Dictionnaire des séries 27

Vous déjouez un joueur adverse ? Vous lui faites prendre une tasse de café.

Vous empêchez l’autre équipe de quitter sa zone ? Vous l’y embouteillez.

Vous patinez avec grâce ? Votre coup de patin est fluide.

Vous avez rassemblé les meilleurs joueurs et on vous promet les plus grands honneurs ? Votre club est paqueté.

Le hockey a beau se jouer sur la glace, c’est un sport qui a une évidente dimension liquide.

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

Physique 101

Ils sont partout.

En arts visuels, Michel de Broin en est un (le Devoir, 18-19 mai 2013, p. E3).

Son équivalent, au hockey, est Alex Kovalev (la Presse, 10 octobre 2012, cahier Sports, p. 2).

Magali Lemèle, c’est en théâtre (le Droit, 10 avril 2013, p. 43).

On en voit dans le personnel romanesque : ce serait le cas de Valentin Pescatore, dans Triple frontière de Sebastian Rotella (le Droit, 16 juin 2012, p. A12).

Le monde politique a les siens, Jean-Martin Aussant (Métro, 30 août 2012, p. 10) ou Jacques Parizeau (la Presse, 14 février 2013, p. A14).

À la télévision, Suzanne Clément en serait une (la Presse, 8 mai 2013, cahier Arts, p. 1).

Musicalement ? ATOM TM / Uwe Schmidt (la Presse, 3 mai 2013) comme Sylvie Laliberté (le Devoir, 3 octobre 2012, p. B10).

Littérairement ? Maurice Sachs (la Presse, 19 février 2013, cahier Arts, p. 3).

Ça se trouverait même dans les affaires et dans la police; tels seraient les cas d’Isabelle Hudon (les Affaires, 22 décembre 2012, p. 14) et de Matricule 728 (le Devoir, 16 octobre 2012, p. A7).

Un dernier exemple, pour clore en beauté : le fromage le Pionnier en est un «dans l’univers des fromages du Québec» (la Tribune, 10 décembre 2012).

On aura bien sûr reconnu l’électron libre.

Il est au Petit Robert : «personne qui agit de manière indépendante (par rapport à un ensemble, une institution)» (édition numérique de 2010).

Il est partout.

P.-S. — L’idée de cette entrée de blogue est venue à l’Oreille tendue à la lecture d’un tweet de @revi_redac : «L’électron libre ne serait pas le cousin de l’ovni littéraire ? #cliché #bebitte». La question, en effet, se pose.

 

[Complément du 2 juin 2014]

Ajout venu du tennis : «Federer tombe devant l’électron libre letton» (la Presse, 2 juin 2014, cahier Sports, p. 2).

 

[Complément du 27 décembre 2018]

Quand Jo Nesbø parle d’un «électron libre totalement imprévisible» (Macbeth, p. 73), ne fait-il pas dans le pléonasme ?

 

Référence

Nesbø, Jo, Macbeth, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 2018, 617 p. Traduction de Céline Romand-Monnier.

Langue de margarine

«La métropole,
grande capitale mondiale de la gastronomie»
(la Presse, 3 juillet 2004, p. A1).

On connaît, trop bien, la langue de bois. Définition du Petit Robert : «Péj. Langue de bois : langage figé de la propagande politique; par ext. façon de s’exprimer qui abonde en formules figées et en stéréotypes non compromettants (opposé à franc-parler). => novlangue» (édition numérique de 2010).

Elle a été accommodée à plusieurs sauces : langue de coton et langue de verveine, langue de plastique (Jacques Brault).

L’Oreille tendue propose de désigner la langue de certains chroniqueurs gastronomiques par l’expression langue de margarine. Cette langue est pétrie de lieux communs, de clichés, de tournures alambiquées.

Exemples

«L’assiette de quatre-quarts avec panais confit et glace au beurre noisette réussit mieux à relever le défi de la pertinence» (la Presse, 18 mai 2013, cahier Gourmand, p. 4).

