Mon royaume pour un a

Affiche fautive de restaurant, New York, 2011

Retour de New York, l’Oreille tendue se souvient qu’elle y a entendu pas mal de français (et de Français), notamment dans le domaine de l’alimentation : Au Bon Pain, Le Pain Quotidien, Pret A Manger. Les Américains en auraient-ils fini avec la transformation des French Fries en Freedom Fries ? Cela semble être le cas.

On pourrait cependant espérer que ce retour en grâce ne se fasse pas au détriment de l’orthographe.

Réponses de la Saint-Jean

Que célèbre-t-on en ce 24 juin, fête de la Saint-Jean-Baptiste et fête nationale, dans la Belle Province ? Ce qui est d’ici : la «Beauté d’ici» (la Presse, 22 juin 2001, cahier Arts et spectacles, p. 8), la «science d’ici» (publicité de Télé-Québec, la Presse, 4 janvier 2011, p. A2), le «fromage suisse d’ici» (publicité, novembre 2006) — bref, les «gens d’ici» («C’est dans les chansons», chanson de Jean Lapointe).

Est-il difficile de décrire, à la télévision, un match de basket en espagnol ? Si, affirme le Wall Street Journal du 8 juin, exemples à l’appui. (Merci à l’antenne québéco-angeleno de l’Oreille tendue.)

Existe-t-il un «lexique bio» ? Oui, comme le démontre Éric Chevillard sur l’Autofictif en date du 23 juin, s’agissant de galettes «à la farine de blé de meule».

Quelqu’un a-t-il pensé à établir un «Lexique des idées reçues littéraires» dans la France d’aujourd’hui ? Oui, et ça fait mouche : l’Empire des signes, le 22 juin.

Faut-il soigner sa typographie en distinguant bien les minuscules des majuscules ? Oui, sinon on risque de confondre, comme dans les Corpuscules de Krause de Sandra Gordon (2010), un «club optimiste des Basses-Laurentides» (p. 170) et un «club Optimiste des Basses-Laurentides», par exemple celui de Saint-Antoine.

Le Web offre-t-il des outils utiles pour la rédaction de discours politiques ? Oui, notamment le Générateur de langue de bois, conçu pour la présidentielle française de 2007, mais toujours d’actualité pour celle de l’année prochaine.

Quelqu’un a-t-il essayé, d’un point de vue sociolinguistique, de décrire «la norme grammaticale du français parlé» des élites du Québec ? Oui, Davy Bigot, dans le premier numéro d’une nouvelle revue numérique, Arborescences : revue d’études françaises. Sa conclusion ? «[Les] membres des élites sociale et culturelle du Québec emploient de façon homogène [en situation de communication formelle] un modèle grammatical oral très proche de celui présenté dans Le bon usage (donc de l’écrit).» Cette conclusion rejoint celle de Marie-Éva de Villers, qui s’intéressait dans son livre de 2005 au lexique québécois; on s’étonne d’autant de ne pas voir ce livre dans la bibliographie de l’article de Bigot. (En matière de français québécois, on préférera cet article à celui de Denyse Delcourt paru en 2006, qui est moins bien informé.)

 

Références

Bigot, Davy, «De la norme grammaticale du français parlé au Québec», article numérique, Arborescences : revue d’études françaises, 1, 2011. https://doi.org/10.7202/1001939ar

Delcourt, Denyse, «“Parler mal” au Québec», article numérique, Mondesfrancophones.com. Revue mondiale des francophonies, 4 avril 2006. http://mondesfrancophones.com/espaces/langues/parler-quebec/

Gordon, Sandra, les Corpuscules de Krause. Roman, Montréal, Leméac, 2010, 237 p.

Villers, Marie-Éva de, le Vif Désir de durer. Illustration de la norme réelle du français québécois, Montréal, Québec Amérique, 2005, 347 p. Ill.

