Dans pas long, comme

Sandra Gordon, les Corpuscules de Krause, 2010, couverture

Cela est imminent : tout à l’heure.

Au Québec, on entend aussi une version comprimée de l’expression. Mais comment l’écrire ?

Léandre Bergeron, en 1980, propose «T’à l’heure» (p. 478).

Sandra Gordon (2010, p. 43) et Alice Michaud-Lapointe (2014, p. 147) optent pour «talheure».

Martin Winckler laisse tomber l’allusion graphique au temps : «talleur» (2011, p. 31).

Si peu d’heures (c’est le cas de le dire), tant de questions.

P.-S. — T’à l’heure / talheure / talleur s’emploie le plus souvent pour un avenir proche. Il arrive aussi qu’il désigne un futur plus éloigné et généralement connoté négativement : ce que tu fais n’a peut-être pas de conséquences immédiates, mais attention t’à l’heure / talheure / talleur.

P.-P.-S. — Dans pas long ? Ici.

 

[Complément du 16 mars 2016]

Erika Soucy, dans les Murailles, retient «t’à l’heure» (2016, p. 145).

 

[Complément du 27 août 2016]

Variante graphique, repérée sur Twitter.

 

[Complément du 10 novembre 2016]

Pour Michel Tremblay aussi, en 2007, c’est «t’à l’heure» (p. 44).

 

[Complément du 18 août 2022]

Taleur, sans double l, est aussi attesté : «Attache-toé après de quoi de solide, mon Laganière, tu vas décoller taleur» (la Bête creuse, p. 366).

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Gordon, Sandra, les Corpuscules de Krause. Roman, Montréal, Leméac, 2010, 237 p.

Michaud-Lapointe, Alice, Titre de transport, Montréal, Héliotrope, série «K», 2014, 206 p.

Soucy, Erika, les Murailles, Montréal, VLB éditeur, 2016, 150 p.

Tremblay, Michel, Albertine, en cinq temps, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, coll. «Papiers», 2007, 61 p. Édition originale : 1984.

Winckler, Martin, les Invisibles, Paris, Fleuve noir, 2011, 277 p.

Gilles Tremblay (1938-2014)

Arsène et Girerd, On a volé la coupe Stanley, 1975, p. 39

Gilles Tremblay est mort ce matin. Après avoir été ailier gauche pour les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — de 1960 à 1969, il a été commentateur des matchs de l’équipe à la télévision de Radio-Canada de 1971 à 1999. Il a donc été un des premiers joueurnalistes de l’histoire de ce sport.

Contrairement à son coéquipier Jean Béliveau, il n’apparaît que dans peu d’œuvres artistiques. Il fait une courte apparition dans la pièce de théâtre la Coupe Stainless de Jean Barbeau (1974) et dans la bande dessinée d’Arsène et Girerd On a volé la coupe Stanley (1975, p. 39; voir ci-dessus), et son nom est mentionné à plusieurs reprises dans Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey de Marc Robitaille (2013).

À la télévision, il a notamment travaillé avec Richard Garneau et René Lecavalier. Il a manifestement servi de modèle au personnage de Granger dans un roman du premier, Train de nuit pour la gloire ou 45 jours à la conquête de la coupe Stanley (1995). François Hébert l’a uni indissociablement au second, lui qui écoutait «religieusement les commentaires de ces fins exégètes que sont René Lecavalier et Gilles Tremblay, qui me font un peu penser, toutes proportions gardées, à Don Quichotte et Sancho Pança» (1996, p. 212).

Gilles Tremblay a cependant eu droit à sa biographie, signée par Guy Robillard (2008).

P.-S. — On signalera aussi, pour mémoire, les attaques de Michel-Wilbrod Bujold contre les Tremblay — Gilles, Mario, Réjean — à la fin de ses Hockeyeurs assassinés (1997, p. 131-135).

 

[Complément du 30 novembre 2014]

La culture télévisuelle de l’Oreille tendue laisse parfois à désirer. Un lecteur qui en a une meilleure lui fournit l’information suivante :

Le personnage de Gilles Tremblay apparaissait dans les sketchs de Rock et belles oreilles aux côtés de René Lecavalier, joué brillamment par André Ducharme. «Gilles» ne disait jamais un mot… Au début, le «rôle» était tenu par Sylvain Ménard, le directeur technique de RBO; ensuite on l’a remplacé par un mannequin, muet lui aussi.

Merci.

