Ici et ailleurs

C’est officiel : il existe dorénavant une capitale des murs peints. Il s’agit de la municipalité québécoise de Mont-Joli (577 km de Montréal). Il suffisait d’y penser.

À Disney World, au pavillon du Canada — qu’un des fils de l’Oreille tendue appelait «l’ambassade» —, le bonimenteur se présente comme un natif de St. Catharines, Ontario, «la capitale mondiale du beigne». (En France, on dirait beignet ou deunote.)

Quand on se compare, on se console. Ou pas.

Du typewriter

Alfred Decelles fils, la Beauté du verbe, 1927, couverture

En 1927, Alfred DeCelles fils entre en croisade linguistique. Son opuscule la Beauté du verbe (Entretiens sur la langue française au Canada) est une entreprise d’«épuration». De quoi faut-il protéger la langue française d’ici ? De l’anglicisme, cette plaie.

DeCelles mène l’attaque sur quatre fronts. Il étale volontiers, citations à l’appui, sa culture française (Du Bellay, Descartes, Molière, Racine, Voltaire, Vigny, Hugo). Il donne des extraits de ses prédécesseurs croisés, qu’ils soient canadiens-français (Dunn, Buies, Roullaud, Clapin, Ricard, Blanchard, Camille Roy), français (Rémy de Gourmont, Brunetière, Bonnaffé, Thérive) ou belges (D’Harvé). Il enfile les formes (qu’il juge) fautives, avec leur transcription «plus ou moins phonétique» (p. 19 n.). Ce «réformateur» (p. 54) propose de revoir les programmes de l’école primaire et de lancer «une vigoureuse campagne de presse» (p. 52).

Quelques constatations à la lecture de cette «collection de cacographies» (p. 37).

Un catalogue non raisonné de fautes supposées, sur le modèle «Dites / Ne disez pas», c’est rarement intéressant et c’est toujours barbant à lire.

Plus ça change, plus c’est pareil : l’emprunt est dangereux et il empêche la langue de conserver sa «pureté liliale» (p. 48).

On ne peut parler de langue au Québec sans parler du rapport à «notre ancienne mère-patrie» (p. 42) : ses anglicismes, son argot, ses néologismes.

Malgré tout, on trouve de jolies choses sous la plume de DeCelles, dont celle-ci :

Je connais un rond de cuir qui se donne, tous les jours, un mal infini pour articuler : taprater ! N’avons-nous pas le mot dactylographe, ou encore l’expression machine à écrire ? (p. 20)

Taprateur ou tapratère auraient probablement été de meilleurs choix, mais il est trop tard pour cela.

 

Référence

Decelles fils, Alfred, la Beauté du verbe (Entretiens sur la langue française au Canada), Ottawa, Imprimerie Beauregard, 1927, 58 p.

Oxymores citadins

Rue Amherst, Montréal, juillet 2010

Grâce, notamment, à un informateur québecquois, l’Oreille tendue a eu l’occasion de se pencher, ici, et ailleurs, sur l’obsession de l’urbain qui nous entoure.

Ne nous arrêtons pas en si bon chemin (urbain).

Rue Saint-Jean, dans la bonne ville de Québec, il y aura bientôt une cabane urbaine; ce sera un café-resto. On rêve de le jumeler à l’érablière urbaine de l’arrondissement de Saint-Laurent, sur l’île de Montréal. Les grands esprits ne se rassemblent-ils pas ?

P.-S. — Curiosité : le même bureau, rue Amherst à Montréal, fait syndic de faillite, comptabilité et… «maison urbaine» (en l’occurrence, des maisons de retraite pour gais).

Divergences transatlantiques 011

Sundae

Question existentielle : où poser la cerise ? Là : sur la gâteau. Ici : sur le sundae.

Exemples : «Bruyants, ils buvaient comme des trous et, cerise sur le gâteau : ils avaient applaudi au moment où l’avion s’était posé dans la grande ville», écrit Éric Boury, traduisant Arnaldur Indridason (p. 89-90); «Le design, c’est la cerise sur le sundae», sous-titre la Presse en 2006.

Tous les (dé)goûts alimentaires sont dans la nature.

 

[Complément du 21 février 2016]

D’où ce titre de presse, du 19 février 2016, dans le Journal de Montréal, sous la signature de Michel Girard :

Michel Girard, «La CSeries sur le sundae». le Journal de Montréal, 19 février 2016

 

[Complément du 26 février 2016]

Rebelote.

 

[Complément du 10 juin 2016]

Dans le même ordre d’idées, ceci, dans Fatigues (2014), de Pierre Peuchmaurd : «La cerise sur la charrue, le gâteau avant les bœufs !» (p. 154)

 

Références

Indridason, Arnaldur, Hypothermie, Paris, Métailié, coll. «Bibliothèque nordique», 2010, 294 p. Traduction d’Éric Boury. Édition originale : 2007.

Pierre Peuchmaurd, Fatigues. Aphorismes complets, Montréal, L’Oie de Cravan, 2014, 221 p. Avec quatre dessins de Jean Terrossian.

 

La Presse+ (Montréal), 30 avril 2015