En 2012, la critique gastronomique de la Presse — c’est la même que dans l’exemple précédent — a pris un lunch «urbain» sur terrasse «très urbaine». Était-ce en ville ? Oui : «On est en ville et on ne se le cache pas» (7 juillet 2012, cahier Maison, p. 13).

La Presse visite le restaurant Ridi. Que lui reproche-t-on ? Son «Ambiance bancale, degré “0”» (29 janvier 2011, cahier Gourmand, p. 6).

S’agissant d’un nouveau restaurant montréalais : «La déco rétro-saxonne, elle, rappelle le Sparrow ou encore le Liverpool House, dans le quartier Saint-Henri» (la Presse, 9 décembre 2010, cahier Affaires, p. 10). «Rétro-saxonne »? (Pour en savoir plus sur la cuisine servie au Lawrence, voir ici. C’est un bijou.)

Le Pullman est un bar à vin montréalais. Quelle «faune» y trouve-t-on ? «[De] façon générale, on y croise surtout des professionnels et autres adultes urbains à la recherche d’une atmosphère intelligente et de vins et de nourriture de qualité» (la Presse, 26 décembre 2009, cahier Gourmand, p. 5). Une «atmosphère intelligente» ? Comme un téléphone ?

À Québec, on peut fréquenter le Urba Resto Lounge. C’est, dit le Devoir du samedi 3 juillet 2009, «un restaurant résolument urbain, aux allures branchées et décontractées» (p. B7). Qu’y mange-t-on ? Une cuisine «dite urbaine d’inspiration internationale». Qu’y écoute-t-on ? De la musique «à saveur urbaine», voire «à saveur lounge et urbaine». Bien sûr.

Remarque

Le chroniqueur gastronomique adepte de la langue de margarine aime croquer à pleines dents dans le mot épicurien.

Il ne se privera pas non plus de l’expression «on est sur du» (lourd, léger, tannique, fruité…). (Merci à @SingeAlpha.)

 

[Complément du 17 août 2013]

Dans une chronique de la Presse, on parle de «boudin […] intègre» et d’un «bistro post-industriel éclectique» (17 août 2013, cahier Gourmand, p. 6).

 

[Complément du 30 septembre 2013]

Même journal, même chronique : des «légumes presque décadents», «avec une âme» (28 septembre 2013, cahier Gourmand, p. 7).

 

[Complément du 6 novembre 2013]

Encore et toujours : «Rien de gastronomique, rien de néo-créatif. Rien de post-moderne non plus» (la Presse, 2 novembre 2013, cahier Gourmand, p. 4).

 

[Complément du 19 novembre 2013]

Rebelote : «C’est un minuscule restaurant néo-rétro […]» (la Presse, 16 novembre 2013, cahier Gourmand, p. 4). C’est un vieux restaurant neuf ou un jeune restaurant vieux ?

 

[Complément du 24 octobre 2015]

Soit le paragraphe suivant, lu dans la Presse+ du jour :

C’est sympathique, chaleureux. La table déborde de créativité tout en restant impeccablement conviviale et accessible. Les produits goûtent la qualité. Et on y mange une cuisine réellement actuelle à base de légumes et encore de légumes, ingrédients non seulement sains et savoureux, mais intelligents en cette époque de dérives agro-alimentaires industrielles.

Récapitulons :

il est bon d’être, à la fois, créatif, convivial et accessible;

la qualité a un goût, et on se réjouit des produits qui l’ont;

il doit y avoir des cuisines faussement actuelles, puisque d’autres le sont réellement;

des ingrédients peuvent être sains, savoureux et intelligents (comme un téléphone ?).

Miam à la puissance quatre.

 

[Complément du 28 juin 2016]

L’Oreille tendue recense les perles de la #languedemargarine sur Twitter. Il lui arrive de ne pas les relever ici. Corrigeons la situation.

«Le lieu […] n’éblouit ni par son décor magique ni par son atmosphère urbaine moderne» (la Presse+, 22 février 2014). (Dommage.)

«De l’asiatique-funky trippant» (la Presse+, 29 mars 2014)

«L’esprit [du restaurant] est très scandinave, mais il manque les chandelles» (la Presse+, 11 mai 2014). (Dommage, de nouveau.)

