Divergences transatlantiques 013

Soit une «Veste longue de sport, en tissu imperméable, munie d’une capuche», au genre fluctuant (le Petit Robert, édition numérique de 2010).

Au Québec, le mot est surtout masculin : «Lorsque Norah passe près d’eux, un des employés jette un drôle de regard à son parka de caribou qui, il faut l’avouer, détonne un peu dans le décor» (Nicolas Dickner).

En France, il paraît être beaucoup employé au féminin : «Elle portait une parka sale, un chapeau tordu sur la tête et on pouvait véritablement dire qu’elle était sans âge» (Arnaldur Indridason, p. 79).

Qu’en disent les Belges ?

 

[Complément du 22 août 2011]

Que faire quand on est une écrivaine québécoise et qu’on est publiée en France ? Mélanie Vincelette, dont le roman Polynie a paru en 2011 chez Robert Laffont, a été confrontée à la difficulté. Pour ne déplaire à personne, elle a trouvé une solution élégante. Page 30, il est question «d’un parka en laine bleue». Page 163 apparaît «une parka traditionnelle rouge». Page 197, il y a plus simple : «des parkas modernes». Tout le monde est content.

 

Références

Dickner, Nicolas, Boulevard Banquise, Québec, Musée national des beaux-arts du Québec, 2006, 47 p. Ill. Un conte de Nicolas Dickner, inspiré et illustré d’œuvres de la collection d’art inuit Brousseau.

Indridason, Arnaldur, la Rivière Noire, Paris, Métailié, coll. «Métailié noir», 2011, 299 p. Traduction d’Éric Boury. Édition originale : 2008.

Vincelette, Mélanie, Polynie, Paris, Robert Laffont, 2011, 213 p.

Divergences transatlantiques 012

Christian Gailly, les Évadés, 2010, couverture

Soit un «Récipient isolant à double paroi de verre séparée par un vide, qui maintient durant quelques heures la température du liquide qu’il contient», au genre fluctuant (le Petit Robert, édition numérique de 2010).

Au Québec, le mot est surtout masculin : «Il aurait juré qu’il n’y était pas il y avait un moment à peine, et pourtant, assis sur un banc de fortune, il se versait un café de son vieux thermos taché d’encre, avec l’attention de quelqu’un que rien n’avait déconcentré et avec la lenteur de celui qui avait tout son temps» (Claire Séguin, la Trace).

En France, il paraît être beaucoup employé au féminin : «Je vais bientôt servir, et puis tu en profites pour apporter l’eau et le vin, qui sont dans la glacière et la glacière dans le coffre et, non, pas la Thermos de café, ne la cherche pas, elles est là, oui, c’est tout» (Christian Gailly, p. 135); «Valdimar reposa la pièce, ouvrit sa thermos de café et versa la boisson brûlante au fond d’une tasse» (Arnaldur Indridason, p. 51).

Heureusement qu’il y les Belges : «La mise au rebut de la boîte à tartines, de la bouteille Thermos et l’adieu définitif à la machine à pointer» (Nicolas Ancion, Les ours n’ont pas de problème de parking).

 

[Complément du 14 décembre 2018]

Au printemps de cette année, Michel Francard a repris en recueil quelques-unes de ses chroniques de langue parues dans le quotidien belge le Soir. On peut y (re)lire avec profit son texte intitulé «Un thermos, what else ?» (p. 174-177)

 

Références

Ancion, Nicolas, Les ours n’ont pas de problème de parking, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Fiction 17», 2011. Édition numérique. Édition originale : 2001.

Francard, Michel, Vous avez de ces mots… Le français d’aujourd’hui et de demain !, Bruxelles, Racine, 2018, 192 p. Illustrations de Jean Bourguignon.

Gailly, Christian, les Évadés, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 65, 2010, 234 p. Édition originale : 1997.

Indridason, Arnaldur, la Rivière Noire, Paris, Métailié, coll. «Métailié noir», 2011, 299 p. Traduction d’Éric Boury. Édition originale : 2008.

Séguin, Claire, la Trace, Lévis (Québec), Fondation littéraire Fleur de Lys, 2006, 320 p. Édition numérique.

