Non, pas quelque part

L’Oreille tendue est linguistiquement commune : il y a des choses qu’elle n’aime pas parce qu’elle ne les aime pas. Ce sentiment est largement partagé autour d’elle.

L’Oreille tendue est bibliographe : elle aime, d’amour, les notices bibliographiques bien torchées. Ce sentiment n’est pas aussi largement partagé qu’il le devrait, même autour d’elle.

L’Oreille tendue n’aime pas l’expression X écrit quelque part. Exemple : «note-t-il quelque part» (la Presse, 11 décembre 2012, p. A5). Cela blesse, par manque de précision, sa fibre bibliographique.

Si l’on sait où se trouve ce que l’on veut citer, on le dit. Si on ne le sait pas, on ne dit rien (on ne dit pas quelque part).

C’est comme ça.

P.-S. — Rappelons-le : employer à ou en devant quelque part est un crime passible des plus lourdes peines. Ça aussi, c’est comme ça.

 

[Complément du 3 novembre 2020]

Jean-Jacques Rousseau dans sa Lettre à d’Alembert en 1758 ? «J’ai lu quelque part […]» (éd. de 1967, p. 159).

 

Référence

Rousseau, Jean-Jacques, Lettre à M. d’Alembert sur son article Genève, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «GF», 160, 1967, 250 p. Chronologie et introduction par Michel Launay. Édition originale : 1758.

Langue de campagne (5)

On le sait : l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir précédé d’un complément d’objet direct pose souvent problème, notamment à l’oral. On le sait moins : il est des gens qui proposent de remplacer la règle actuelle par l’invariabilité.

Jean Charest, le chef du Parti libéral du Québec, paraît faire partie de ces gens. Il pratique volontiers, et sans s’en excuser, la réforme que prônent ces progressistes : au moins huit fois dans les débats télévisés du 19, du 20 et du 21 août , il n’a pas accordé ses participes.

Une fois n’est pas coutume : Jean Charest est le plus progressiste des chefs politiques québécois.

Les yeux de l’Oreille

En vacances, l’Oreille tendue ne se coupe pas complètement du monde. Elle se tient coite, du moins ici, mais elle goûte les découvertes des autres.

Leurs découvertes linguistiques 1 (merci à @IanikMarcil)

Batman et le conditionnel

Leurs découvertes linguistiques 2 (merci à @lasoiree)

Le français de Johanne Marcotte

Leurs découvertes extrêmes (merci à @machinaecrire)

Zone de préservation extrême

Leurs découvertes signalétiques 1 (merci à @PimpetteDunoyer)

Le cimetière électoral

Leurs découvertes signalétiques 2 (merci à @PimpetteDunoyer, bis)

La route et la gaufrette

Leurs découvertes typographiques (merci à @Languagelab)

L’art de la virgule

Révélation sportive

Achdé, les Canayens de Monroyal. Saison 3. Filet garni !, 2011, couverture

L’Oreille tendue a eu plusieurs occasions de parler de la bande dessinée sur le hockey au Québec (BDHQ). Ici même, c’était le 12 décembre 2011, le 23 décembre 2011 et le 28 décembre 2011. Il lui est aussi arrivé d’aborder le sujet à la radio.

Par conscience professionnelle, mais sachant qu’elle s’ennuierait, elle a donc lu la «saison 3» des Canayens de Montréal, la série d’Achdé, Filet garni ! (2011).

Cet album n’est pas plus drôle que les précédents, ce qui est ennuyeux pour une bande dessinée humoristique («Détente, rigolade, soleil assuré pour tout public !»).

De plus, il révèle quelque chose de troublant sur ses concepteurs. En effet, il n’y a pas d’«avant-centre» au hockey (p. 22), et les joueurs de défense et les attaquants ne sont pas des «joueurs de champ» (p. 34).

Ce ne serait quand même pas plus mal de connaître le vocabulaire du hockey quand on produit une série comme celle-là.

P.-S. — Et «soutien», évidemment, ne s’écrit pas «soutient» (p. 40).

 

[Complément du 2 juin 2016]

L’Oreille tendue vient de publier un article sur ce sujet :

Melançon, Benoît, «BDHQ : bande dessinée et hockey au Québec», dans Benoît Melançon et Michel Porret (édit.), Pucks en stock. Bande dessinée et sport, Chêne-Bourg (Suisse), Georg, coll. «L’Équinoxe. Collection de sciences humaines», 2016, p. 101-117. https://doi.org/1866/28749

 

Référence

Achdé, les Canayens de Monroyal. Saison 3. Filet garni !, Boomerang éditeur jeunesse, 2011, 46 p. Couleur : Mel.

