T’es mort

Soit, en français, le mot dead.

Quelque chose est out : c’est dead.

«Depuis Duchamp, [la peinture] c’est dead» (l’Écorchée vive, p. 182).

Vous clouez le bec à quelqu’un : vous le laissez dead.

«il l’a dead (i.e., laissé sans mot)» (@profenhistoire).

Il faut être attentif à la vie de la langue.

 

[Complément du 30 septembre 2019]

Le mot dead est toujours en vie. «J’ai dead la game», déclarait ainsi à son père le fils cadet de l’Oreille tendue après son match de football de vendredi dernier. Traduction : il avait dominé la partie. Ça se défend.

 

Référence

Legendre, Claire, l’Écorchée vive, Paris, Grasset, 2009, 249 p.

Se les geler avec Jean Echenoz

Jean Echenoz, Je m'en vais, 1999, couverture

S’il faut en croire le Jean Echenoz de Je m’en vais (1999), les couchettes du brise-glace Des Groseilliers seraient exiguës. Elles le seraient encore plus quand on s’y trouve deux.

Voilà pourquoi Félix Ferrer se retrouve contre son gré sur son séant et le plancher de sa cabine, Jocelyne, sa passagère compagne, l’ayant poussé hors de leur couche. Or ils voguent au-delà du cercle polaire.

Il a moins froid, maintenant, il a l’air fin dans son tricot, ses pauvres génitoires contractées ne ballant qu’à peine par en dessous (p. 49).

Génitoires, donc.

Infirmière de son état, Jocelyne aurait peut-être parlé de testicules. Québécoise, ce qu’elle paraît être aussi, elle aurait pu utiliser le mot gosses.

Le narrateur, lui, a préféré un mot autrefois chanté par Georges Brassens.

C’est comme ça.

P.-S. — Jocelyne aurait pu avoir recours à un autre synonyme, tel un rédacteur de la revue Liberté : «un peu comme si je lui avais donné un léger mais sincère coup de pied dans les schnolles» (no 302, p. 42). Elle ne l’a pas fait, que l’on sache. (On voit aussi chnolles.)

 

[Complément du 23 septembre 2015]

Des amis du poète québécois Saint-Denys Garneau publient plusieurs de ses lettres en 1967. Ils censurent cependant le contenu de certaines, par exemple celle du 9 octobre 1937 à Jean Le Moyne, dont ils retirent la phrase suivante : «Je vois l’influence de la fumée sur mes nerfs et aussi sur mes chenolles.» Elle est rétablie par Michel Biron dans sa biographie du poète (p. 346). Donc : schnolles, chnolles, chenolles — au moins.

 

[Complément du 19 décembre 2019]

Le poète Gérald Godin, dans les Cantouques (1967), retient la graphie chenolle pour parler d’émasculation : «sans yeux sans voix échenollé tordu tanné» (p. 35).

 

[Complément du 2 janvier 2024]

On voit aussi snell : «A l’a baté ent’ les deux snells» (Plume, p. 84).

 

Références

Biron, Michel, De Saint-Denys Garneau. Biographie, Montréal, Boréal, 2015, 450 p. Ill.

Echenoz, Jean, Je m’en vais. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1999, 252 p.

Godin, Gérald, les Cantouques. Poèmes en langue verte, populaire et quelquefois française, Montréal, Parti pris, coll. «Paroles», 10, 1971, 52 p. Édition originale : 1967.

Lefebvre, Pierre, «Le propriétaire et le possédé. Cinquième confession d’un cassé. Quand le pauvre fait la lutte au pauvre», Liberté, 302, hiver 2014, p. 38-42. https://id.erudit.org/iderudit/70537ac

Plume. Chansons par toutes sortes de monde, Moult éditions, 2023, 189 p. Ill.

Détresse du jour

Réjean Ducharme, l’Hiver de force, éd. de 1984, couverture

L’Oreille tendue vient de prendre conscience du fait qu’elle n’a jamais proposé d’article développé sur le verbe zigonner (elle l’évoque cependant ici). Elle ne saurait se l’expliquer. Cela l’inquiète.