La langue du hockey à travers les âges (comme)

Je r’gardais tous ‘es matchs à tévé
Ent’ mon père pis Lecavalier

Pierre Bertrand, «Hockey» (1978)

Il y a quelques mois, il était question, en ces écrans, de l’évolution du lexique du baseball. Aujourd’hui, parlons hockey.

Les amateurs connaissent le rôle joué par l’annonceur René Lecavalier dans la popularisation d’un vocabulaire français pour décrire l’univers du hockey. Pour ses efforts, il a reçu en 1959 le prix Olivar-Asselin de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal et on lui a décerné deux doctorats honoris causa, l’un de l’Université de Montréal, l’autre de l’Université du Québec.

René Lecavalier avait eu des prédécesseurs, par exemple l’abbé Étienne Blanchard.

Parmi les publications du prolifique abbé — Stylistique canadienne, le Bon Français en affaires, Recueil d’idées, Dictionnaire du bon langage, etc. —, on doit faire une place à part à ses imagiers, 1000 mots illustrés ou Gravures et mots ou 2000 mots bilingues par l’image, qui ont connu plusieurs incarnations.

Dans l’édition de 1920 comme dans l’édition de 1924 (en plus petit format) de 2000 mots bilingues par l’image, le lexicographe a une section sur la «balle au camp» (le baseball) et une autre sur le «hoquet» (le hockey). En 1915, les deux sports étaient fondus, et l’un ne portait pas le même nom.

À la fin des années 1910, l’abbé Blanchard a en effet décidé de laisser tomber le terme gouret — qui désignait à la fois le bâton des joueurs et le sport dans son ensemble —, au profit de hoquet. Motif ? «Le mot hockey vient de l’ancien mot français hoquet. Nous sommes de l’avis du “Droit” [journal d’Ottawa], proposant de substituer ce mot à gouret» (2000 mots bilingues par l’image, p. 60).

Hockey a aujourd’hui remplacé hoquet, sauf chez la Catherine Cusset du Problème avec Jane, qui évoque le «hoquet sur glace» (p. 173). Ce n’est pas le seul mot proposé par Étienne Blanchard à être tombé en désuétude; c’est ce que révèle l’illustration de la page 34 de l’ouvrage 1000 mots illustrés ou Gravures et mots.

Étienne Blanchard, 1000 mots illustrés ou Gravures et mots, 1915, p. 34

 

 

Les gourets, sauf en ces contrées où l’on croit légitime de parler de palets, sont devenus des bâtons (fig. 18). Le gauleur est un gardien; quelques joueurs sont disparus (le foncier, le milieu), d’autres ont changé de nom (le centre droit, le centre gauche) (fig. 19). Les filets sont dorénavant bien tendus; plus besoin de raidisseur (fig. 20). On a toutefois conservé le ruban gommé (fig. 21) et la jambière (fig. 22). Plus loin dans l’ouvrage, on évoquera la rondelle ou le disque, mais également la galine, mot qui sortira progressivement de l’usage (p. 37).

Quelques années plus tard, dans 2000 mots bilingues par l’image (p. 61), le raidisseur deviendra un tendeur (fig. 3) et on apprendra qu’on peut remplacer ruban gommé par chatterton (fig. 2). La chevillère semblait faire partie, en 1915, du lexique du baseball; en 1920 et en 1924, elle est passée sur la glace (fig. 4).

Étienne Blanchard, 2000 mots bilingues par l’image, 1920, p. 61

 

L’abbé Blanchard était peut-être trop prolifique. En 1925, dans la sixième édition d’En garde !, il oublie de substituer hoquet à gouret. Le gouret de 1915, devenu bâton de hoquet, hoquet ou canne (de hoquet) en 1920 et 1924, est maintenant une (un ?) cross ou une canne (p. 40). La chevillère n’est plus; place au protège-cheville ou au support-cheville (p. 41). En 1915, en 1920 et en 1924, on joue sur un patinoir aussi bien que sur une patinoire; plus en 1925, où le masculin l’emporte (p. 40).

Mais il n’y avait pas que l’abbé Blanchard. En 1937 est publié le Vocabulaire français-anglais des jeux de hockey[,] de tennis et de balle aux buts (base-ball). Ce lexique du hockey ressemble plus au nôtre que celui de Blanchard — patinoire est féminin, on tire la rondelle ou le disque avec un bâton —, mais il reste des différences : pénitencier (banc des punitions), équipe d’as (équipe d’étoiles), pilote (entraîneur), point égalisant (but égalisateur).

