Les zeugmes du dimanche matin et de Benjamin Hoffmann

Benjamin Hoffmann, les Minuscules, 2024, couverture

«“Je vaux mieux que vous tous”, répétaient à longueur de journée sa parure, ses exigences sans cesse renouvelées, jusqu’à la démarche hautaine qu’il adoptait en parcourant l’été venu les jardins du château» (p. 32).

«Dévots pendant le jour, les Vénitiens sont sacrilèges sous le couvert d’un masque ou des ténèbres» (p. 71).

«J’avais fini [c’est Casanova qui parle] par réviser mon premier avis à son égard en jugeant que si un homme avait les ressources intérieures pour se porter à pied au bout de l’Amérique, en gravissant les monts Appalachiens puis les montagnes Rocheuses, en se nourrissant d’herbes et de visions, en remplissant l’espace immense de chimères, pour l’aiguillonner jusqu’aux déserts gelés où le passage du Nord-Ouest attend son découvreur, c’était bien cet inlassable Français [Chateaubriand]» (p. 189).

Benjamin Hoffmann, les Minuscules. Roman, Paris, Gallimard, coll. «NRF», 2024, 285 p.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Simenon

Georges Simenon, la Marie du port, éd. de 1938, couverture

«Odile, d’habitude, dormait comme un plomb et jamais elle n’entendait rentrer les bateaux qui, pourtant, faisaient assez de bruit avec leur sirène pour demander l’ouverture du pont.

Une fois, pourtant, qu’elle avait mangé de la morue à la crème et qu’elle ne digérait pas, elle se réveilla au milieu de la nuit. Elle avait envie de se relever pour boire un verre d’eau. Elle hésitait, à cause du froid.

Soudain, il lui sembla qu’elle entendait un murmure et elle tendit l’oreille, troublée. Elle entendait et elle n’entendait pas. C’était curieux. Elle avait le corps chaud de la Marie à côté d’elle et elle cherchait à percevoir sa respiration, constatait quelque chose d’anormal.»

Simenon, la Marie du Port. Roman, dans Tout Simenon 21, Paris et Montréal, Presses de la Cité et Libre expression, coll. « Omnibus », 1992, p. 483-566, p. 561. Édition originale : 1938.

In memoriam. Jean-Claude Germain (1939-2025)

Jean-Claude Germain, Un pays dont la devise est je m’oublie, 1976, couverture

En 1976, dans sa pièce Un pays dont la devise est je m’oublie, Jean-Claude Germain imagine le dialogue entre un homme fort, Louis Cyr (mort en 1912), et un hockeyeur, Maurice Richard (né en 1921). Cyr a parfaitement compris ce que Richard va représenter : «T’es Mau-ri-ce Ri-chard !… Ç’avait jamais été… pis ça sra jamais !… Çé !… Pis çé là astheure pour tout ltemps !» Cyr, c’est de l’historique; Richard, c’est du mythique.

Jean-Claude Germain est mort le 24 avril.

 

Référence

Germain, Jean-Claude, Un pays dont la devise est je m’oublie. Théâtre, Montréal, VLB éditeur, 1976, 138 p.

Curiosités voltairiennes (et numériques)

Marcello Vitali-Rosati, Éloge du bug, 2024, couverture

«“Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin” : c’est la réplique finale du roman de Voltaire et celle-ci s’adapte bien à notre raisonnement en proposant un pont entre un jardin ancien, celui d’Épicure, et des jardins modernes. Il faut cultiver notre jardin. Cultiver un jardin n’est pas toujours facile, ni satisfaisant, ni productif. Le jardin est un refuge nous permettant de nous retrouver dans un lieu qui n’est pas structuré par les grands pouvoirs étatiques et économiques de notre époque. C’est un lieu plus petit, ouvert, en plein air, mais protégé. Le jardin n’est pas un lieu d’exploitation extensive, on ne le cultive pas comme on cultive les grandes étendues. Le jardin est un lieu et non un espace. Mais il y a aussi un autre élément crucial — présent dans la réplique de Candide également : le jardin peut — et doit — être partagé. C’est notre jardin et pas mon jardin. Le jardin et sa culture nous renvoient finalement à la nécessité de faire nous-mêmes des choses que nous ne voulons pas déléguer aux grandes entreprises numériques et de les faire ensemble. “Perdre” donc du temps en se consacrant à des occupations matérielles qui sont autant méprisées par la rhétorique de l’immatérialité mais qui seules peuvent nous redonner notre autonomie perdue.»

Marcello Vitali-Rosati, Éloge du bug. Être libre à l’époque du numérique, Paris, Éditions Zones, 2024, 208 p. PapierHTMLPDF

Voltaire est toujours bien vivant.

 

P.-S.—Les derniers mots de Candide sont «Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin.»

P.-P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 1er octobre 2024.

Esprit d’escalier

Tombe de Patrick Caulfied, cimetière de Highgate, Londres, mars 2025

L’Oreille tendue ne partage pas la passion raisonnée du Notulographe pour les cimetières. Néanmoins, en visite à Londres, elle est passée par celui de Highgate.

Comme tout le monde, elle y allait pour voir la tombe de Karl Marx. Elle en gardera surtout le souvenir de la pierre tombale conçue, pour lui-même, par Patrick Joseph Caulfield (1936-2005).

Rien de tel pour dire la mort, en anglais, que les lettres D-E-A-D.

Mais le monument évoque aussi un escalier. Un des fils de l’Oreille, en voyant la photo ci-dessus, a tout de suite pensé à une chanson : «Stairway to heaven

En effet.

Panneau indicateur («Toilets», «Marx»), cimetière de Highgate, Londres, mars 2025