«Il s’agit d’abord de comprendre que toute phrase simple, si longue soit-elle, relève inévitablement de la structure fondamentale à trois groupes nominaux, rangés dans l’ordre, et un groupe verbal (GN1-GV-GN2-GN2’’). On peut la comparer au moteur à quatre temps (passant par les phases successives d’admission, compression, explosion, échappement et recommençant le cycle).»
Pierre Bergounioux, Aimer la grammaire, Paris, Nathan, 2010, 63 p., p. 56.
L’Oreille tendue sera aujourd’hui, de 13 h à 14 h, à l’émission Plus on est de fous, plus on lit ! de la radio de Radio-Canada pour parler de David Foster Wallace et notamment de la biographie que lui consacre D.T. Max (2012).
«Toujours nue comme un ver, Gloire allume une cigarette en même temps que le téléviseur […]» (p. 55).
«Les sujets britanniques organisaient le mardi des soirées passées à danser le cake-walk sur la terrasse en Adidas, en bermuda, en transpirant parmi les tables chargées de bouteilles» (p. 137).
«Sans horizon mais sans péril passèrent ainsi douze jours interminables, pas du tout comme Gloire les avait souhaités, certes à l’abri mais à l’étroit» (p. 211).
P.-S. — Ce ne sont pas les seuls zeugmes de ce roman; voir ici.
«Je me suis magasiné un emploi épanouissant […].»
Charles Bolduc, les Truites à mains nues, 2012
Le monde du travail se transforme sous nos yeux. Aujourd’hui, on le sait, n’importe qui peut devenir associé ou ambassadeur de marque. De même, quand l’employabilité est en crise, il y a de l’avenir pour les conseillers en insolvabilité. Inversement, le bougon, lui, dépenserait beaucoup d’énergie, mais pour ne pas travailler.
Ce n’est bien sûr pas tout.
Engager des employés, c’est bien. Être «conseillère principale en attraction de talent» (la Presse, 30 janvier 2013, cahier Affaires, p. 7), c’est mieux. On imagine sans peine que cette personne doit travailler de près avec «des agents de talent spécialisés en branding humain».
Plus modestement, vous aimeriez devenir «responsable de la recherche et de l’élaboration du matériel relatif à l’engagement du public, notamment des campagnes de sensibilisation et de la campagne annuelle de collecte de fonds du Carême pour l’ensemble du Canada (anglophone et francophone)» ? Vous êtes potentiellement une «Personne agente au matériel pédagogique».
À une époque, les consultants — ces intervenants bien payés, le plus souvent par des décideurs avec une vision — et les experts pullulaient. Les coachs les ont remplacés.
Il en est de toutes sortes : pour les acheteurs de voitures Cadillac (la Presse, 14 mai 2012, cahier Auto, p. 5), pour ceux qui écrivent (@Coachingecrit), pour ceux qui ont besoin «de redressement» (la Presse, 11 juillet 2009, cahier Affaires, p. 10), pour les clientes des esthéticiennes (merci à @fbon), pour les «dirigeants» (@sokallis) comme pour les artistes (Culture pour tous).
Il existe même, cela ne s’invente pas, une Fédération internationale des coachs du Québec (la Presse, 23 mai 2012, cahier Affaires, p. 7).
Le cas le plus paradoxal est celui de l’autocoaching : vous êtes votre propre coach. (C’est, peut-être, plus économique.) Il faut toutefois se méfier : s’il est un «autocoaching efficace», c’est qu’il doit en exister un qui ne l’est pas. (Vous aurez été prévenus.)
L’ampleur du phénomène du coaching n’a pas échappé à Éric Chevillard, qui publiait en 2011 L’autofictif prend un coach.
Attention. Il ne faut pas confondre sauter sa coach et sauter sa coche.
P.-S. autopromotionnel — Jadis, l’Oreille tendue a publié un long texte sur la représentation de l’expert dans la prose romanesque française de la fin des années 1990. Cela s’intitulait, tout simplement, «Notice sur la précarité romanesque ou ANPE, ASSEDIC, CDD, CV, DDASS, HLM, IPSO, RATP, RMI, SDF, SMIC et autres TUC».
Références
Chevillard, Éric, L’autofictif prend un coach, L’Arbre vengeur, 2011.
Melançon, Benoît, «Notice sur la précarité romanesque ou ANPE, ASSEDIC, CDD, CV, DDASS, HLM, IPSO, RATP, RMI, SDF, SMIC et autres TUC», dans Pascal Brissette, Paul Choinière, Guillaume Pinson et Maxime Prévost (édit.), Écritures hors-foyer. Actes du Ve Colloque des jeunes chercheurs en sociocritique et en analyse du discours et du colloque «Écritures hors-foyer : comment penser la littérature actuelle ?». 25 et 26 octobre 2001, Université de Montréal, Montréal, Université McGill, Chaire James McGill de langue et littérature françaises, coll. «Discours social / Social Discourse», nouvelle série / New Series, 7, 2002, p. 135-158. https://doi.org/1866/13815
En guise d’introduction, cette scène récente de la vie pétrolière de l’Oreille tendue (OT).
OT : Bonjour. J’étais à la pompe numéro 1. Ce sera sur ma carte de crédit.
