Un tabarnak de bon tweet

L’Oreille tendue l’a dit et répété : elle aime beaucoup sacrer, et sacrer beaucoup. Elle a un faible, dans son répertoire de jurons, pour tabarnak (voir ici et ).

Pourquoi ? À cause de la variété de ses usages. Prenez le tweet ci-dessus.

«Être beau en tabarnak», c’est être vraiment très beau.

«Être en beau tabarnak», c’est être fâché superlativement.

«Être un beau tabarnak», c’est être quelqu’un qu’on souhaiterait ne jamais être.

Quatre mots, pour trois sens, selon l’ordre dans lequel on les emploie.

Que demander de mieux ?

 

[Complément du jour]

Des sources journalistiques généralement bien informées indiquent à l’Oreille que l’ami cité dans le tweet («a friend») serait Bryan Villeneuve. Rendons à César ce qui est à César : merci.

C(h)(r)isti(e)

Dans son excellente série «Passé simple», @machinaecrire évoquait hier ces

petits malins [qui] s’inventent des versions édulcorées des sacres. Il s’agit de tordre une syllabe pour mettre un gros mot à la diète. Ainsi sont-ils persuadés de leurrer les adultes lorsqu’ils lancent : bateau, câline, câlique, caltore, crime, cibole, hostic, sacrifice, tabarnane, tabarouette, taboire et le classique christie, qui est à la fois la fusion de christ et hostie, mais aussi une marque de biscuits bien connue à l’époque.

«Christie» ? Patrick Lagacé, de la Presse+, n’est pas du même avis :

Mais tout pour désespérer de l’humanité : cristi, tu me suggères de me pendre, bonhomme, pour vrai, tu vires sur le top parce que j’ai écrit que mourir à 69 ans, subitement, est une belle mort ?

Cristi est aussi la graphie retenue par Léandre Bergeron en 1980, qui définit le mot ainsi : «Forme adoucie de CRISSE !» (p. 159; majuscules certifiées d’origine). Francis Desharnais et Pierre Bouchard ajoutent une lettre : cristie (2013, p. 102).

Albert Chartier, dans la bande dessinée Onésime en juin 1983 (éd. de 2011, p. 229), préfère «Christi».

Albert Chartrier, «Onésime», juin 1983, détail

L’origine de l’expression n’est pas plus claire. @revi_redac se posait la question en 2014 :

L’Oreille tendue pencherait vers l’euphémisme plus que vers la fusion christ + hostie, mais elle n’en mettrait pas son oreille au feu.

Tout ça, il est vrai, se discute.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Chartier, Albert, Onésime. Les meilleures pages, Montréal, Les 400 coups, 2011, 262 p. Publié sous la direction de Michel Viau. Préface de Rosaire Fontaine.

Desharnais, Francis et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 3. Comme dans le temps, Montréal, Éditions Pow Pow, 2013, 107 p.

Poésies printanières

François Pelletier et Paul Marion, Poetry Face Off. Poésie des séries, 2008, couverture

«art can survive on ice»

En 2002, puis de nouveau en 2004, le poète québécois François Pelletier et le poète états-unien Paul Marion se sont lancé un défi. Les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — étaient alors opposés, en séries éliminatoires, aux Bruins de Boston. Si les Canadiens gagnaient un match, Marion, un partisan lowellien des Bruins, avait perdu : il devait écrire un poème. Inversement, si les Bruins gagnaient, c’est Pelletier qui devait s’y coller. Comme il était prévisible (à l’époque), Marion écrivit plus que son collègue (huit poèmes contre cinq).

Ces poèmes furent d’abord publié dans «le carnet de santé mensuel littéraire et graphique» (p. 5) Steak haché (numéros 48 et 49, avril et mai 2002; numéro 72, avril 2004). Ils ont été repris en recueil en 2007, puis dans une «seconde édition» en 2008, avec des dessins inédits de Pascal Picher.

Les poèmes sont majoritairement en anglais. On y trouve les lieux communs liés aux représentations du hockey. Le hockey est une religion montréalaise (p. 13, p. 39). La coupe Stanley, remise annuellement au champion de Ligue nationale de hockey, est l’équivalent du Graal (p. 5, p. 27). Les Canadiens se passent un «flambeau» avec leurs «bras meurtris» (p. 13, p. 27). Il y a des fantômes au Forum de Montréal :

O Gods of the snowy country and
the land of the lost referendums
sent us the phantoms of the Forum,
our Antic Flying Heroes (p. 25)

On le voit par l’allusion aux deux référendums sur l’indépendance nationale («lost referendums»), l’actualité politique est présente dans les poèmes (p. 35), de même que l’internationale (p. 19, p. 33).

