Une semaine dans les médias et dans les mots

13 octobre

Non seulement épique est en train de passer dans le langage quotidien, mais ce mot désignerait une génération au complet.

«La génération Y (gén. épique) aide beaucoup la névrose de la génération X, pas capable de se révolter. (N. Lévesque) @plusonlit #notabene» (@Ed_Notabene).

On le sait : l’urbain, c’est bien. Y compris dans la cuisine.

«Fabbrica propose une cuisine plutôt sage dans le registre patrimonial italo-urbain» (la Presse, 13 octobre 2012, cahier Gourmand, p. 8).

14 octobre

À nouvelles réalités, mots nouveaux.

«Se nourrir dans les poubelles. Savoureux portrait du déchétarien Tristram Stuart | L’homme qui n’a rien à gâcher http://www.lemonde.fr/style/article/2012/10/12/l-homme-qui-n-a-rien-a-gacher_1773650_1575563.html» (@NieDesrochers).

La typographie s’enseigne désormais en chantant.

«RT @Christianrit: Voici Alinéa, ma chanson éducative sur la structure du paragraphe. http://youtu.be/5uIfoRnlRko #redaction» (@JoseeMarcotte).

15 octobre

Dans un département d’études littéraires, les cafetières choisissent leurs mots avec soin.

Nespresso et prosopopée

Nouvel exemple de la loi du «Tout et son contraire» : pourquoi n’annonce-t-on jamais que l’on a «posé les bases» d’un «partenariat déstructurant» ?

«L’Université de Nantes et l’Université Laval posent les bases d’un partenariat structurant sur le numérique : http ://www.univ-nantes.fr/1350285498227/0/fiche___actualite/&RH=INSTITUTIONNEL_FR» (@GIENS09).

16 octobre

Même une construction peut être «prise en otage».

«La construction d’un pièce-maîtresse du World Trade Center “prise en otage” par une entreprise de Terrebonne: http://natpo.st/SYUDKd» (@rdimatin).

On connaissait le suicide numérique et l’angoisse fiscale. On fait dorénavant dans…

«Le suicide fiscal… http://blogs.lexpress.fr/attali/2012/10/15/le-suicide-fiscal/» (@jattali).

17 octobre

Doug Saunders a publié Arrival City en 2010. De quoi s’agit-il ?

«un polaroïd des slums, bidonvilles, favelas, banlieues et autres cités où transitent les nouveaux arrivants en provenance des campagnes de la Chine, de l’Inde, du Bangladesh, du Brésil…» (la Presse, 17 octobre 2012, cahier Arts, p. 6)

18 octobre

Il existe des phrases parfaitement logiques, qui étonnent néanmoins.

«La croissance de la Chine poursuit son ralentissement http://bit.ly/WDu5ns» (@rdimatin).

Une croissance qui cesse de croître, est-ce encore de la croissance ?

18-19 octobre

À Montréal, la Commission d’enquête sur l’industrie de la construction, dite Commission Charbonneau, vient de révéler l’existence du «cartel des égouts» (la Presse, 19 octobre 2012, p. A1). Gilles Surprenant, un ingénieur maintenant à la retraite, y reconnaît avoir reçu des «redevances» du temps où il était associé à l’octroi de contrats publics. En clair, mais en moins moderne : des pots-de-vin. (Au Canada, il existe une taxe sur les produits et services, la TPS. Dans l’industrie de la construction montréalaise, il y avait aussi un Monsieur TPS : il touchait la Taxe pour Surprenant.)

Ville, as-tu du cœur ?

L’Oreille tendue ne cesse de remplir sa besace à urbanités.

Puisqu’elle habite en ville, en l’occurrence Montréal, elle peut, grâce à Tagada, «Faire son marché urbain».

Elle peut aussi y assister au festival Juste pour rire. Vidéotron y commandite «Les grands spectacles urbains» (la Presse, 18 juillet 2012, cahier Arts, p. 3, publicité). Enfin ! De l’urbain en ville !

Si elle préfère des divertissements moins populaires, un Salon urbain branché la comblera peut-être. Il n’est pas impossible qu’elle puisse y entendre de la «musique urbaine engagée».

Mais où est précisément l’urbain ? De deux choses l’une.

Il est parfois tout proche : l’aventure peut être au bout de la rue. Ce n’est pas «l’aventurier urbain» qui contredira l’Oreille (le Devoir, 10 septembre 2012, p. B5).

Il peut aussi être un peu plus éloigné, car la ville est dorénavant partout : «Gaspésie. Diversité, urbanité et chanson franco au Festival Musique du bout du monde» (le Devoir, 8 août 2012); «Québec, ville urbaine…» (publicité radio).