La caissière : On insère la carte. On a une carte Air Miles ?
OT : Non.
La caissière : On peut reprendre sa carte.
Bref, ni tu ni vous. Le cas n’est pas unique. Pendant quelques années, l’Oreille et ses fils ont fréquenté une pizzeria où la serveuse leur demandait toujours «On est prêt(s ?) à commander ?».
L’Oreille avait co-abordé cette étrange utilisation du pronom indéfini deux fois dans son Dictionnaire québécois instantané de 2004.
D’abord aux p. 72-73, sous la rubrique «Trois règles grammaticales indispensables» (pour comprendre le français du Québec).
C’est à cet égard [les pronoms personnels] que les choses sont les plus poétiques dans la langue parlée au Québec : l’éternelle crise identitaire se manifeste jusque-là. Chers lecteurs, vois.
Je. Quand la Révolution tranquille battait son plein, il était de bon ton de souligner que les nations colonisées étaient pleines de gens qui n’arrivaient pas à s’affirmer : ils ne savaient pas dire je. C’est réglé. On est en fait tombé dans l’excès inverse : «Attention, je recule souvent» (inscription à l’arrière d’un camion de vidange); «Je suis temporairement en panne» (panneau sur un guichet automatique).
Tu. 1. Les conjugaisons stressent souvent les apprenants. C’est pourquoi il est devenu courant de n’apprendre que les verbes à la deuxième personne du singulier; on fait l’économie du pluriel. Tu es prêt, le groupe ? 2. La répétition de ce pronom sert à marquer l’insistance. «Tu m’aimes-tu ?» (chanson de Richard Desjardins).
Il. Voir y.
Elle. Opportunément remplaçable par a. Céline, a chante fort.
Nous. Le plus généralement remplacé par on, notamment dans la vie de couple. Autre économie de conjugaison.
Vous. Pronom élitiste. Voir tu et on.
Ils. Voir y.
Y. Pronom universel qui exclut la personne qui parle. Le monde, y sont malades. Y est beau, ce gars-là.
On. Pronom universel qui inclut la personne qui parle. Au Québec, on est malades. On est beau comme couple. «Une chance qu’on s’a» (chanson de Jean-Pierre Ferland). Exception : à la forme interrogative, on désigne la deuxième personne, du singulier comme du pluriel. On veut un gratteux avec ça ?
Puis à la p. 151.
1. Pronom personnel de la deuxième personne du singulier et du pluriel. On prendrait un petit dessert avec ça ?
2. Pronom personnel de la première personne du pluriel. «On est six millions, faut se parler» (slogan publicitaire des années soixante-dix).
Dans le même ordre d’idées, une lectrice assidue de l’Oreille lui glisse à l’oreille la remarque suivante :
Cela dit, «on inclut la personne qui parle» n’a rien de propre au Québec, comme tu le sais. C’est la règle «on exclut la personne qui parle» qui est une aberration pure ! Je me demande pourquoi on enseignait ça dans tous les cours de français. Et d’où elle vient.
Bénéficiaires, même si on ne sait quoi répondre à cette question, on espère néanmoins avoir pu t’être utile.
[Complément du 6 février 2013]
En linguistique, on a beaucoup écrit sur le «on». Voir ce texte, par exemple, d’une fidèle lectrice de l’Oreille tendue : Bourassa, Lucie, «Ritournelle», Contre-jour : cahiers littéraires, 7, 2005, p. 59-60.
[Complément du 28 octobre 2015]
Aujourd’hui, au marché :
Elle : On met votre biscuit dans votre sac ?
OT : Oui, on l’y met.
[Complément du 20 septembre 2016]
Dans l’exemple suivant, le «on» inclut manifestement «la personne qui parle» : «En passant par le rayon dédié à la pharmacie, elle m’a examiné et déclaré qu’il fallait que je décide si oui ou non on aurait besoin de préservatifs» (Récit d’un avocat, p. 66).
[Complément du 3 mars 2018]
Même une société d’État s’en mêle, Hydro-Québec, dont une publicité de 2017 commençait par «On exclut la personne qui parle. Vous avez déjà entendu ça.» Oui, en effet, et malheureusement.
[Complément du 24 mai 2022]
Dans son infolettre du jour, «Sur le bout des langues», Michel Feltin-Pelas met en lumière la richesse du pronom «on». C’est ici.
[Complément du 11 juillet 2023]
Si l’on se fie à cet extrait d’un courriel du 23 juin 2023, le Fonds de solidarité FTQ croit manifestement aux vertus inclusives du on :
[Complément du 12 juillet 2023]
Bel usage du on policier dans une scène du film la Cité de l’indicible peur, de Jean-Pierre Mocky (1964). Jean Poiret incarne le brigadier Loupiac dans cet échange avec l’inspecteur Simon Triquet (Bourvil).
[Complément du 2 février 2025]
Attention : le «on» ne va pas toujours de soi. Lisons le Triangle d’hiver, de Julia Deck (2014) : «Qui, on ? s’enhardit-elle, poussée par ce on bizarre, car on se croit malin avec des on, on s’imagine contourner habilement le problème alors que ça ne fait qu’attiser le doute jusqu’à ce qu’il prenne feu et s’embrase» (p. 101).
Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.