Les grandes figures du passé de chacune de ces «two hockey city-states» (p. 7) y sont. Pour les bons : Maurice Richard, Jean Béliveau, Guy Lafleur. Pour les autres : Bobby Orr, Phil Esposito, Gerry Cheevers. En revanche, les vedettes de 2002 et de 2004, sans être complètement oubliées aujourd’hui, n’ont pas du tout le même statut : José Théodore et Richard Zednik, pour Montréal; Joe Thornton et Patrice Bergeron, pour Boston. Malgré l’animosité entre les deux équipes, la violence est relativement peu évoquée par les deux «literary ambassadors» (p. 7) qu’étaient Pelletier et Marion : «Big Fast Bruins Are Better Than the Big Bad Bruins» (p. 13).

Les Canadiens de 2017-2018 sont éliminés depuis longtemps. (Pas les Bruins.) Le printemps sportif montréalais ne sera pas poétique. On peut le déplorer.

P.-S.—«Tabernacle» (p. 15) ? Non.

 

Référence

Pelletier, François et Paul Marion, Poetry Face Off. Poésie des séries, Montréal, Steak haché, 2008, 41 p. Ill. Préfaces de Jack Drill (pseudonyme de Richard Gingras) et de Paul Marion. Dessins de Pascal Picher. Seconde édition.

Exégèse blaisienne

André «Moose» Dupont dans l’uniforme des Flyers de Philadelphie, carte de joueur

Soit la phrase suivante, tirée du plus récent livre de François Blais :

«Huit cent mille [Tutsis massacrés]. En plus ou moins quatre-vingt-dix jours. Cela fait quelque chose comme six morts à la seconde, vingt-quatre heures par jour, sept jours sur sept. Ici, il serait tentant de citer Moose Dupont, mais je vais me garder une gêne» (p. 29).

Quand Un livre sur Mélanie Cabay entrera dans la «Bibliothèque de la Pléiade», voire dans la «Bibliothèque du Nouveau Monde», une note explicative sera peut-être nécessaire. Proposons celle-ci.

André Dupont est un joueur de hockey canadien né en 1949, surnommé «Moose» («L’orignal»). On lui attribue la paternité de l’expression «en ta» ou «en tab», élision possible de divers jurons québécois : «en tabarnak», «en tabarouette», «en tabarnouche», «en tabouère», «en tabarnane», «en tabarslak», «en tabeurn» (dans ce cas, l’élision est double), etc. (Voir ici et .) Elle signifie «beaucoup». Le journaliste sportif Robert Duguay (1948-1999), de la Presse, l’affectionnait. «Se garder une [petite] gêne» est signe de retenue ou de pudeur dans le français du Québec.

À votre service.

 

[Complément du 25 août 2019]

Tabarnache est attesté, par exemple dans Lignes de fuite, une pièce de Catherine Chabot (2019, p. 80).

 

Références

Blais, François, Un livre sur Mélanie Cabay. Récit, Longueuil, L’instant même, 2018, 125 p.

Chabot, Catherine, Lignes de fuite, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 20, 2019, 130 p. Ill. Suivi d’Aurélie Lanctôt, «Une génération dans le miroir».

Sacrons poliment avec Twitter

Soit le tweet suivant :

Torvisse, donc. C’est un autre de ces jurons édulcorés comme on en a déjà vu ici à quelques reprises.

On le trouve aussi chez la Françoise Major de Dans le noir jamais noir (2013) :

Après… ça s’est pas amélioré. Ils l’ont fait souffler dans la balloune. Pour une fois, Germain s’obstinait pas. Il aurait peut-être dû. Trop saoul pour souffler dans la balloune, torvisse ! Il a fini par réussir au septième ou huitième coup (p. 17-18).

Il y a plus violent que ce sacre-là. Cela ne lui enlève rien de son utilité.

 

[Complément du 18 juin 2025]

Rarissime emploi adjectival dans le quotidien le Devoir d’hier : «Manque de pot, la réponse à cette question torvisse ne se trouvait pourtant pas très loin, dans une étude scientifique à paraître sous peu dans la Revue canadienne des sciences régionales.»

 

Référence

Major, Françoise, Dans le noir jamais noir. Nouvelles, Montréal, La mèche, 2013, 127 p.