Non, tu n’es pas épicurien

Soit deux tweets :

Le premier, de Ianik Marcil : «Plus capable de lire que Machin ou Bidule sont “épicuriens”. Juste plus capable. LIRE : http://bit.ly/x4azJ3

Le deuxième, de Fabien Trecourt : «“J’aime bien manger, boire et faire la fête, je suis un épicurien” #laphrasequirendfou #contresens.»

Soit un exemple, parmi cent :

«Atmosphère : Animée, voire bruyante. Beaucoup de groupes d’amis, de représentants épicuriens de la génération Y» (la Presse, 21 avril 2012, cahier Gourmand, p. 8).

Soit une définition, qui confirme les tweets et contredit l’exemple, celle de l’épicurisme :

«Doctrine d’Épicure qui comporte une cosmologie matérialiste fondée sur la notion d’atome (physique), une théorie des sensations et une morale (reposant en partie sur une recherche raisonnée du plaisir)» (le Petit Robert, édition de 2010).

Bref, on ne confondra pas, dans la mesure du possible, passion des plaisirs et recherche raisonnée du plaisir.

 

[Complément du 23 juillet 2012]

Dans «Cuisiner sous le capot», le cahier Auto de la Presse se penche aujourd’hui sur la cuisson sur moteur ou «Carbecue», le barbecue de voiture (p. 12-13). Le reportage porte sur des collaborateurs du journal : «Notre équipe de journalistes qui couvre les faits divers passe un temps fou sur la route. Mais nos patrouilleurs sont deux épicuriens. Ils ont donc recours à la cuisson sous le capot, question de bien manger, peu importe où ils se trouvent» (p. 1). Les aventures gastronomiques de deux «épicuriens» sur la route, en quelque sorte.

 

[Complément du 19 décembre 2012]

Préparant hier soir une fondue au fromage, l’Oreille tendue, à son corps défendant, serait devenue épicurienne.

La fondue qui fait de vous un épicurien

[Complément du 18 mars 2013]

Le phénomène prend de l’expansion (géographique). Régis Labeaume, le maire de la Vieille Capitale, vient en effet de déclarer que «Québec est une ville d’épicuriens. […] On adore le vice ici !» (huffingtonpost.ca, via @IanikMarcil).

 

[Complément du 20 janvier 2014]

Dans le Devoir des 18-19 janvier 2014, Édouard Nasri répond à la question «YOLO : le carpe diem des temps modernes ?» (p. B6) Au passage, il en découd avec épicurien :

Un autre élément de la philosophie d’Épicure reprise par Horace dans son expression carpe diem, et loin de la caricature qu’en fait inconsciemment le sens commun (ne dit-on pas — à tort — du gourmand amateur de bonne bouffe qu’il est un épicurien ?), réside dans la modération.

Si le bonheur (défini comme l’accumulation de certains plaisirs) est le but ultime de l’existence et qu’il faut donc orienter nos actions vers celui-ci, cette quête doit impérativement être faite de façon modérée.

Cette nuance, bien que d’apparence superficielle, change pourtant tout. Le plaisir doit être recherché au quotidien (dans l’activité philosophique, les relations amicales, et ce qu’on appelle communément «les petits plaisirs de la vie»), mais il faut impérativement en jouir dans la modération, c’est-à-dire éviter tout excès.

Merci.

 

[Complément du 13 octobre 2014]

Pour une brillante interprétation de la montée contemporaine du nouveau sens de l’épicurisme, il faut lire «Êtes-vous épicuriens ?» d’Alex Gagnon sur le blogue Littéraires après tout.

 

[Complément du 21 novembre 2018]

«Je remarque au passage que la postérité associe mon nom aux plaisirs démesurés de la table. Pourtant, se montrer épicurien signifie avant tout savoir faire preuve de simplicité et non de débordement» (René Bolduc, «4. D’Épicure à Michael Jackson», dans Sincèrement vôtre. Petite introduction épistolaire aux philosophes, préface de Normand Baillargeon, Montréal, Poètes de brousse, coll. «Essai libre», 2018, 232 p., p. 43-50, p. 45).