Histoires de famille

Réjean Ducharme, l’Hiver de force, éd. de 1984, couverture

C’est dans l’Hiver de force, de Réjean Ducharme. Il est question des Canadiens de Montréal — c’est du hockey.

D’abord, page 51 :

Tout à l’heure (c’est encore chaud), on s’est fait battre 6 à 2 à New York. Les Rangers, profitant d’une zone de basse pression de nos frères Mahovlich, ont écrasé, défoncé, déclassé nos Canadiens; (ils n’en ont fait qu’une poignée, qu’une bouchée, qu’une pincée). Hé Frank ! Hé Pete ! Wake up ! C’est les éliminatoires mondiales de hockey ! C’est pas la Pavane pour une infante défunte !

— Cesse, cher ! Les joueurs qu’on aime c’est pour qu’on leur soit fidèles. Quand ils font des erreurs c’est pour qu’on les aime plus, sinon davantage !

Puis, page 59 :

Les Canadiens se sont fait éliminer comme des grands veaux. Seuls [Henri] Richard et [Jacques] Lemaire n’ont pas joué comme des cochons. Nos frères Mahovlich ont traîné la patte tout le long de la série comme s’ils se l’étaient laissé graisser. On s’est fait arranger correct. Ça nous a mis le moral à terre. 3 à 2 pour New York; dernière période, dernières dix secondes; mise au jeu à la droite de leur gardien : Richard l’emporte, passe à Frank dans le coin; [Brad] Park guette Frank et Lemaire bataille pour rester en position devant le filet; Frank lance vers Lemaire à travers les jambes de Park, la rondelle vole par-dessus le bâton de Lemaire, Lemaire frappe de l’air. La sirène crie, en plein dans nos cœurs. C’est fini, c’est effrayant, Nicole pleure.

Réjean Ducharme est mort le 21 août 2017, et Maurice Ravel le 28 décembre 1937. Frank Mahovlich est né le 10 janvier 1938.

Joyeux anniversaire.

 

Référence

Ducharme, Réjean, l’Hiver de force. Récit, Paris, Gallimard, 1973, 282 p. Rééd. : Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1622, 1984, 273 p.

Les zeugmes du dimanche matin et de Jean-Philippe Chabot

Jean-Philippe Chabot, le Livre de bois, 2017, couverture

«Ainsi, quand les engagés furent sur le point de sortir pour s’embarquer dans ce qui, à cinq lieues de là et à travers de mauvaises lunettes, avait l’air d’un canot raboté en écorce de pin, Côté se trouva désamanché, comme confronté à la véracité de son sentiment et à la clarté syntaxique du dire de l’autre» (p. 21).

«Le chien n’eut pour ainsi dire pas de deuxième chance ni le dessus sur sa proie et se retrouva sous l’eau» (p. 43).

«Au reste, elle n’était pas jolie, car elle n’avait pas de cou ni d’envergure et elle avançait le menton en gargouille» (p. 76).

«Un coup coupé et cordé, le bois pouvait suivre plusieurs parcours. On en cordait une partie directement sur le lac gelé pour qu’il s’engage dans la rivière aussitôt le lac calé. Au petit printemps, on voyait les hommes dévaler le paysage et les rivières, mille billes devant, mille autres derrière, comme un tapis de bois séculaire. Draver, c’était un métier qu’on semblait avoir inventé pour la beauté de l’image. Certains n’en revenaient pas» (p. 88).

«Les âmes sensibles comme les héros d’un livre dont vous êtes le héros seront libres de prétendre qu’ils ne chient pas et de passer au chapitre suivant sans s’enfarger dans ce que Luc Larouche du rang d’Anjou décida de conter, ce soir de février là, autour de la truie chaude dans laquelle allaient se consumer, tout au long de l’hiver, autant de cordes de bois que d’histoires douteuses» (p. 94-95).

Jean-Philippe Chabot, le Livre de bois. Roman canadien-français, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 114, 2017, 135 p., p. 21.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Accord avec la bière

Coups de feu au Forum et Donnacona, couvertures, collage

Soit les deux phrases suivantes :

«Sur ces nouvelles directives, Brazeau congédia ses deux subalternes. Après une semaine d’escapade, il avait négligé ses affaires courantes. Avec un peu plus de perspicacité, Asselin aurait pu remarquer que la panse du policier marquait un arrondi encore plus prononcé qu’à l’ordinaire. Une semaine entière de pêche avec deux vieux amis, à s’empiffrer de poisson et de bière “tablette”, avait laissé des traces qu’un œil exercé pouvait aisément discerner» (Coups de feu au Forum, p. 163).

«Le soir, c’était un repaire pour les âmes esseulées venues s’oublier dans des grosses Molson ou des Laurentides tablettes» (Donnacona, p. 41).

Servie à la température ambiante, la bière, au Québec, est dite tablette. Dans le premier cas, des guillemets prophylactiques encadrent ce mot venu de la langue populaire. Dans le second, l’accord se fait en nombre; ça se discute.

P.-S.—Souvenez-vous : nous avons déjà croisé ce genre de bière dans un autre contexte.

 

[Complément du 22 avril 2018]

Il n’y a pas que la bière à pouvoir être tablette si l’on en croit les poètes Véronique Bachand et Mathieu Renaud :

Une amitié sans village
cherche épaule à pleurer
son humeur tablette
le dos courbé
en forme de vertu (p. 27).

 

Références

Bachand, Véronique et Mathieu Renaud, Décembre brule et Natashquan attend. Poèmes à quatre mains, Montréal, Del Busso éditeur, 2017, 72 p.

Brisebois, Robert W., Coups de feu au Forum, Montréal, Hurtubise, 2015, 244 p.

Plamondon, Éric, Donnacona. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 116, 2017, 118 p.