Citations ponctuationnelles du jour, bis

Jacques Drillon, Traité de la ponctuation française, 1991, couverture

Le 2 novembre, l’Oreille tendue proposait quelques citations (empruntées) sur la ponctuation. Rebelote aujourd’hui, dont plusieurs en anglais. (L’Oreille remercie ses lecteurs pour leurs suggestions.)

Jo Nesbø, le Sauveur

«—C’est ça. Et tu es le bienvenu, frère.
Ce “frère” fut dit avec une légèreté infiniment naturelle, comme une ponctuation sous-entendue et donc à peine prononcée» (p. 84).

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«Can I let you in on a secret? Typing two spaces after a period is totally, completely, utterly, and inarguably wrong

Jacques Drillon, Traité de la ponctuation française

«On en dit plus sur soi en plaçant une virgule qu’en racontant son enfance ou ses perversions sexuelles — fussent-elles exquises.»

@Kurt_Vonnegut

«Do not use semicolons. They are transvestite hermaphrodites representing absolutely nothing. All they do is show you’ve been to college

@MrJeg57

«Mes 4e sont contents: j’autorise les points d’exclamat° ou d’interrogat° redoublés. Or l’an dernier, ma collègue l’interdisait formellement.»

@dancohen

«Surely we should have foreseen the long decline of Yahoo! when they refused to get rid of the exclamation point

«Du populisme en littérature», le Monde, 17 mars 2012

«Il est frappant que la liste des meilleures ventes d’essais de Livres hebdo, le magazine de la librairie, soit infectée de points d’exclamation. C’est le signe de ponctuation des populistes. Stéphane Hessel, qui pourrait bien être un faux gentil et un vrai cabot, est l’auteur d’un Indignez-vous ! qui nous donne un ordre depuis un an en tête des ventes. Son titre à injonction est imité par : Jacques Attali, Candidats, répondez !; Christine Lewicki, J’arrête de râler !; Julien Lepers, Les Fautes de français ? Plus jamais !; Marcel Rufo, Tiens bon !

Et bien sûr, quand on examine le sens des titres, le populisme est confirmé. Pureté de la langue; comptes réclamés à l’élection. Ce fou de Péguy savait au moins une chose, que les phrases exclamatives n’ont pas nécessairement besoin de point d’exclamation. Elles en restent aussi imposantes, et perdent en répulsion. On pourrait m’objecter le point d’exclamation comique de Max Jacob, mais je ne crois pas que Max Jacob, son humour et sa grâce soient le genre des réalistes.»

Gertrude Stein (via @desrosiers_j)

«Exclamation marks have the same difficulty and also quotation marks, they are unnecessary, they are ugly, they spoil the line

Baudelaire, épreuves des Fleurs du mal

«enlevez donc cette maudite virgule»

Gertrude Stein, bis (via @desrosiers_j, bis)

«…anybody can know that a question is a question and so why add to it the question mark

Mme Charrier-Boblet, la Ponctuation enseignée par la pratique, 1855, couverture

Références

Drillon, Jacques, Traité de la ponctuation française, Paris, Gallimard, coll. «Tel», 177, 1991, 472 p.

Nesbø, Jo, le Sauveur. Une enquête de l’inspecteur Harry Hole, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 552, 2012, 669 p. Traduction d’Alex Fouillet. Édition originale : 2005.

Rien de tel qu’un livreur fiable

Camion de déménagment d’IKEA

Vous faites ce qui est attendu de vous ? Vous tenez parole ? Vous ne vous défilez pas ? Alors, vous livrez la marchandise.

«Christine St-Pierre estime avoir “livré la marchandise”» (la Presse, 19 juin 2009, cahier Arts et spectacles, p. 7).

«Le Rocker Dany Kane avait touché le gros lot avec la SQ mais s’est suicidé avant de livrer la marchandise» (le Devoir, 15 mai 2002).

Les politiques québécois, par exemple François Legault, raffolent de l’expression. Cet «emprunt phraséologique» à l’anglais (to deliver the goods) plaisait aussi, en 1997, aux journalistes du Devoir, note Marie-Éva de Villers dans le Vif Désir de durer (p. 284 et p. 286), eux qui le préféraient très largement à tenir ses promesses, tenir parole et tenir ses engagements.

Au Québec, l’expression ne s’emploie qu’au singulier. Le traducteur en français de l’auteur de romans policiers Jo Nesbø est moins catégorique : «Il avait “livré les marchandises”, comme ils disaient» (p. 36).