Remédions à cela.

Qui zigonne n’arrive pas (bien) à faire quelque chose, mais cela ne l’empêche pas d’essayer, parfois pendant longtemps. Zigonner ne marque jamais une économie de temps.

Le Petit Robert (édition numérique de 2014) classe zigonner dans la catégorie des régionalismes («Canada») et le considère comme «familier». Il en indique trois sens (dont le deuxième n’est jamais tombé dans l’oreille de l’Oreille) :

1. Faire des essais en divers sens, sans savoir s’y prendre.

2. Tenter de se frayer un passage, en se faufilant, en zigzaguant. Zigonner dans la foule.

3. Hésiter, tergiverser. «La plupart des gens zigonnent avant de reconnaître une contradiction» (M. Laberge).

Le verbe peut s’employer seul :

«— Que fait ton père dans la cuisine ?
— Il zigonne.»

On peut lui adjoindre des compléments d’objet directs.

Nicole, dans l’Hiver de force (1973) de Réjean Ducharme, n’est pas douée pour la conduite automobile : «elle zigonne les pédales, elle s’agite, elle s’énerve» (p. 136).

Souvent, il est suivi des préposition sur ou après.

Elle zigonne sur la zapette.

Il zigonne après le piton.

Il a donné naissance à un adjectif : zigonneux et à un substantif : zigonnage.

En 2008, des auditeurs de la radio de Radio-Canada avaient suggéré que ce québécisme soit ajouté au(x) dictionnaire(s). Ils avaient raison.

P.-S. — La Base de données lexicographiques panfrancophone le donne avec une seul n ou deux. Elle en recense plusieurs acceptions (caloriques, halieutiques, équestres, musicales) «vieillies». Zigonner pourrait même renvoyer à la connaissance dite biblique.

P.-P.-S. — Ni le Multidictionnaire de la langue français (2009, cinquième édition) de Marie-Éva de Villers, ni Usito, «Une description ouverte de la langue française qui reflète la réalité québécoise, canadienne et nord-américaine tout en créant des ponts avec le reste de la francophonie», ne connaissent ce mot.

 

[Complément du 8 janvier 2014]

La suite logicielle Antidote propose l’étymologie suivante :

Emprunt au poitevin ou saintongeais zigzounàe, «scier maladroitement»; de l’onomatopée zik-zak, «bruit du va-et-vient d’une scie».

Merci à @revi_redac pour cet ajout.

 

[Complément du 8 juillet 2017]

Dans le quotidien bruxellois le Soir d’hier, l’excellent Michel Francard consacre sa chronique à zigonner. C’est ici, sous le titre «Zigonner sur la zappette».

 

Référence

Ducharme, Réjean, l’Hiver de force. Récit, Paris, Gallimard, 1973, 282 p. Rééd. : Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1622, 1984, 273 p.

Youpi, en bien mieux

Soit le tweet suivant :

«CAVALCADE EN CYCLORAMA meilleur vendeur 2013 au Port de tête, booya !» (@K_Phaneuf)

Booya, donc.

Jusqu’alors, l’Oreille tendue n’avait entendu cette expression marquant une très grande (auto) satisfaction que dans son cercle familial élargi (n = 2).

Elle avait tout faux. Booya (en ses diverses graphies) est bien connu en anglais, ainsi que le révèle cette entrée du Urban Dictionary.

L’Oreille stands corrected.

 

[Complément du 10 janvier 2014]

Aveu de @K_Phaneuf : «J’ai adopté le “booya” en lisant les aventures parodiques de Chuck Norris

 

[Complément du 22 octobre 2019]

Variation graphique chez le Guillaume Corbeil du Meilleur des mondes (2019) : «Bouh-ya !» (p. 143)

 

Référence

Corbeil, Guillaume, le Meilleur des mondes. D’après Aldous Huxley. Théâtre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 139, 2019, 238 p.