Peu importe, en fait, à condition que le corps, lui, soit urbain.

Rue Saint-Denis, à Montréal, on peut soigner son «Urban Body». Dans la Vieille Capitale, on choisira plutôt «Cardio urbain».

La ville est ce monde qui contient tous les mondes.

La fôret (sic) urbaine

Prolégomènes à une théorie générale du «petit» au Québec

L’autre jour, sur Twitter, @GenPettersen et @ChroniquesTrad rappelaient combien petit est un mot populaire au Québec.

Voici ce qu’en écrivait l’Oreille dans son Dictionnaire québécois instantané de 2004 (avec Pierre Popovic) :

Atténuateur linguistique fort prisé dans les troquets et autres estaminets, souvent utilisé en conjonction avec le conditionnel. Je prendrais un petit apéritif, capitaine. Désireriez-vous un petit dessert, boss ? (p. 162)

À «Café», on pouvait lire :

Parler, si utilisé avec prendre un petit. On se téléphone et on va prendre un petit café (p. 34).

Il est vrai que, d’un bout à l’autre du repas, petit est beaucoup utilisé quand il s’agit de nourriture. Une dernier exemple. Que fabrique La Petite Bretonne ? «Un petit gâteau tendre et moelleux au petit goût citronné.» On n’est pas dans le registre de la grandeur.

Ce n’est pas tout.

On trouve maintenant le mot dans des oxymores (petit périple) comme dans des expressions figées (petite famille). D’autres ont été créées avec lui : avoir son petit caractère (ce qui n’est pas une qualité), se garder une petite gêne.

Petit est souvent redondant : «Je vais vous donner un petit numéro de téléphone» (Radio-Canada, août 2001); «Petit survol de l’événement Peinture extrême et de son off non officiel» (le Devoir, 24-25 juillet 2010, p. E4); «Interview avec le philosophe Charles Taylor – petit polaroid de son ouvrage L’Âge séculier» (@PaulJournet); «Garderie “La petite semence” http://bit.ly/RdcjD5 #ouch» (@LeMotZuste).

De quoi petit est-il le nom au Québec ? De cette familiarité qui explique le tutoiement spontané ? De ce grégarisme qui pousse à s’asseoir pour échanger ? Psychanalystes, à vos divans !

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Une préposition vous manque, et tout est dépeuplé

L’Oreille tendue a eu l’occasion, à quelques reprises, de causer apocope (il y a une catégorie pour ça).

Plus rarement, elle a parlé ellipse, ici ou .

Au rayon de l’économie linguistique, un nouveau (?) phénomène vient d’attirer son attention : la disparition de la préposition avec dans partager avec, à moins qu’il ne s’agisse d’une réduction de faire partager en partager.

Deux exemples venus de Twitter (il y en a plein d’autres sur Google).

«Je vous partage ma recette de cupcakes en cornets. Super facile à faire et les enfants adoreront (Les adultes aussi…)» (@ElleMlaMode).

«Apprendre une langue étrangère en ligne & Pascale Buissière nous partage ses sites favoris» (@julielaferriere).

Un mot suffira : non.

 

[Complément du 11 juin 2013]

Dans la Presse de ce matin : «“Ce que j’aime dans cette pièce, c’est la liberté laissée aux acteurs”, a partagé Normand Chouinard au sujet de la pièce Un homme, deux patrons, qu’il met en scène» (cahier Arts, p. 3).

Encore sur Twitter : «Jean-Pierre Bergeron, notre ancien agent de dével., nous partage son opinion sur le dossier du Marché Richelieu : http://www.soreltracy.com/liter/2012/oct/27o.html» (@GA_VieuxSorel).

C’est toujours non.

Retour en capitale

Devant, pour d’excellentes raisons, passer la journée dans la Vieille Capitale (Québec), l’Oreille tendue se rend compte qu’il y a quelques mois qu’elle n’a pas vidé sa besace à capitales. Qu’y trouve-t-on, s’agissant de Montréal ? Que c’est une capitale diversifiée. Des exemples ?

«Montréal, capitale de la contravention» (la Presse, 30 août 2012, p. A1).

«Montréal, capitale de la bière sans gluten […] ?» (Twitter, 8 mai 2012).

«Québec et Montréal, capitales mondiales du patrimoine en 2008» (le Devoir, 1er octobre 2007, p. A3).

«Montréal, capitale musicale du Canada» (la Presse, 9 décembre 2009, Arts et spectacles, p. 2).

«Montréal, capitale culturelle ? Plus que jamais» (la Presse, 3 janvier 2004).

Voilà une ville riche — une métropole, comme dans «Montréal, métropole numérique !» (la Presse, 19 janvier 2012, cahier Affaires, p. 9).