Curiosités voltairiennes (et numériques)

Marcello Vitali-Rosati, Éloge du bug, 2024, couverture

«“Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin” : c’est la réplique finale du roman de Voltaire et celle-ci s’adapte bien à notre raisonnement en proposant un pont entre un jardin ancien, celui d’Épicure, et des jardins modernes. Il faut cultiver notre jardin. Cultiver un jardin n’est pas toujours facile, ni satisfaisant, ni productif. Le jardin est un refuge nous permettant de nous retrouver dans un lieu qui n’est pas structuré par les grands pouvoirs étatiques et économiques de notre époque. C’est un lieu plus petit, ouvert, en plein air, mais protégé. Le jardin n’est pas un lieu d’exploitation extensive, on ne le cultive pas comme on cultive les grandes étendues. Le jardin est un lieu et non un espace. Mais il y a aussi un autre élément crucial — présent dans la réplique de Candide également : le jardin peut — et doit — être partagé. C’est notre jardin et pas mon jardin. Le jardin et sa culture nous renvoient finalement à la nécessité de faire nous-mêmes des choses que nous ne voulons pas déléguer aux grandes entreprises numériques et de les faire ensemble. “Perdre” donc du temps en se consacrant à des occupations matérielles qui sont autant méprisées par la rhétorique de l’immatérialité mais qui seules peuvent nous redonner notre autonomie perdue.»

Marcello Vitali-Rosati, Éloge du bug. Être libre à l’époque du numérique, Paris, Éditions Zones, 2024, 208 p. PapierHTMLPDF

Voltaire est toujours bien vivant.

 

P.-S.—Les derniers mots de Candide sont «Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin.»

P.-P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 1er octobre 2024.

Esprit d’escalier

Tombe de Patrick Caulfied, cimetière de Highgate, Londres, mars 2025

L’Oreille tendue ne partage pas la passion raisonnée du Notulographe pour les cimetières. Néanmoins, en visite à Londres, elle est passée par celui de Highgate.

Comme tout le monde, elle y allait pour voir la tombe de Karl Marx. Elle en gardera surtout le souvenir de la pierre tombale conçue, pour lui-même, par Patrick Joseph Caulfield (1936-2005).

Rien de tel pour dire la mort, en anglais, que les lettres D-E-A-D.

Mais le monument évoque aussi un escalier. Un des fils de l’Oreille, en voyant la photo ci-dessus, a tout de suite pensé à une chanson : «Stairway to heaven

En effet.

Panneau indicateur («Toilets», «Marx»), cimetière de Highgate, Londres, mars 2025

Les zeugmes du dimanche matin et de Joan Didion

Joan Didion, The Year of Magical Thinking, éd. britannique de 2012, couverture

«This was a time, the early 1970s, when Katharine and Conrad and Jean and Brian Moore and John and I traded plants and dogs and favors and recipes and would have dinner at one or another of our houses a couple of times a week» (p. 72-73).

«“X” was a woman with whom I had worked at Vogue. Seductive clouds of cigarette smoke and Chanel No. 5 and imminent disaster had trailed her through the Condé Nast offices, which were the in the Graybar Building» (p. 108).

Joan Didion, The Year of Magical Thinking, Londres, 4th Estate, 2012, 227 p. Ill. Édition originale : 2005.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Curiosités voltairiennes (et jardinières)

Julia Deck, Ann d’Angleterre, 2024, couverture

«Par les murs minces comme du carton, il transpire que George tente de remettre un sujet sur la table avec Olivia. Or celle-ci en a terminé avec les contorsions pénibles qui mènent à la maternité. George est prié d’aller cultiver son jardin.»

Julia Deck, Ann d’Angleterre. Roman, Paris, Seuil, 2024, 250 p., p. 52.

Voltaire est toujours bien vivant.

 

P.-S.—Les derniers mots de Candide, dans le conte du même nom (1759), sont «Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin.»

P.-P.-S.—L’Oreille tendue a présenté le roman de Julia Deck le 30 décembre 2024.

Vous devriez la faire allonger

Photo de Paul St-Pierre Plamondon

Une phrase parue dans la Presse+ du 14 avril 2025 aura peut-être étonné quelques lecteurs non québécois (voire des lecteurs québécois) : «Misère ! Cet homme [Paul St-Pierre Plamondon] est en train de se payer une méchante réputation de politicien à la peau courte, dont la propension à l’irritabilité transparaît un peu plus chaque jour, et énerve.»

Si le chef du Parti québécois a la «peau courte», c’est qu’il serait hypersensible à la critique. Ce n’est pas un compliment.

Pour Christophe Bernard, l’expression renvoie plutôt à une maladie : «Saint Citron, Liette, mettons pas ça pire que c’est. Il mourra pas de la peau courte à soir, mais on va l’engraisser, ma femme» (la Bête creuse, p. 436).

Ça ne va guère mieux chez Hervé Bouchard : «Puis il y a eu la scène du magasin où je ne voulais pas aller, je me sentais faible et blanc. Je le leur dis sur la banquette arrière où je désirais m’étendre, je suis faible et je suis blanc, non, et j’ai chaud et je sue froid, non, et j’ai les pieds mouillés et j’ai la peau courte et, non, j’ai surtout mal au cœur» (Parents et amis sont invités à y assister, p. 173).

Chez Michel Tremblay, il s’agit d’une transformation au contact de l’eau : «Faut pas rester trop longtemps, par exemple… J’vous donne encore cinq minutes. Sinon, vous allez attraper la peau courte !» (la Traversée des sentiments, p. 435)

Tant de polysémie, si peu d’heures.

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Bouchard, Hervé, Parents et amis sont invités à y assister. Drame en quatre tableaux avec six récits au centre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 14, 2014, 238 p.

Tremblay, la Traversée des sentiments, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 331-491, p. 463. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2009.