Sagesse de puck

Jack Falla, Saved, 2007, couverture

Lire Saved (2007), de Jack Falla, pour ses qualités romanesques serait une erreur : c’est surcousu de fil blanc.

En revanche, il y a nombre de phrases parfaitement justes sur le monde du hockey, dans la bouche d’un narrateur gardien de but. Ci-dessous, un florilège (incomplet).

«Every shot is a snowflake. No two are alike» (p. 62).

«The first rule of life, love, and hockey is the same rule — you’ve got to play hurt» (p. 27).

«Goalies don’t see goals. We hear them» (p. 75).

«We’re [les gardiens] united in a brotherhood of apartness and fear» (p. 86).

«The family metaphor in pro sports is ridiculous. Family members don’t get cut, traded, waived, benched, or sent to the minors» (p. 93).

«The shelf life on loyalty to a goaltender is about twenty minutes or three goals, whichever comes first» (p. 129).

«In most businesses people get better as they age. But not in pro sports» (p. 171).

«In this game friendship lasts, allegiance doesn’t» (p. 206).

«A goalie coach is a head coach» (p. 243).

 

Référence

Falla, Jack, Saved. A Novel, New York, Thomas Dunne Books, St. Martin’s Press, 2007, ix/276 p.

Le latin de Cleo Birdwell

Cleo Birdwell, Amazons, 1980, couverture

«I don’t know who wrote it.
Who writes these things ?
Does anybody know ?
»

En 1980 paraît à New York Amazons. An Intimate Memoir by the First Woman Ever to Play in the National Hockey League. Ces Mémoires (majuscule, masculin, merci) fictifs sont signés Cleo Birdwell, mais leurs auteurs sont en fait Don DeLillo et Sue Buck. (DeLillo a mis du temps à reconnaître sa copaternité; voir, par exemple, l’entretien donné à David Marchese pour le New York Times en 2020.)

Ceux qui s’attendraient à des propos sportifs soutenus seront déçu : «La première femme à jamais jouer dans la Ligue nationale de hockey», à sa première saison, à 23 ans, score beaucoup plus souvent sexuellement que sur la glace, d’où le «Intimate» du sous-titre.

Le roman est très souvent désopilant. La satire du charlatanisme médical réjouit. L’Oreille tendue ne connaissait pas les vertus anti-érectiles du mot «Watergate». Quand son père explique à la jeune Cleo le sens des expressions vulgaires qu’elle va sûrement entendre dans les vestiaires et sur la glace, on se croirait chez François Blais. Les relations tentaculaire de la mafia et de la motoneige sont inattendues. Certain duel, pas seulement à l’épée, dans l’église en ruine d’une plantation du vieux Sud vaut le détour. Quand son équipe change de main et passe sous le contrôle de mystérieux «men in the Gulf», Cleo donne un nouveau sens à l’expression «tir voilé». L’ailière des Rangers de New York est un aimant à confession : tout un chacun se confie à elle; c’est le cas de son entraîneur, Jean-Paul Larousse (!), qui insiste pour lui parler en français, langue qu’elle ne maîtrise pourtant pas. Cela se termine souvent au lit, ce qui ne fait que rarement taire la hockeyeuse : écouter ne l’empêche jamais de parler. Bémol : la fin du roman est complètement bâclée.

Ce qui nous amène au latin. La mère de Cleo enseignait cette langue dans la ville où elle a élevé sa famille, Banger (Ohio). Sa fille a bien suivi ses enseignements : «“That’s my penis.” / “I know what it is. It’s from the Latin”» (p. 27); «“Does it have a Latin name ?” […] “Frenulum,” I said. “And that technique isn’t for impotence, it’s for premature ejaculation”» (p. 65); «Sanders licked me everywhere, nuzzled my labia, from the Latin […]» (p. 72); «I guess he felt that an intake of air would give his silhouette a touch of extra sveltness, from the Latin» (284).

Cleo Birdwell a plus d’une langue dans son sac.

P.-S.—En papier, Amazons est rare comme de la marde de pape, et donc cher : Don DeLillo en a toujours refusé la réédition. Heureusement, il est disponible gratuitement en ligne grâce aux bienfaiteurs de l’humanité d’Internet Archive.

 

Références

DeLillo, Don et Sue Buck, Amazons. An Intimate Memoir by the First Woman Ever to Play in the National Hockey League, New York, Holt, Rinehart and Winston, 1980, 390 p. Sous le pseudonyme de Cleo Birdwell. https://archive.org/details/amazonsintimatem00deli/page/n5/mode/2up

Marchise, David, «We All Live in Don DeLillo’s World. He’s Confused by It Too», The New York Times, 11 octobre 2020.

Le zeugme du dimanche matin et de Simenon

Illustration de Madrazo pour Touriste de bananes

«— …Il est complètement abruti… avait dit l’avocat.
Donadieu était persuadé que ce n’était pas vrai. Il essayait de comprendre, de se mettre à la place de Lagre, qui était là, isolé de tous les autres, du reste du monde, moins encore par une barrière que par l’incompréhension.»

Simenon, Touriste de bananes ou Les dimanches de Tahiti, dans Tout Simenon 21, Paris et Montréal, Presses de la Cité et Libre expression, coll. «Omnibus», 1992, p. 273-381, p. 356. Édition originale : 1938.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Simenon

Georges Simenon, Maigret et l’inspecteur Malgracieux, 1947, couverture

«Maigret entra dans la maison, passa devant la loge sans s’arrêter, monta au troisième étage et sonna à la porte de droite. Le timbre résonna. Il tendit l’oreille, la colla à la porte, mais n’entendit aucun bruit. Il sonna une seconde fois, une troisième. Il annonça à mi-voix :
—Police !…»

Simenon, «Maigret et l’inspecteur Malgracieux», dans Maigret et l’inspecteur Malgracieux, dans Tout Simenon 2, Paris et Montréal, Presses de la Cité et Libre expression, coll. «Omnibus», 1988, p. 7-122, p. 7-36, p. 28. Édition originale : 1947.

Traduction (quasi) simultanée

Tomson Highway, Dry Lips Oughta Move to Kapuskasing, 1989, couverture

Quand elle était petite — ça ne date pas d’hier —, l’Oreille tendue a souvent entendu l’expression «shit la marde». C’était un bel exemple de traduction (quasi) simultanée : le passage de «shit» à «marde» était presque instantané (et inutile, non ?).

Cela lui est revenu à la lecture de Dry Lips Oughta Move to Kapuskasing, une pièce de théâtre, en anglais, en cree et en ojibway, de Tomson Highway (1989). On y trouve en effet «shit la marde» décliné de plusieurs façons : sans point d’exclamation (p. 29), ou avec (p. 81, p. 103), sans «holy» (p. 34), ou avec (p. 29, p. 81, p. 103), parfois ramené à «shit la ma…» (p. 122). On déplorera cependant un «shit la merde» (p. 95) du plus mauvais goût.

Voilà l’Oreille retombée en enfance.

 

Référence

Highway, Tomson, Dry Lips Oughta Move to Kapuskasing, Saskatoon, Fifth House, 1989, 134 p.