Divergences transatlantiques 012

Christian Gailly, les Évadés, 2010, couverture

Soit un «Récipient isolant à double paroi de verre séparée par un vide, qui maintient durant quelques heures la température du liquide qu’il contient», au genre fluctuant (le Petit Robert, édition numérique de 2010).

Au Québec, le mot est surtout masculin : «Il aurait juré qu’il n’y était pas il y avait un moment à peine, et pourtant, assis sur un banc de fortune, il se versait un café de son vieux thermos taché d’encre, avec l’attention de quelqu’un que rien n’avait déconcentré et avec la lenteur de celui qui avait tout son temps» (Claire Séguin, la Trace).

En France, il paraît être beaucoup employé au féminin : «Je vais bientôt servir, et puis tu en profites pour apporter l’eau et le vin, qui sont dans la glacière et la glacière dans le coffre et, non, pas la Thermos de café, ne la cherche pas, elles est là, oui, c’est tout» (Christian Gailly, p. 135); «Valdimar reposa la pièce, ouvrit sa thermos de café et versa la boisson brûlante au fond d’une tasse» (Arnaldur Indridason, p. 51).

Heureusement qu’il y les Belges : «La mise au rebut de la boîte à tartines, de la bouteille Thermos et l’adieu définitif à la machine à pointer» (Nicolas Ancion, Les ours n’ont pas de problème de parking).

 

[Complément du 14 décembre 2018]

Au printemps de cette année, Michel Francard a repris en recueil quelques-unes de ses chroniques de langue parues dans le quotidien belge le Soir. On peut y (re)lire avec profit son texte intitulé «Un thermos, what else ?» (p. 174-177)

 

Références

Ancion, Nicolas, Les ours n’ont pas de problème de parking, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Fiction 17», 2011. Édition numérique. Édition originale : 2001.

Francard, Michel, Vous avez de ces mots… Le français d’aujourd’hui et de demain !, Bruxelles, Racine, 2018, 192 p. Illustrations de Jean Bourguignon.

Gailly, Christian, les Évadés, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 65, 2010, 234 p. Édition originale : 1997.

Indridason, Arnaldur, la Rivière Noire, Paris, Métailié, coll. «Métailié noir», 2011, 299 p. Traduction d’Éric Boury. Édition originale : 2008.

Séguin, Claire, la Trace, Lévis (Québec), Fondation littéraire Fleur de Lys, 2006, 320 p. Édition numérique.

Le (triple) zeugme du dimanche matin

• «Douze muffins remplis d’espoir et de noisettes» (Joël da Silva, le Temps des muffins, Montréal, Maison théâtre, février 2011).

• «Nous reprîmes nos armes, nos sacs et nos vies de fugitifs» (Jean-François Vaillancourt, Cégep de Sainte-Foy, Québec).

• «N’oublie pas les tomates en dés et en boîte» (des sources conjugales proches de l’Oreille tendue).

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Chroniques du bilinguisme non hexagonal 001

Cahier publicitaire inséré dans la Presse du 19 mars : «Outdooring. Un nouvel art de vivre.»

De quoi s’agit-il ?

Le Outdooring est un nouveau style de vie répondant à une demande grandissante des gens. C’est l’art de vivre à l’extérieur, dans un pavillon spécialement aménagé pour répondre à un besoin précis, dans le but de favoriser le bien-être de tous et chacun. Accessible à l’année, cette pièce extérieure, habillée et décorée pour un confort maximal, est une continuité de la maison. Elle offre la possibilité de réunir ceux que nous aimons et de recevoir beau temps mauvais temps, sans le moindre souci.

Cette prose fleurie appelle quelques questions et commentaires.

Si l’on pratique le outdooring, doit-on aussi consulter le opticien ? Se baigner dans le océan ? Couvrir ses plaies avec le onguent ?

Il existerait «une demande grandissante des gens» pour cette activité. Pourrait-elle venir d’ailleurs que «des gens» ? Des plantes ? Des animaux ? Des minéraux ?

Si on n’a pas «un besoin précis», peut-on quand même se livrer au outdooring ? Après tout, «tous et chacun», c’est un peu soi aussi.

On se réjouit de voir que le «bien-être» et le «confort maximal» sont réservés à ceux «que nous aimons». Que les autres restent chez eux !

L’«habillement» et la «décoration», ce n’est pas la même chose ? Ah.

Une dernière question, un peu bête, qui concerne la vie dedans-dedans, par opposition à la vie dedans-dehors, et vice versa. L’antonyme de outdooring est-il indooring ?

P.-S. — Plus prudent et moins publicitaire que Trevi, la firme qui vend «le Outdooring», le journal la Presse consacre un article à cette pratique dans son édition du 26 mars, «Manger, dormir… et regarder la télé dehors» (cahier Mon toit, p. 8). Le mot outdooring n’y apparaît pas une seule fois.

 

[Complément du 30 août 2011]

Une collègue de l’Oreille tendue, Monique Cormier, a fait l’histoire du mot outdooring à l’émission Médium large de la radio de Radio-Canada le 25 août 2011. On l’entend ici.

 

[Complément du 11 juillet 2012]

@JeanSylvainDube se posait la question suivante sur Twitter, le 10 juillet 2012 : «Y a-t-il des gens qui emploient “gaminet”, “hambourgeois”, “mercatique” ou “moufflet” ?» Et il répondait lui-même : «Néologismes vains…»

Que dirait-il des propositions de «traduction» pour outdooring de l’Office québécois de la langue française, propositions repérées par @PimpetteDunoyer le même jour ? L’OQLF évoque — juré craché — quatre possibilités : jardinisme, extérieurisme, tendance jardiniste et tendance extérieuriste. Définition du jardinisme : «Tendance marquée par le besoin de profiter du temps passé à l’extérieur, au jardin, en concevant l’espace disponible comme un prolongement de l’espace intérieur et en l’aménageant avec le même souci d’élégance, de confort et de convivialité qu’une pièce intérieure.»

@fbon est d’abord attristé par ces propositions, puis il suggère (ironiquement) d’utiliser le terme potagisme, alors que tendance extérieuriste fait «glousser» — à juste titre — @PimpetteDunoyer.

L’OQLF a déjà eu la main plus heureuse, par exemple quand il a retenu courriel.

 

[Complément du 14 juillet 2014]

Lisant un texte de Loïc Depecker paru en 2013, l’Oreille tendue tombe sur ceci : «Le Québec continue […] son travail de francisation, avec une avalanche d’autres termes actuellement en traitement (ce qui montre la poussée de l’angloaméricain), dont outdooring, pour lequel sont actuellement proposés jardinisme, pleinairisme, vérandalisme… Terme que la France refuse de traiter, n’y voyant pas d’intérêt particulier. Je suis sûr pour ma part, vu l’intérêt économique de tirer l’intérieur de sa maison vers le jardin ou la terrasse, que ce terme ne tardera pas à se répandre chez nous» (p. 50).

 

Référence

Depecker, Loïc, «Le français est-il une langue moderne ?», dans François Gaudin (édit.), la Rumeur des mots, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2013, p. 43-60.

Chroniques du bilinguisme hexagonal 001

Les voyages ont des effets souvent imprévus. L’Oreille tendue, qui se croyait bilingue, débarquant à Paris, est prise de doutes. Devant cette publicité, par exemple.

Publicité pour Flunch, Paris, 2011

«Flunch» ? «Flunch in the USA» ? Non, elle doit le confesser : l’Oreille tendue, qui vient de découvrir l’existence de la chaîne de restauration rapide Flunch, n’est pas bilingue.