Citation oto-critique du jour

André Belleau, le Romancier fictif, 1980, couverture

«La pratique critique vise en effet beaucoup plus à poser des problèmes qu’à construire des modèles. Elle opère avec des questionnements pertinents, des concepts adéquats, une bonne reconnaissance du terrain, et beaucoup, beaucoup d’oreille, non avec des modes d’emploi et des posologies. Même bricoleuse (selon le mot de Genette), elle ne se veut pas exclusivement technicienne : elle n’écarte pas la surprise, le raccourci, la trouvaille, le don, la formule, l’effet, le bonheur de son propre langage. Elle a beau dire…»

André Belleau, le Romancier fictif. Essai sur la représentation de l’écrivain dans le roman québécois, Montréal, Presses de l’Université du Québec, coll. «Genres et discours», 1980, 155 p., p. 16. Note liminaire de Marc Angenot.

Le zeugme du dimanche matin et de Simenon

Georges Simenon, le Cheval blanc, couverture

«Était-il menaçant ou était-il ironique ? Il y avait des moments où on se demandait s’il ne jouait pas la comédie et s’il n’allait pas sourire, se débarrasser de sa vermine et de ses rancœurs comme d’une fausse barbe […].»

Simenon, le Cheval blanc, dans Tout Simenon 21, Paris et Montréal, Presses de la Cité et Libre expression, coll. «Omnibus», 1992, p. 703-789, p. 730. Édition originale : 1938.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Jacques Poulin

Jacques Poulin, le Cœur de la baleine bleue, 1970, couverture

«Je tournai la clef dans la serrure; la porte s’entrouvrit et se bloqua : la chaînette de sécurité. La petite maison barricadée au fond du jardin. Il était quatre heures et quelque chose et j’étais content qu’Élise fût rentrée plus tôt que d’habitude.
Elle avait sûrement entendu.
Aucun bruit à l’intérieur.
Je sonnai.
Elle ne venait pas. Elle devait être dans le bain. Je sonnai encore deux petits coups. Toute nue, elle se levait, s’épongeait vivement avec la grande serviette bleue, glissait ses pieds dans ses pantoufles, enfilait sa robe de chambre, nouait sa ceinture, s’en venait, ouvrait… Mais non, elle n’avait pas entendu. J’approchai la tête de l’embrasure de la porte et sifflai doucement, deux fois. Je tendis l’oreille : rien. Je voulais m’asseoir, me reposer, je commençais à m’impatienter. J’appuyai sur le bouton de la sonnette en comptant jusqu’à dix. Toute la maison avait dû entendre ça ! Ensuite je m’assis sur la première marche de l’escalier, ma boîte de rieurs à côté, et j’allumai une cigarette» (p. 66-67).

«— On m’appelle aussi Baleine bleue, dit-elle comme si elle cherchait à me consoler.
— Pourquoi ?
— À cause de ma respiration. Je respire très fort, il paraît.
— Je ne trouve pas, dis-je en tendant l’oreille.
— C’est seulement quand je suis couchée. C’est une vieille histoire et je ne peux pas te la raconter maintenant» (p. 74-75).

Jacques Poulin, le Cœur de la baleine bleue. Roman, Montréal, Éditions du jour, coll. «Les romanciers du jour», 66, 1970, 200 p.

Accouplements 259

Couvertures de The Year of Magical Thinking et de Au gré des jours, collage

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Didion, Joan, The Year of Magical Thinking, Londres, 4th Estate, 2012, 227 p. Ill. Édition originale : 2005.

«In the bed to Quintana’s right was a man injured in a construction accident. The men who had been on the site at the time of the accident had come to see him. They stood around his bed and tried to explain what had happened. The rig, the cab, the crane, I heard a noise, I called out to Vinny. Each man gave his version. Each version differed slightly from the others. This was understandable, since each witness proceeded from a different point of view, but I recall wanting to intercede, help them coordinate their stories; it had seemed too much conflicting data to lay on someone with a traumatic brain injury» (p. 125-126).

Héritier, Françoise, Au gré des jours, Paris, Odile Jacob, 2017, 151 p. Ill.

«s’apercevoir des tours que nous joue la mémoire en revoyant de vieux films où ne figure pas la scène marquante dont on croyait se souvenir, avoir le même sentiment en relisant un texte, parfois même écrit de sa propre main (ai-je vraiment écrit cela ?), chercher la raison de ces tours plus surprenants encore que les décalages qui existent entre les regards portés sur le même événement par plusieurs personnes, saluer cette inestimable capacité d’agencer des pans éclatés de sa vie en leur donnant une continuité» (p. 40).

L’oreille tendue de… Simenon

Illustration de Madrazo pour Touriste de bananes

«Et voilà que soudain, Donadieu ricanait, tout haut, au point que Hina, dans son lit, tendit l’oreille et pensa qu’il rêvait. Il ricanait parce qu’il évoquait à nouveau les œillets du presbytère, qui étaient peut-être la cause initiale de sa fugue à Tahiti…»

Simenon, Touriste de bananes ou Les dimanches de Tahiti, dans Tout Simenon 21, Paris et Montréal, Presses de la Cité et Libre expression, coll. «Omnibus», 1992, p. 273-381, p. 378. Édition originale : 1938.