Le zeugme du dimanche matin et de Serge Bouchard

Serge Bouchard, les Yeux tristes de mon camion, éd. de 2017, couverture

«Car si Durham avait vraiment fait une enquête de terrain parmi les Habitants, s’il avait réellement mis les pieds dans une cuisine canadienne, s’il était sorti de sa cour et de ses souliers vernis, il en aurait goûté, du ragoût de pattes, il en aurait mangé, des boulettes, il en aurait vu, des grands-mères maternelles, gardiennes de la santé physique et mentale de leurs familles, et il n’aurait conséquemment jamais écrit ses célèbres inepties sur la disparition inévitable des francophones d’Amérique.»

Serge Bouchard, les Yeux tristes de mon camion. Essai, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 303, 2017, 212 p., p. 66. Édition originale : 2016.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Sacrons poliment avec Twitter

Soit le tweet suivant :

Torvisse, donc. C’est un autre de ces jurons édulcorés comme on en a déjà vu ici à quelques reprises.

On le trouve aussi chez la Françoise Major de Dans le noir jamais noir (2013) :

Après… ça s’est pas amélioré. Ils l’ont fait souffler dans la balloune. Pour une fois, Germain s’obstinait pas. Il aurait peut-être dû. Trop saoul pour souffler dans la balloune, torvisse ! Il a fini par réussir au septième ou huitième coup (p. 17-18).

Il y a plus violent que ce sacre-là. Cela ne lui enlève rien de son utilité.

 

Référence

Major, Françoise, Dans le noir jamais noir. Nouvelles, Montréal, La mèche, 2013, 127 p.

Variété de langues

Jacques Roubaud, Poésie, etcetera : ménage, 1995, couverture

Au cours de précédentes aventures, nous avons vu fleurir la langue de bois, la langue de coton, la langue de verveine et, cela va de soi, la langue de margarine.

Une fidèle lectrice de l’Oreille tendue, continuons à l’appeler l’Acéricultrice, vient de lui faire découvrir, repérée par Jacques Roubaud, la langue de muesli.

Définition tirée de Poésie, etcetera : ménage (1995) :

La langue de bois ne convient pas à ECOPROF [ÉCOnomie de PROFit]; ni à TONUTRIN [TOut NUmérique à TRansmission INstantanée]; encore moins à IVIMON [Idée du VIllage MONdial];

qui préfèrent une langue non rigide, souple; non officielle, officieuse; non imposée, répandue librement par les journaux, la télévision,…

Cette langue, faute de mieux, nommons-la langue de muesli.

La langue-muesli est molle, caoutchoutée, médiocre, laide (p. 36-37).

Elle est donc parfaitement incompatible avec la poésie.

P.-S.—Depuis sa création, la langue de muesli ou langue-muesli est devenue, toujours chez Roubaud, la GLAM (la grande langue molle ou grosse langue molle). Pourquoi ? En voyage au Japon, Roubaud a dû constater que les Japonais n’avaient aucune idée de ce qu’était le muesli. Il a alors choisi une autre dénomination. Ce sera pour un autre épisode.

 

[Complément du 13 mai 2018]

En 2013, dans sa contribution à l’ouvrage collectif Défense et illustration de la langue française aujourd’hui, Roubaud revient sur les raisons qui lui ont fait préférer glam (grosse langue molle) à langue-muesli (toujours le Japon) et il distingue ces deux expressions de langue de bois. L’Oreille tendue découvre dans ce texte la langue de cire, que l’on devrait à l’historien des religions Olivier Gillet : «Elle sert à bien boucher les oreilles. Les langues de cire sont des filles naturelles des langues de bois» (p. 13).

 

[Complément du 19 août 2019]

Le poète Pierre Morency apporte sa pierre à l’édifice : «Le bruit du décor, ça peut être le langage usé qui ne veut rien dire, la langue de bois, la langue de cuir des administrations, la langue plate, toxique» (Dominic Tardif, «Le faisceau de lumière qui clarifie Pierre Morency», le Devoir, 17-18 août 2019, le D magazine, p.22).

 

Références

Roubaud, Jacques, Poésie, etcetera : ménage, Paris, Stock, coll. «Versus», 1995, 282 p.

Roubaud, Jacques, «Défendre ? Illustrer ? Et cætera : remarques», dans Défense et illustration de la langue française aujourd’hui, Paris, Gallimard, 2013, p. 11-16.

Une citation de Diderot pour le 8 mars

Diderot, Jacques le fataliste, éd. de 1983, couverture

L’Hôtesse. — «Il faut convenir que s’il y a de bien méchants hommes, il y a de bien méchantes femmes.

Jacques. — Et qu’il ne faut pas aller loin pour les trouver.

L’Hôtesse. — De quoi vous mêlez-vous ? Je suis femme, il me convient de dire des femmes tout ce qu’il me plaira, je n’ai que faire de votre approbation.»

Diderot, Jacques le fataliste, préface et commentaires de Jacques et Anne-Marie Chouillet, Paris, Librairie générale française, coll. «Le livre de poche», 403, 1983, 377 p., p. 122.

Le zeugme du dimanche matin et d’Éric Chevillard

Éric Chevillard, Défense de Prosper Brouillon, 2017, couverture

«Les mots qu’il utilise nous sont si familiers qu’ils n’ont pas leur place dans le dictionnaire où sont imprimés ceux que l’on ne connaît pas et qui ne servent à rien, sinon à enténébrer les livres de ces auteurs hypocrites qui se font de leur insuccès une gloire (et un ulcère).»

Éric Chevillard, Défense de Prosper Brouillon, illustrations de Jean-François Martin, Paris, Éditions Noir sur blanc, coll. «Notabilia», 2017, 101 p., p. 17.

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 31 janvier 2018.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)