 

Références

Nesbø, Jo, le Sauveur. Une enquête de l’inspecteur Harry Hole, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 552, 2012, 669 p. Traduction d’Alex Fouillet. Édition originale : 2005.

Villers, Marie-Éva de, le Vif Désir de durer. Illustration de la norme réelle du français québécois, Montréal, Québec Amérique, 2005, 347 p. Ill.

Marie-Éva de Villers, le Vif Désir de durer, 2005, couverture

Woody Allen aurait dû aller à Nicolet

C’est dans Take the Money and Run (1969), le film de Woody Allen. Virgil Starkwell, le personnage joué par Allen, entre dans une banque pour la braquer. Il glisse au caissier une note sur laquelle est écrit, entre autres choses, «I have a gun», mais sans lui montrer tout de suite ledit pistolet. S’ensuit un de ces dialogues absurdes si chers au cinéaste.

Caissier numéro 1 : «Does this look like “gub” or “gun” ?»

Caissier numéro 2 : «Gun. See ? But what’s “abt” mean ?»

Virgil Starkwell : «It’s “act”. A-C-T. Act natural. Please put fifty thousand dollars into this bag, act natural

Caissier numéro 1 : «Oh, I see. This is a holdup ?»

Virgil Starkwell : «Yes

Caissier numéro 1 : «May I see your gun ?»

À l’École nationale de police du Québec, à Nicolet, les choses sont plus claires.

Caché derrière un arbre, [le futur policier] Filippo Dori ordonne [à un faux criminel] de jeter son arme : «Drop ton gun !» lui crie-t-il, avant de revenir au vouvoiement : «Dropez votre gun, monsieur !» L’homme finit par obtempérer, et l’élève lui passe les menottes (la Presse, 1er décembre 2012, p. A3).

On pourra déplorer l’alternance codique entre le français et l’anglais, mais on sera sensible à l’utilisation de la deuxième personne du pluriel. Elle fait partie des règles à suivre à Nicolet :

Ici, on demande aux élèves de vouvoyer tout le monde, même leurs confrères et consœurs, durant tout le stage, souligne Jean-Luc Gélinas, responsable du programme de formation initiale en patrouille-gendarmerie. On les encourage à continuer à le faire après. Dans une intervention, le fait de vouvoyer montre du respect (la Presse, 1er décembre 2012, p. A2).

Tous les (futurs) policiers n’ont pas la langue de Stéfanie Trudeau, la célèbre «Matricule 728». Et ils savent ne pas confondre «gun» et «gub».

 

 

[Complément du 23 mars 2023]

Nicolet s’inspirerait-elle de la France ? «Le policier ou le gendarme est au service de la population. Sa relation avec celle-ci est empreinte de courtoisie et requiert l’usage du vouvoiement» (Code de la sécurité intérieure, article R434-14).

C’est toujours bon à savoir

La note de bas de page favorite de l’Oreille tendue

On ne confondra pas le nom masculin blabla («Propos verbeux destinés à endormir la méfiance») et l’interjection blablabla («Onomatopée qui évoque le verbiage»). C’est le Petit Robert (édition numérique de 2010) qui le dit.

L’anglais peut être plus économique : «blah» («used to substitute for actual words in contexts where they are felt to be too tedious or lengthy to give in full», dit le dictionnaire du Macintosh de l’Oreille tendue).

Une langue flexible

Vous n’êtes pas de stricte obédience végétarienne ? Vous seriez donc flexitarien, rappelle le patron d’une chaîne québécoise de restaurants (jusque-là) sans viande. (Synonyme de bon sens proposé par @iericksen : «omnivore».)

Le mot n’est pas nouveau, explique le journal belge le Soir. On le trouve en anglais dès la fin des années 1990. (Merci à @catheoret pour le lien.)

La journaliste du Soir propose divers néologismes sur le modèle de flexitarien : flexitalisme («un capitalisme modéré où, une fois par semaine, on partagerait les richesses»), flexisocialisme («de temps à autre, […] voter à droite»), flexisme («Un jour sur deux, les femmes gagneraient autant que les hommes»).

Ajoutons flexigame à la liste : «“mais non, chérie, je ne suis pas infidèle, je suis flexigame.” #nuance» (@david_turgeon).

Voilà un préfixe d’une «flexibilité extrême» (le Devoir, 10 février 2005, p. A1).

P.-S. — Un flexitarien peut-il manger de la «viande religieuse» ? Ça se discute. (Merci à @PimpetteDunoyer pour le lien.)