 

[Complément du 10 mai 2018]

Sur son blogue, le Machin à écrire, Nicolas Guay a une très belle série de souvenirs, sous le titre «Passé simple». Voici le 35e texte, «Papa» :

Papa qui porte des favoris. Papa qui me précède dans les pistes de ski de fond du parc des Salines. Papa qui dit : « T’es bin sarfe » pour me taquiner. Papa parti travailler. Papa qui m’envoie en pénitence dans ma chambre. Le son matinal du rasoir électrique de papa alors que je suis encore couché. Papa qui me coupe les cheveux. Papa qui simonize la voiture. Papa qui commente à voix haute les nouvelles à la télé. Papa, ailleurs dans la maison pendant que je fais des dessins dans ma chambre. Papa qui taille les haies avec de grands ciseaux. Papa qui se moque des mimiques et du parler de Gilles Tremblay à la Soirée du hockey.

 

Références

Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, Montréal, Éditions Mirabel, 1975, 48 p. Bande dessinée. Premier et unique épisode des «Enquêtes de Berri et Demontigny». Texte : Arsène. Dessin : Girerd.

Barbeau, Jean, la Coupe Stainless, dans la Coupe Stainless. Solange, Montréal, Leméac, coll. «Répertoire québécois», 47-48, 1974, p. 7-89.

Bujold, Michel-Wilbrod, les Hockeyeurs assassinés. Essai sur l’histoire du hockey 1870-2002, Montréal, Guérin, 1997, vi/150 p. Ill.

Garneau, Richard, Train de nuit pour la gloire ou 45 jours à la conquête de la coupe Stanley. Roman, Montréal, Stanké, 1995, 239 p.

Hébert, François, «La Bible de Thurso», Liberté, 152 (26, 2), avril 1984, p. 14-23. Repris dans Jean-Pierre Augustin et Claude Sorbets (édit.), la Culture du sport au Québec, Talence, Éditions de la Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine et Centre d’études canadiennes, coll. «Publications de la MSHA», 220, 1996, p. 207-213. https://id.erudit.org/iderudit/30741ac

Robillard, Guy, Gilles Tremblay. 40 ans avec le Canadien, Montréal, Éditions Au carré, 2008, 239 p. Ill. Préfaces de Jean Béliveau et Réjean Tremblay.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.

Autopromotion 147

Jean-Pierre Minaudier, Poésie du gérondif, 2014, couverture

Le 10 novembre dernier, l’Oreille tendue chantait les louanges de Poésie du gérondif de Jean-Pierre Minaudier (2014).

Elle fera la même chose cet après-midi à 13 h (rediffusion à 20 h) au micro de Marie-Louise Arsenault à l’émission Plus on de fous, plus on lit ! de la radio de Radio-Canada.

 

[Complément du jour]

On peut (ré)entendre l’entretien — qui contient de l’inca, de l’italien et une traduction du motuna — ici.

 

Référence

Minaudier, Jean-Pierre, Poésie du gérondif. Vagabondages linguistiques d’un passionné de peuples et de mots, Le Rayol Canadel, Le Tripode, 2014, 157 p. Ill.

Billet (un brin) irrité du mardi matin

Profession oblige, l’Oreille tendue participe à des colloques et séminaires avec des collègues français. Elle en tire (parfois) profit : la question n’est pas là.

Elle est dans l’imaginaire de la langue au Québec à l’œuvre chez certains de ces collègues.

Le cas le plus patent est celui des collègues qui s’excusent fréquemment d’utiliser des termes dont ils pensent que les Québécois les utilisent peu (ou pas). Qu’ils se rassurent : nous n’avons pas besoin de sous-titres pour mél (courriel) ou pour podcast (baladodiffusion). Qu’ils se rassurent, bis : aucun commando ne viendra les obliger, Antidote au poing, à changer leur façon de parler. Ces collègues peuvent bien utiliser les mots qu’ils veulent. Les Québécois feront de même. Les uns et les autres arriveront à se comprendre, sans avoir à s’excuser de leurs particularismes.

Cela suppose que les collègues français reconnaissent l’existence de courriel et de baladodiffusion; c’est tout. Ils ne sont donc pas tenus, en outre, d’afficher leurs préjugés (Personne ne dit ça) ni leur ignorance (on dirait ceci ou cela en québécois, alors que le québécois ou la langue québécoise n’existe pas).

L’autre cas récurrent est celui de l’accent. Oui, les Québécois ont un accent. Les Français aussi. Leurs collègues québécois ne passent pourtant pas leur temps à le leur faire remarquer. (Jusqu’à preuve du contraire, il n’y a que les muets qui n’ont pas d’accent.)