«une cuisine ancrée résolument dans les traditions, mais impeccablement moderne» (la Presse, 23 août 2014) («Résolument», c’est toujours bien.)

«la cuisine, toujours ancrée dans des ingrédients d’ici, mais résolument française» (la Presse, 24 août 2014) (Bis.)

«Un peu bar, un peu restaurant, le Majestique profite d’un décor néo-kitsch» (la Presse+, 15 décembre 2014) («Néo», c’est toujours bien.)

«Dans ce type d’endroit urbain gentil de qualité […]» (la Presse+, 15 novembre 2014) (Virgules facultatives.)

2015 sera l’année «des plats intelligents et humbles, mais néanmoins goûteux» (la Presse+, 1er janvier 2015). («Intelligents» comme un téléphone ? Comme une ville ?)

Un restaurant au «concept chinois néo-rétro cool franchement original» (la Presse+, 28 mars 2015) («Franchement», en effet.)

«quelques touches de décoration aussi féminines que minimalistes et actuelles» (la Presse+, 4 avril 2015)

«merci de préciser la sorte de poisson pour nous éco-rassurer» (la Presse+, 24 mai 2015) (Éco-rassurer : verbe du premier groupe.)

«Une option de rechange un peu plus type, un peu théâtrale, aux bars sportifs traditionnels» (la Presse+, 13 juin 2015) («Type» ?)

«cuisine émotionnelle tous azimuts»; «tradition déconstruite et reconstruite pour être mieux savourée» (la Presse+, 18 juillet 2015)

C’est quoi le contraire de la «cuisine ethnique créative» (la Presse+, 18 juillet 2015) ?

«Rendre hommage au produit» (la Presse+, 12 septembre 2015)

«Les produits goûtent la qualité» (la Presse+, 24 octobre 2015). (Miam.)

«l’influence esthétique post-Donna Hay de Marilou Bourdon» (la Presse+, 21 novembre 2015) (Pas «pré-Donna Hay».)

«Imaginez : une glace au concombre sur chinchard, ponctuée d’oxalis…» (la Presse+, 26 décembre 2015) (Oui, «imaginez».)

«appareil chocolaté»; «une pointe de bourbon qui vient structurer un peu tout ce sucre» (la Presse+, 6 février 2016)

«une jolie touche moderne acidulée» (la Presse+, 13 février 2016) («Moderne» ?)

«Oubliez la poutine rénovée. Pensez salicorne, couteaux de mer…» (la Presse+, 2 avril 2016) (Oui, «oubliez».)

«quelques plats pourraient être précisés, allégés, édités» (la Presse+, 9 avril 2016) («Édités» ?)

Ah ! «les efforts de l’échalote vinaigrée» ! La caille «sympathique et joliment rôtie» ! (la Presse+, 16 avril 2016) (On espère que ces «efforts» ont été récompensés.)

«Il y a moyen d’être heureux en mangeant de la salade» (la Presse+, 7 mai 2016). (C’est dit.)

La chef a osé «avec succès la créativité risquée du modernisme en cuisine» (la Presse+, 7 mai 2016). (Pas n’importe quelle «créativité».)

«On a […] installé des éléments de décoration un peu maritimes» (la Presse+, 25 juin 2016). («Un peu» maritimes ?)

«le fruit de mer y semble un peu maladroit» (la Presse+, 25 juin 2016). («Un peu» maladroit ? Un «fruit de mer» ?)

 

[Complément du 18 août 2018]

Récolte du jour…

Le lieu a «un air canadien à la scandinave raffiné, mais chaleureux et cool» (la Presse+, 22 avril 2017). (Ce «mais»…)

«de façon générale, les plats sont heureux en bouche» (la Presse+, 8 juillet 2017). (Heureux plats !)

On vous recommande un resto à la «modernité savoureuse, sans autre prétention» (la Presse+, 9 septembre 2017). (Comment résister ?)

«Les plafonds ne sont pas vertigineux, mais la déco est chaleureuse» (la Presse+, 8 octobre 2017). (Ce «mais», bis.)