Remercions René Lecavalier d’avoir normalisé tout cela.

René Lecavalier, portrait

 

[Complément du 3 septembre 2019]

En 1949, F.J.F. (le frère mariste Jean-Ferdinand) publie, sous le titre Cultivons-nous, 2236 questions de culture générale, suivies de leur réponse. Question 2000 : «Qui fut surnommé par le consul de France, “le jardinier de la langue française au Canada” ?» Réponse : «M. l’abbé Étienne Blanchard» (p. 124).

 

[Complément du 22 janvier 2024]

La Fondation Lionel-Groulx consacre une des vidéos de sa série «Nos géants» à René Lecavalier; c’est ici. Il y est brièvement question d’Étienne Blanchard.

 

Références

Blanchard, abbé Étienne, 1000 mots illustrés ou Gravures et mots, Montréal, 1915, 111 p. Ill.

Blanchard, abbé Étienne, 2000 mots bilingues par l’image, Montréal, L’Imprimerie des marchands limitée, 1920, 112 p. Ill.

Blanchard, abbé Étienne, 2000 mots bilingues par l’image, Montréal, Imprimerie J. Tremblay & fils, 1924, 112 p. Ill.

Blanchard, abbé Étienne, En garde ! Termes anglais et anglicismes dans le commerce, les amusements, les professions, les métiers, les voyages, à la ferme, au parlement, etc., Montréal, Librairie Beauchemin, limitée, Bibliothèque canadienne, coll. «Montcalm», 413 B, 1925, 124 p. Sixième édition.

Cusset, Catherine, le Problème avec Jane, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 3501, 2001, 458 p. Texte révisé par l’auteur.

J.-F., F. [Frère Jean-Ferdinand], Cultivons-nous, Roberval, Les imprimeurs Roberval, 1949, 142 p.

Vocabulaire français-anglais des jeux de hockey[,] de tennis et de balle aux buts (base-ball), Québec, La librairie de l’Action catholique, 1937, 29 p. «Publié avec la bienveillante autorisation de la Société du parler français, qui a rédigé ce Vocabulaire.»

Une âme sœur

Sébastien Bailly, les Zeugmes au play, 2011, couverture

On le sait : l’Oreille tendue aime les zeugmes, au point d’en avoir fait une catégorie, là, en bas, à droite. On comprendra donc son plaisir à la découverte du livre les Zeugmes au plat de Sébastien Bailly (2011) et de son site Web.

Dans son livre, Bailly donne plusieurs définitions du zeugme — ne pas dire zeugma, recommande-t-il —, il cite des travaux de divers rhétoriciens, il livre une brève anthologie thématique du «meilleur des zeugmes», il énumère les chansons et les articles de journaux où fleurit cette figure de style, il en construit une typologie : le zeugme étant une «entorse», puisqu’il s’agit «de tordre une construction grammaticalement correcte parce qu’il est plus simple, plus rapide, moins contraignant de procéder ainsi» (p. 17), il convient de distinguer l’«entorse légère» (genre, nombre, temps), de l’«entorse moyenne» (syntaxe, sémantique) et de l’«entorse grave» (là où règnent les «complications inattendues», p. 22). Non seulement l’auteur expose la nature du zeugme, mais il souhaite faire œuvre utile, d’où une «petite fabrique du zeugme» (p. 43-56), d’inspiration oulipienne.

Sous un titre emprunté au préfacier, Hervé Le Tellier, on lit une véritable défense et illustration du zeugme. Ce «petit traité» (p. 12) regorge (évidemment) de bons mots, d’exemples bien choisis, voire de passages philosophiques : «En clair, pour Henri Mourier [ce devrait être Morier], le zeugme permet de donner du sens à la vie; pour Pierre Jourde, il souligne qu’elle n’en a pas» (p. 72); «Il se trouve que le zeugme apporte quelque chose de plus qu’une rupture dans la marche grammaticale de la phrase : il remet en cause la fonction première du langage» (p. 76).

Tout cela était nécessaire, car, selon Bailly, le zeugme est le laissé-pour-compte de la rhétorique : «On en revient toujours à ce désintérêt frappant, ce désamour cinglant, cette indifférence aveuglante pour la figure» (p. 39 n. 27). Ce n’est désormais plus vrai.

P.-S. — À la p. 32, on lit, correctement, tel vers de Racine : «Le cœur est pour Pyrrhus, et les vœux pour Oreste» (Andromaque, acte II, scène 2). Page 18 et page 80, on a mis «veaux» à la place de «vœux». Ça fait désordre.

 

Référence

Bailly, Sébastien, les Zeugmes au plat. Éloge d’une tournure humoristique, Paris, Mille et une nuits, coll. «Mille et une nuits», 585, 2011, 107 p. Avant-propos de Hervé Le Tellier.

Tout le monde à bord

Martine Sonnet, Montparnasse monde, 2011, couverture

L’Oreille tendue, il y a quelques mois, chantait les louanges d’Atelier 62 (2008) de Martine Sonnet. Bis, avec Montparnasse monde (2011).

Le «contenu» — à défaut de meilleur terme — de ce livre a connu plusieurs incarnations au fil des ans, incarnations qu’on peut retrouver (en partie) sur le site de l’auteure. Il y eut des images (fixes ou mobiles), du son, des entrées de blogue et un recueil de quelques-unes de celles-ci dans un livre numérique paru chez publie.net en 2009, sous le même titre que l’ouvrage sorti récemment aux éditions Le temps qu’il fait. Le sous-titre d’alors, Variations sur le thème d’une gare, est devenu fort heureusement Roman de gare. Mais de quoi s’agit-il ?

De faire voir et entendre, en 27 chapitres, une gare parisienne, celle du titre, pour montrer qu’elle est un monde en soi, ouvert sur le monde. De mêler, aux descriptions et évocations, des éléments de son histoire personnelle, familiale, professionnelle et intellectuelle.

Martine Sonnet a voulu tenir la gare «à l’œil» (p. 43), en révéler les strates — dans l’espace comme dans la mémoire —, comprendre sa position dans un univers bien particulier : «La gare, le bureau, le Jardin et moi, nous formions un écosystème» (p. 83). De l’auteure en «rapporteuse de gare» (p. 32).

Accessoirement, le livre permet de répondre au narrateur du roman l’Incident de Christian Gailly : «La gare était comme toutes les gares. Une gare, quand on a dit ça on a tout dit. Il suffit d’en voir une, on les a toutes vues. Toujours les mêmes gens qui regardent en l’air, attendent, partent, reviennent» (p. 208). Non, pas celle de Martine Sonnet.

Pareille «entreprise d’écriture» (p. 61) est par définition infinie : «Si le Montparnasse monde bouge en même temps que je l’écris, je n’aurai jamais fini» (p. 66). Martine Sonnet le sait donc, qui propose à ses lecteurs une dizaine d’«exercices de gare» : à chacun de se représenter son monde, de se faire son propre roman.

Qui dit «roman de gare» dit «vocabulaire de gare» (p. 19 et p. 43), «langue de gare» (p. 22). Celle de Martine Sonnet peut parfois dérouter, au sens littéral. On la voit résister «à la séduction des gondoles» dans un grand magasin voisin de son port d’attache (p. 111) et ne pas s’émouvoir de ce qu’impose «le crocodile» au wagon de tête de son train (p. 122). Voilà l’Italie et des contrées bien plus lointaines au cœur de Paris.

Il se passe décidément beaucoup de choses dans une gare, quand on est tout yeux, tout oreilles. La démonstration est faite à chaque page du livre de Martine Sonnet. Suivons-la.

P.-S. — Ce texte a été rédigé dans une chambre d’hôtel qui donne précisément sur la gare de Martine Sonnet. Il y a aussi le Québec dans le Montparnasse monde.

 

Références

Gailly, Christian, l’Incident, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 63, 2009, 253 p. Édition originale : 1996.

Sonnet, Martine, Atelier 62, Cognac, Le temps qu’il fait, coll. «Corps neuf», 1, 2009, 193 p. Ill. Édition originale : 2008.

Sonnet, Martine, Montparnasse monde. Roman de gare, Cognac, Le temps qu’il fait, 2011, 139 p. Ill.

Sonnet, Martine, Montparnasse monde. Variations sur le thème d’une gare, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, 2009. Édition numérique.