En 2001, Jean-Marie Klinkenberg posait ce diagnostic (amusé) dans la Langue et le citoyen :

Un Francophone, c’est d’abord un sujet affecté d’une hypertrophie de la glande grammaticale; quelqu’un qui, comme Pinocchio, marche toujours accompagné d’une conscience, une conscience volontiers narquoise, lui demandant des comptes sur tout ce qu’il dit ou écrit (p. 26).

Une conscience, c’est assez. Deux, c’est une de trop.

P.-S. — Oui, merci : l’Oreille se sent mieux.

 

[Complément du 27 novembre 2014]

Un lecteur de l’Oreille, doctorant de son état, lui écrit ceci :

Un petit mot de réaction concernant votre billet irrité de mardi pour ajouter mon exaspération à la vôtre. Présentement en séjour de recherche à Paris, je ne dénombre plus ces constantes marques à la fois d’ignorance et de fausse supériorité. Mention spéciale à un professeur parisien m’ayant demandé comment on prononçait, en québécois, le nom de Mikhaïl Bakhtine. Ou encore ce professeur qui, pendant une pause de colloque, est venu, tout sourire, me dire qu’il avait apprécié ma communication, même s’il n’avait pas tout compris à cause de mon accent. Dans le monde universitaire français, il me semble d’ailleurs que la question de l’accent s’inscrit plus largement dans une sorte de dénigrement de convention (tout comme les Québécois, les Belges et les francophones d’Afrique, notamment, sont aussi l’objet de cette dévalorisation par l’accent).

 

Référence

Klinkenberg, Jean-Marie, la Langue et le citoyen. Pour une autre politique de la langue française, Paris, Presses universitaires de France, coll. «La politique éclatée», 2001, 196 p.

«J’ai pourtant le souvenir des guerres heureuses»

Samuel Mercier, les Années de guerre, 2014, couverture

Soit les Années de guerre (2014), le premier recueil de poésie de Samuel Mercier.

Il a ses dates, par exemple le 11 septembre 2001 (p. 8, p. 37).

Il a ses strates historiques, ce «Pompéi de cabanons et de piscines hors terre» (p. 25) ou ce miniputt «construit […] sur le cimetière indien» (p. 26).

Il a ses objets : écrans (d’ordinateur, de télévision), diapositive, drones, cocotte-minute, cartouches, horloges («le temps est une charogne», p. 41).

Il a une considérable ménagerie : oies, chats, coyotes, rats, moutons, chameaux, vaches, espadons, effraies, chiens (et un chien-loup), hiboux, ours, oiseaux, hamsters, mouches.

Il a sa lumière (artificielle) :

tu traverses un corridor
enveloppée de lumières gouvernementales
auréole verdâtre cernée
de plafonds suspendus (p. 44)

Il a sa géographie — déserts, steppes et plaines gelées —, ses lieux — lointains (Bagdad, Kandahar, Rome, Carthage, Sebastopol, Hambourg, Spinazzola, Villach) comme proches, Rivière-du-Loup ou la Victoriaville du Printemps érable :

une fille tenait ses dents
dans ses mains
comme les perles
d’un collier brisé

pourtant même sans ses dents
elle était belle
dans l’air irrespirable
de Victoriaville (p. 46)

Il a ses souvenirs des langues toutes faites, notamment celle de la publicité et des médias, indistinctement : «le prix du brut est en hausse» (p. 13).

Il a ses reprises et variations (c’est un des traits les plus frappants du recueil). Que trouve-t-on d’une ville à l’autre ? Des Tim Hortons et des Walmart (p. 24 et p. 47). Là, des «pots de bégonias au centre des boulevards» (p. 24); ici, «des pots à fleurs / sur le terre-plein du boulevard» (p 46). Une «voisine» a bu «tout le pot de vernis à ongles» (p. 25); est-ce la mère de ces enfants qui «ont des dents / comme du vernis à ongles» (p. 50) ? Il y aurait des «guerres heureuses»; c’est dit deux fois (p. 22, p. 55).

Il a, pourtant, ses trous de mémoire :

j’ai depuis longtemps
pris l’habitude de vivre
avec des souvenirs empruntés (p. 7)

Il a ses (rares) particularismes : dans «le soir les frémilles / venaient brûler / sur les lumières / du terrain de baseball» (p. 15), que désignent «frémilles» ? Des fourmis ?

Il a ses prises de position nettes en matière de poésie :

nous n’avons plus besoin de poésie
ni d’épopée ni de rien (p. 18)

de toute façon il est trop tard
pour parler poésie (p. 40)

quand tout est à la déconfiture
et que les poèmes
ne parlent plus
que de poésie (p. 57)

Il doit avoir ses lecteurs.

 

Référence

Mercier, Samuel, les Années de guerre, Montréal, l’Hexagone, 2014, 60 p.