Vieillir (prématurément ?)

Il y a des jours où l’Oreille tendue se sent plus vieille que d’autres. Cela lui est arrivé, et doublement, ces jours-ci.

En équipée familiale dans un parc d’attractions montréalais, elle a pu constater qu’il y a des activités qui sont de moins en moins pour elle — si tant est qu’elles l’aient déjà été — et que la langue évolue parfois par des chemins auxquels elle n’aurait pas pensé.

Soit le graffiti suivant, saisi en attendant de monter à bord d’une auto tamponneuse :

Colonne couverte d’insultes, La Ronde, Montréal, août 2011

Que signifie ce «criss d’ortho» ? Le juron religieux («criss» pour «Christ») ne pose pas de problème. Mais «ortho» ?

Première interprétation : orthographe. Quand on connaît la langue des graffitis, cela paraît pouvoir se défendre. Ce n’est pas ça.

Seconde interprétation, déjà moins plausible : orthodontiste, orthopédiste. N’est-il pas vrai que la santé est un sempiternel débat au Québec ? Ce n’est toujours pas ça.

Deux sources adolescentes — des mâles de 13 et 14 ans, vivant dans des quartiers différents de Montréal — sont formelles : un «criss d’ortho» est un idiot fini.

L’Oreille veut bien, mais quid, alors, de l’étymologie ? D’où cette expression vient-elle ?

À défaut de réponse ferme, une hypothèse. Au Québec, l’orthopédagogue est la «Personne qui travaille auprès des enfants, des adolescents ou des adultes afin de prévenir, de déceler et de corriger leurs troubles d’apprentissage scolaire» (Marie-Éva de Villers, Multidictionnaire de la langue française). Un ortho serait donc celui qu’aiderait l’orthopédagogue; on le supposerait bête.

Vu sa difficulté à comprendre l’expression, l’Oreille ne donne pas cher de sa propre hypothèse.

 

[Complément du 30 janvier 2014]

Sur Twitter, trois découvertes, grâce à Claude Gohier :

«J’ai entendu l’expression “ortho” utilisée en ce sens au primaire ou au secondaire, dans les années 1980…» (@claudegohier)

Une entrée sur le Wiktionnaire

Une entrée sur le blogue de Mario Asselin

 

[Complément du 7 octobre 2019]

Il est plusieurs fois question des orthos dans le roman les Manifestations de Patrick Nicol (2019) : «Ophélie enchaîne avec la bande des orthos» (p. 91); «Mais bon, ça prend une activité pour que les orthos dépensent leur énergie» (p. 147); «Une gloire nouvelle auréole les filles. La police est venue, ce qu’elles ont fait était assez grave pour mériter quelques périodes de congé. Même les gars, et même les orthos, les considèrent maintenant avec respect, surtout qu’elles n’ont pas trahi leur secret» (p. 317). On peut imaginer que les «garçons qui ont des diagnostics» (p. 75) en sont aussi.

 

Références

Nicol, Patrick, les Manifestations. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 135, 2019, 442 p.

Villers, Marie-Éva de, Multidictionnaire de la langue française, Montréal, Québec Amérique, 2009, xxvi/1707 p. Édition numérique. Cinquième édition.

Parfum d’essence

Pédale d’accélérateur

Tout un chacun le sait : il ne faut pas s’énerver, il importe de garder son calme, il n’est pas bon de s’emporter — bref, il faut respirer par le nez.

Une autre expression québécoise, moins courante, exprime le même souhait de contrôle de soi. Elle vient du lexique de l’automobile.

L’Oreille tendue en trouve un exemple dans un twitt récent d’@OursAvecNous : «Une page Fb pour la démission de Beauduin “n’a fait qu’accélérer la dégradation de la programmation” ? Prenez votre gaz égal, siouplè.»

Prendre son gaz égal : ne pas appuyer indûment sur le champignon.

Joli.

 

[Complément du 10 décembre 2024]

Découverte sur Twitter, la version rurale non motorisée : «Enlève une bûche (du poêle).»

Villégiature linguistique

Pour ses vacances annuelles, l’Oreille tendue a quitté son pavillon montréalais avec femme, progéniture et caniche royal à destination de la Gaspésie.

