocabulaire way branché, genre style comme» (le Devoir, 14 janvier 2003).

Le dictionnaire ne connaît cependant pas deux expressions fréquentes chez les amateurs de sport du Québec.

Le fils cadet de l’Oreille tendue, par les temps qui courent, dit marquer tous ses buts top corner. (Les exégètes verront là un des effets pernicieux du style papillon.)

Top shape, pour sa part, peut passer sans mal du sportif à l’existentiel. Voilà l’expression emphatique du bien-être. — Toi, ça va ? — Top shape !!!

C’est le top du top du top du top du top du top.