«On aime particulièrement les cannoli […] qui s’effritent bien sous la dent, supportés dans leur démarche de régaler par la crémeuse garniture» (la Presse+, 24 mars 2018). (Supportés dans leur démarche de régaler…)

«C’est une équipe de plusieurs personnes» (la Presse+, 9 juin 2018). (Incontestable : une équipe d’une seule personne, c’est rare.)

«La terrasse isolée de ce bras perdu de l’avenue du Parc, près de Saint-Zotique, est idéale pour un apéro urbain nostalgique de voyages en Italie» (la Presse+, 4 août 2018). (Montréal est une ville.)

«le jambon ibérique considéré comme de qualité supérieure, laissé en liberté pour qu’il se nourrisse de glands et d’autres aliments sauvages» (la Presse+, 18 août 2018). (Ah ! Le jambon en liberté !)

Parlons genre

Jean-Marc Huitorel, la Beauté du geste, 2005, couverture

«on ne dit plus “sexe”, on dit “genre”, “gender”»
Jean-Marc Huitorel, la Beauté du geste

 

Nous avons rencontré le métrosexuel et le datasexuel, le rétrosexuel, le végésexuel, le sapiosexuel, la couguar, le sextage, une chanteuse «oversexed again», le «sexe extrême», l’agace.

À cette litanie rose, ajoutons un comportement, évidemment répréhensible : «RT @jsebastiensauve : La lutte contre l’homophobie et la transphobie vous intéresse ? Passez ce matin au DKN-1271 ! #acfas» (@_Acfas).

Et un verbe : Bénédicte Coste, «“La prairie fraternelle dont je suis avec vous l’herbe multicolore” : quand l’éthique de Claude Cahun queerise la théorie queer», Contemporary French Civilization, 27, 2-2, 2012, p. 273-288.

Puis, pour finir, deux noms, de la même source : «Blogosexuel : pratique d’écriture extrême de blogue – avec un portable, dans un train, avec café brûlant… Écriture numérique et digitale !» (@culturelibre); «Perso, “bibliosexuel” 🙂 RT @FabienDeglise : Après Metrosexuel, le Datasexuel nouv mâle urbain branché http://bit.ly/HIy35s (via @psanterre)» (@culturelibre).

P.-S. — Pour l’allosexuel, l’autosexuel et l’altersexuel, voyez le Wiktionnaire. C’est assez pour cette entrée, la 1400e du blogue.

 

Référence

Huitorel, Jean-Marc, la Beauté du geste. L’art contemporain et le sport, Paris, Éditions du regard, 2005, 214 p. Ill.

Deux néologismes décoratifs

En matière d’aménagement commercial ou domestique, l’Oreille tendue connaissait le barmacie et la déco rétro-saxonne.

Cela lui paraît avoir un lien avec le rénocyclage et le style poorgeois, mais elle n’en est pas parfaitement sûre.

P.-S. — Définition de rénocyclage ? «Rénover avec des matériaux existants est certainement l’un des gestes les plus écologiques qui soient. Mais cela demande une bonne dose de patience, et un certain sens du style» (la Presse, 27 avril 2013, cahier Maison, p. 1).

P.-P.-S. — Définition de poorgeois ? «Formé de “poor” (pauvre en anglais) et “geois” (de bourgeois), ce néologisme utilisé dans le milieu de la mode désigne les riches qui adoptent un style clochard afin de camoufler leur fortune sous des vêtements défraîchis et troués (mais qui peuvent valoir une fortune). Selon le journal britannique The Guardian, cette tendance serait née de la culpabilité d’avoir de l’argent en période de crise. En déco, cet esprit crado — que certains qualifient de bohème trash ou de luxe brut — pousse l’esprit bohème à son paroxysme et se traduit par des murs décrépis, de la peinture écaillée ou des couches successives de papier peint décollé. Au premier coup d’œil, ils donnent à un endroit l’impression qu’il a été abandonné depuis des années. Mais attention, des meubles et des accessoires au design pointu sont, par la suite, intégrés au décor. Car malgré tout, les hipsters de la “poorgeoisie” veulent montrer qu’ils ont du goût…» (la Presse, 20 avril 2013, cahier Maison, p. 10).