Pour se rendre dans cette péninsule québécoise, il faut rouler longtemps. Avant d’y pénétrer, on doit notamment traverser la région du Bas-du-Fleuve. C’est alors qu’on découvre qu’elle a une «capitale touristique», en l’occurrence Le Bic. Ça ne fait toujours qu’une capitale québéco-canadienne de plus.

À quelques jours près, la famille entière aurait pu emprunter le «sentier de la bouette» (le Devoir, 2 août 2011, p. A1), celui qui, à marée (très) basse, permet d’avoir accès à l’île Verte, à pied, à partir de la côte, entre Rivière-du-Loup et Trois-Pistoles. (Bouette ? Le mot désigne, au Québec, la boue. S’agissant de ce «sentier», on y trouve en fait surtout de la vase.)

Eût-elle été pâle des genoux, l’Oreille aurait pu s’arrêter dans une clinique médicale de Matane. On assure que le service y est rapide.

Clinique Sang délai, Matane, 2011

Le point de chute de cette année était Les Méchins, secteur Les Îlets, à 675 kilomètres à l’est du mont Royal. Sur ce village, on se contentera de deux remarques, l’une sociologique, l’autre onomastique.

On déplorera, d’une part, que la grande criminalité sévisse jusque dans ce hameau. C’est du moins ce que l’on peut croire devant telle (légitime) demande.

Poubelles, «Ne pas voler», 2011

D’autre part, on n’oubliera pas que les habitants des Méchins sont des Méchinois. On n’ose imaginer ce qu’un restaurateur cantonais amateur de mauvais jeux de mots pourrait faire de pareil gentilé.

P.-S. — Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? La famille a aussi poussé une pointe jusqu’à Exploramer, le «complexe d’activités axé sur le milieu marin du Saint-Laurent», de Sainte-Anne-des-Monts. On y a constaté, non sans étonnement, que le plus célèbre des mots «mots de quatre lettres» en anglais y serait d’usage commun. (Non, ce n’est pas «love».)

Exploramer, panneau explicatif, 2011

Qu’arrive-t-il au huard par les temps qui courent ?

Un huard, le dollar canadien

 

Il…

…«profite du malheur des autres» (la Presse, 22 juillet 2011, p. A1).

…«poursuit son envol» (la Presse, 18 février 2011, cahier Affaires, p. 11).

…«joue les Icare» (la Presse, 9 février 2011, cahier Affaires, p. 10).

…«chauffe le dollar américain» (la Presse, 15 octobre 2010, cahier Affaires, p. 7).

…«flirte avec la parité» (la Presse, 15 octobre 2010, cahier Affaires, p. 1).

Une chose est sûre, peut-être : «Rien n’empêchera le huard de voler plus haut» (le Devoir, 19 octobre 2010, p. B1), même s’il est «ballotté» (la Presse, 7 octobre 2010, cahier Affaires, p. 2).

Voilà un plongeon arctique auquel il arrive bien des aventures.

N.B.—Pour mieux saisir la valeur du mot, revenir ici.

Question de graphie

On voit kossé : «L’évaluation des chargés de cours : “kossé que ça donne ?”» (Cité éducative, avril 2001).

On voit quossé, notamment dans le Dictionnaire québécois instantané cosigné par l’Oreille tendue en 2004.

On voit quecé, parfois précédé de de : «Haïti en folie. Pawol chouchoun ? De quecé ?» (la Presse, 22 juillet 2011, cahier Arts et spectacles, p. 6).

On voit quessé : «Quesséçâ ?» (publicité du Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal, 2010); «Si j’fais pas ça, stie d’tabarnak, quessé m’as faire, crisse ?» (Simon Boudreault, Sauce brune, p. 81).

On voit kessé : «Kessé tu veux répondre à ça ?» (sur Twitter, hier soir).

Bref, cette forme, mise pour ce que ou qu’est-ce que, n’a pas de graphie fixe.

Ça fait désordre.

 

[Complément du 24 janvier 2015

Histoire de simplifier la vie de ses lecteurs, le Devoir des 24-25 janvier 2015 propose une traduction instantanée du terme (p. C2).

 

Le Devoir, 24-25 janvier 2015, p. C2

 

Références

Boudreault, Simon, Sauce brune, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2010, 137 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture