Cela se fait en France aussi

«Top 5 des terrasses éphémères où chiller cet été», Vivre Paris, 26 mai 2017

On savait que l’on pouvait chiller à Montréal; le verbe y est courant chez les jeunes, qui que soient les jeunes, de même que le substantif chilling et que l’adjectif chill. On avait pu entendre Grand corps malade, en séjour linguistique en Nouvelle-France, s’essayer à ce néologisme.

Des sources conjugales proches de l’Oreille tendue lui font découvrir que l’on peut désormais chiller à Paris, même si c’est de façon éphémère. C’est toujours bon à savoir.

 

[Complément du 14 avril 2019]

Cela se pratique aussi en Belgique, note le toujours excellent Michel Francard dans sa chronique hebdomadaire du Soir.

«Rouler tranquille, c’est chill», panneau routier, Belgique, 2019

Plat de saison

«Un président exécutif, ça mange quoi en hiver ?», la Presse+, 13 mai 2017, manchette

Soit la même formule, dans deux articles récents de la Presse+ :

«Un président exécutif, ça mange quoi en hiver ?» (13 mai 2017)

«Avant de poursuivre, une définition. L’appropriation culturelle, qu’est-ce que ça mange en hiver ?» (16 mai 2017)

Devant une chose que l’on ne connaît pas (bien), au Québec, on s’interroge alimentairement : comment cela se nourrit-il de décembre à mars ?

Selon Pierre DesRuisseaux, à la volonté de savoir se mêlerait l’étonnement : «Qu’est-ce que c’est ? C’est bizarre !» (éd. de 2015, p. 180) Même position chez Léandre Bergeron : «Quelle est cette chose étrange ?» (1980, p. 307)

D’où cette tournure vient-elle ? Excellente question. (L’Oreille tendue est peu douée pour l’étymologie. C’est comme ça.)

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Meuble télévisuel

Y’a du monde à messe, Télé-Québec, logo

Prenez un animateur télé. Faites-le dialoguer avec des invités. En anglais, cela s’appelle un talk show. Au Québec, on voit parfois show de chaises. Télé-Québec vient de lancer une émission apparentée à ce genre, Y’a du monde à messe. La première a eu lieu vendredi dernier.

D’un joueur de hockey qu’on utilise à bon escient, on dit qu’il est assis dans la bonne chaise.

Commentaire sur Twitter vu pendant la diffusion de #YAMM (pour les intimes) :

Pour un show de chaises, l’animateur Christian Bégin serait parfait dans sa chaise. Il y aurait donc une justice en ce bas monde ?

Histoire(s) de pied(s)

Publicité pour Volkswagen, la Presse+, mai 2017

Le verbe signifie taper sur quelque chose avec son pied. C’est vrai d’un personnage d’Attaquant de puissance, de Sylvain Hotte, représenté «kickant de la garnotte» (2010, p. 22).

Dans un article récent sur le français canadien, signé par Salvatore Digesto et Shana Polack, il est question du même verbe, mais dans un sens figuré (du moins on l’espère) :

il arrive qu’en français canadien soient incorporés des mots anglais dans le discours […] : «Je ne peux pas te kicker dehors.» […] Selon l’idée reçue, ces manifestations attribuées au contact de l’anglais modifieraient la structure grammaticale du français canadien. Or, les études empiriques ont démontré le contraire. […] le mot kicker, d’origine anglaise, porte la marque d’une terminaison française contrairement à son équivalent anglais, kick. Ainsi, les mots anglais insérés dans un discours en français revêtent la grammaire française, se comportant comme n’importe quel mot français (p. 94).

Le substantif peut renvoyer à un geste sportif (un beau kick), mais aussi à l’attrait qu’une personne ressent pour une autre. C’est le cas, en quelque automobile sorte, dans la publicité ci-dessus. Ce l’est aussi dans la bande dessinée Je sais tout de Pierre Bouchard : «Sérieux, j’pense qu’a l’a un kick solide sur Reynald !» (2014, p. 11) On peut imaginer que, dans ces deux cas de béguin, le rapport au pied est moins immédiat que dans les précédents, mais il existe néanmoins : ne s’agit-il pas d’espérer prendre son pied ?