Marie-Éva de Villers, le Vif Désir de durer, 2005, couverture

Le (double) zeugme du dimanche matin

L’invité de la semaine est le cahier Mon toit du quotidien la Presse.

«Le mobilier intégré : une solution fonctionnelle et architecturale» (8 janvier 2011, p. 5).

«Un choix esthétique et énergétique» (15 janvier 2011, p. 6).

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Précautions oratoires

Vous allez dire une chose qu’on pourrait vous reprocher, ou vous venez de la dire, mais vous souhaitez aller au-devant de la critique, atténuer vos propos, éviter de passer pour trop critique, vous la jouer ironique. Comment faire ? En utilisant l’expression On jase ou, mieux, On jase, là avant ou après la déclaration portant potentiellement à différend.

Avant : Stéphane Baillargeon, du Devoir, se prépare à tenir des propos peu amènes sur une animatrice de télévision québécoise. Le titre de son article : «On jase, là…» (30 mai 2011, p. B7). Autre exemple, s’agissant de sport : «C’est lundi, on jase…» (la Presse, 6 juin 2011, cahier Sports, p. 7).

Après : Marie-France Bazzo (@MFBazzo), une autre animatrice de télévision, entre autres activités professionnelles, commente un nouveau projet montréalais sur Twitter le 26 mai : «La plage ds le VieuxPort de Mtl, c’est moi, ou c’est comme s’extasier sur les rideaux quand la maison tombe en ruine? #OnJase.»

Double précision lexicale.

Jaser : le verbe, au Québec, signifie simplement parler, converser; il n’a pas de connotation négative. Pourtant, dans l’usage particulier évoqué ici, on entend bien quelque chose qui évoque une des définitions du Petit Robert du verbe jaser, la plus commune en France : « Faire des commentaires plus ou moins désobligeants et médisants» (édition numérique de 2010).

: la fréquence de son emploi, parfois redoublé, est une des caractéristiques du français parlé au Québec. Exemples et .

P.-S. — L’expression On jase est populaire sur Twitter, où le mot-clic (hashtag) #OnJase est d’utilisation courante.

 

[Complément du 22 septembre 2012]

Eurêka ! (À retardement.) On jase n’est-il pas l’équivalent de «Just sayin’» ?

 

[Complément du 16 novembre 2012]

Eurêka ! (À retardement bis.) On jase n’est-il pas l’équivalent de Je dis ça, je dis rien ? Exemple venu de Twitter : «Stéphane Gatignon cesse sa grève de la faim le jour du beaujolais nouveau. Je dis ça, je dis rien.»

 

[Complément du 10 novembre 2018]

En formule condensée : «jdcjdr».

Québécasie

François Barcelo, J’haïs le hockey, 2011, couverture

On l’a dit à maintes reprises : le Québec aime les capitales. (Voyez la catégorie du même nom, en bas, à droite.) Encore ce samedi, dans le cahier Vacances voyage de la Presse, en titre : «Lanaudière / Saint-Zénon. La capitale mondiale de la mouchetée» (p. 13). (Il s’agit de truite, bien sûr.)

Il était dès lors prévisible que les romanciers s’emparent de cette obsession provinciale.

Exemple tiré du roman J’haïs le hockey, mi-polar ni-humour noir, de François Barcelo (2011) : «C’en est rendu que Saint-Zéphyrin se qualifie maintenant, sur un grand panneau que vous pouvez voir à l’entrée de la ville, de “capitale québécoise de la cuisine exotique”» (p. 15). Cela s’explique facilement : il y a une forte population «québécasienne» (p. 17) dans cette ville (fictive), en l’occurrence des Vietnamiens ou des enfants de familles dont un des parents est vietnamien.

P.-S. — Le narrateur s’appelle «Vachon» sur la quatrième de couverture et à la p. 6, puis «Groleau» dans le reste du roman. Ça fait désordre.

 

Référence

Barcelo, François, J’haïs le hockey. Roman, Montréal, Coups de tête, coll. «Roman noir», 45, 2011, 111 p.