Plausibilité

Soit le tweet suivant, de notre amie @revi_redac :

«Apparence, oui.»

Soit ce passage d’un article de la Presse+ du 22 novembre 2013 :

«Apparence que le prochain patron de la Société de développement des entreprises culturelles sera… une patronne.»

Apparence ou apparence que, donc, en tête de phrase. Signification ? Il semble bien que.

Apparence que c’est un québécisme, du moins aujourd’hui.

 

[Complément du 28 novembre 2013]

Deux réactions rapides à ce billet.

Sur Twitter, @revi_redac apprend à l’Oreille tendue que le mot se trouve dans la suite logicielle Antidote : «[Québec] [Familier] On dirait que. Apparence qu’il va neiger.»

Sa taupe québecquoise, pour sa part, se demande — et lui demande — si l’expression n’apparaissait pas dans la série télévisée le Temps d’une paix, notamment dans la bouche de Joseph-Arthur. L’Oreille a été chroniqueuse télé d’un jour, mais cette question dépasse largement son champ de compétences.

 

[Complément du 31 décembre 2021]

Deux exemples romanesques :

«Le monde jase. Apparence que l’Américaine se serait fêlé la cuisse avec mon Louis-Benjamin avant le mariage. C’est ben pour dire !» (la Fiancée américaine, p. 35)

«Gabrielle relève la tête et elle me fait un sourire aussi fort que si je venais de lui donner mon ticket gagnant de Gagnant à vie. Elle est assise par terre, et moi, sur le canapé. Je me sens un peu mal, mais apparence qu’elle mange tout le temps de même, pis que ça la dérange pas» (Chercher Sam, p. 108).

 

Références

Bienvenu, Sophie, Chercher Sam. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2014, 169 p.

Dupont, Éric, la Fiancée américaine. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2012, 577 p.

Le sens de la famille

Les familles combattent le fascisme !, 2013, couverture

En 2004, l’Oreille tendue cosignait un Dictionnaire québécois instantané. L’entrée «famille dysfonctionnelle» y tenait en un mot : «Pléonasme» (p. 88).

Les éditions montréalaises Le Quartanier semblent partager le point de vue de l’Oreille. En quatrième de couverture de Les familles combattent le fascisme ! de Jacob Wren, on lit en effet : «Un théoricien du complot apparaît sur le pas de la porte d’une famille normale, c’est-à-dire dysfonctionnelle, et loue une chambre au sous-sol.»

 

[Complément du 7 décembre 2022]

Dans une entrevue accordée au magazine The New Yorker, Robert McKee abonde dans le même sens : «McKee is from the suburbs of Detroit, the son of an engineer and a real-estate agent. “I was raised in a family—dysfunctional, of course,” he said. “Then I raised a family—dysfunctional, of course. I think all the best families are. You don’t want a happy childhood!”»

 

Références

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Wren, Jacob, Les familles combattent le fascisme !, Montréal, Le Quartanier, coll. «Nova», 10, 2013, 48 p. Traduction de Christophe Bernard.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Citation pleine de bon sens du samedi matin

Victor Hugo, portrait

«[La] langue française n’est point fixée et ne se fixera point. Une langue ne se fixe pas. L’esprit humain est toujours en marche, ou, si l’on veut, en mouvement, et les langues avec lui. Les choses sont ainsi. […] Toute époque a ses idées propres, il faut qu’elle ait aussi les mots propres à ces idées. Les langues sont comme la mer : elles oscillent sans cesse. À certains temps, elles quittent un rivage du monde de la pensée et en envahissent un autre. Tout ce que leur flot déserte ainsi sèche et s’efface du sol. C’est de cette façon que des idées s’éteignent, que des mots s’en vont. Il en est des idiomes humains comme de tout. Chaque siècle y apporte et en emporte quelque chose. Qu’y faire ? cela est fatal. C’est donc en vain que l’on voudrait pétrifier la mobile physionomie de notre idiome sous une forme donnée. C’est en vain que nos Josué littéraires crient à la langue de s’arrêter; les langues ni le soleil ne s’arrêtent plus. Le jour où elles se fixent, c’est qu’elles meurent.»

Victor Hugo, Préface de Cromwell, dans Œuvres complètes. Vol. 12. Critique, Paris, Robert Laffont, coll. «Bouquins», 1985, xiii/761 p., p. 1-44, p. 30-31. Présentation de Jean-Pierre Reynaud. Édition d’Anne Ubersfeld. Édition originale : 1827.

Expression de (pré)saison

Ça y est. Il commence à y avoir des flocons. L’hiver sera là incessamment. Avec lui installé, on patinera, on glissera, on aura froid, on pellettera, on sacrera.

On pourra aussi, quand les accumulations seront suffisantes (les météorologues parlent de «neige au sol»…), donner des bouillons.

Exemple :

Au début de l’année, Méthot écœurait Louis Blais. Après, pour faire changement, il a commencé à donner des bines à Yvon Larochelle à chaque fois qu’il le voyait dans le corridor. Ces temps-ci, c’est moi qu’il écœure. Vendredi, il m’attendait après l’école et il m’a sauté dessus pour me donner un bouillon (Des histoires d’hiver […], p. 135).

Donner un bouillon ? Maintenir quelqu’un au sol et le forcer à avaler de la neige. Ça se pratiquait volontiers quand l’Oreille tendue était petite. C’était il y a longtemps.

Un sondage scientifique mené dans le pavillon de l’Oreille révèle d’ailleurs que l’expression est tombée en désuétude, du moins dans le groupe sondé (n = 2).

C’est dommage.

 

[Complément du 2 août 2017]

Le bouillon pourrait être liquide, si l’on en croit l’anesthésiologiste Marilyn Gravel, la chirurgienne pédiatrique Marianne Beaudin et le directeur général de la Société de sauvetage, Raynald Hawkins, qui, dans la Presse+ du 15 juillet 2017, parlent de «bouillon d’eau». On pourrait l’«avaler» ou le «prendre», ce qui suppose quelqu’un pour le «donner». Ce ne serait pas dangereux. Qu’on se rassure.

 

Référence

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hocke. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.