Pierre DesRuisseaux, dans son Trésor des expressions populaires (éd. de 2015, p. 185-186), indique d’autres sens pour ce mot, outre s’amouracher ou s’enticher : donner un (gros) kick (procurer un plaisir intense), être son kick (être son plaisir), faire quelque chose pour le kick (faire quelque chose par plaisir), perdre son kick (ne plus prendre plaisir à quelque chose) et se donner un kick (se donner de l’exaltation, du plaisir).

 

[Complément du 15 août 2022]

L’objet du désir — la personne pour laquelle on a le béguin — est lui-même un kick. On le voit dans un poème de Carolanne Foucher :

je voudrais vous ranger sagement
avec mes autres kicks passés
dans la pochette de mon sac à dos de cégep (p. 89)

 

Références

Bouchard, Pierre, Je sais tout, Montréal, Éditions Pow Pow, 2014, 106 p.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Digesto, Salvatore et Shana Polack, «Le français canadien, un français comme les autres. Tomber en amour ne vient donc pas de “to fall in love” ? Dommage !», France Forum, nouvelle série, 65, avril 2017, p. 93-94.

Foucher, Carolanne, Submersible. Poésie, Montréal, Éditions de ta mère, 2022, 133 p.

Hotte, Sylvain, Attaquant de puissance, Montréal, Les Intouchables, coll. «Aréna», 2, 2010, 219 p.

Le Monde parle hockey

Antony Hernandez, «Rondelle, prison, blanchissage», le Monde, mai 2017

 

«Mais surtout, le chauffeur s’est fâché
quand François a utilisé le mot palet.
—Une puck, sacrament, une puck
Christophe Bernard, la Bête creuse

Championnat du monde oblige, le quotidien français le Monde consacre un article à ce que l’Oreille tendue appelle la langue de puck. Dans «Rondelle, prison, blanchissage… comprendre le hockey sur glace», un «guide non exhaustif […] pour les néophytes», Antony Hernandez explique à la fois le fonctionnement du jeu et présente les mots pour le décrire, illustrations à l’appui.

Il n’y a rien dans son article qui puisse faire hurler l’amateur de hockey québécois, mais on peut néanmoins y trouver à redire.

Par exemple, le titre évoque la «rondelle», mais le texte ne parle que de «palet». (Merci à @SteveRoyer1.)

Parler de «joueur de champ» pour désigner les attaquants et les défenseurs est étonnant, de même que le fait de dire «bloc» à propos des «unités» de cinq joueurs, à l’exclusion du gardien («Une équipe de hockey est composée de quatre lignes ou blocs de cinq joueurs de champ»).

Surtout, le journaliste ne fait à peu près aucune place au vocabulaire du hockey en français québécois. Il n’y a que trois exceptions, les paires «crosse» / «bâton», «vestiaire» / «chambre» et «break away» / «échappée».

Ne connaissant pas ce vocabulaire, le journaliste ne peut pas savoir, contrairement à ce qu’il écrit, qu’il existe des expressions pour «slap shot» («tir frappé»), «one timer» («tir sur réception») et «penalty killing» («infériorité numérique»). «On n’utilise que le mot power play» («supériorité» ou «avantage numérique») ? Peut-être en France, mais pas de ce côté de l’Atlantique.

«Face-off» paraît être préféré à «engagement»; la «mise au jeu» n’est pas évoquée. Le «penalty» du Monde serait un «tir de pénalité» au Québec.

C’est encore l’attirance pour l’anglais qui transforme le Québécois Luc Tardif en «Luc Tardiff» (avec double f, comme dans Cardiff).

Ce n’est pas la première fois qu’un Français préférera un lexique anglais à un lexique français.

P.-S.—«Le hockey sur glace a été inventé au Canada au milieu des années 1870 à Montréal» ? Ça se discute.

P.-P.-S.—Dans la phrase «Lorsque l’on connaît les liens ténus entre le hockey français et le Québec — le président de la Fédération française s’appelle par exemple Luc Tardiff et est québecois [sic] — il est tout à fait normal que des mots ou des expressions typiques de la Belle Province soient employés en France», on se demande bien ce que le mot «ténus» fait là.

P.-P.-P.-S.—«Tabernacle» ? Non. Non. Non.

P.-P.-P.-P.-S.—Merci au lecteur qui a fait découvrir cet article du Monde à l’Oreille.

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture