Au tournant du siècle dernier

Sylvie Brunet, les Mots de la fin du siècle, 1996, couverture

Quels étaient les mots, les usages et les images populaires à la fin du XXe siècle ? Sylvie Brunet en avait dressé la cartographie dans les Mots de la fin du siècle (1996).

L’ouvrage n’a perdu ni son intérêt ni son actualité. Certains des «modismes» (expressions à la mode) repérés alors ont toujours cours : grave, j’te dis pas, délocaliser, quelque part. Les propos sur le tutoiement (p. 193-197), et notamment celui de Patrick Bruel (on est en 1996…), font mouche, aujourd’hui comme hier. L’économie des mots de liaison sévissait déjà (p. 156-159). L’emprise des médias n’a pas changé : «Notre koinè à nous, c’est le médiatique» (p. 248). Les exemples sont nombreux et bien choisis.

À la lecture, un constat s’impose : l’état de discours que décrit Sylvie Brunet est encore, pour une bonne part, celui dans lequel nous vivons, en France comme au Québec.

Une citation, pour terminer ce bref éloge : «La mayonnaise qui prend évoque un phénomène d’adhésion collective, spontanée et aléatoire, et revient à “réussir dans une entreprise” tandis que le soufflé qui retombe signifie “échouer dans quelque chose”. Étrange langue que celle des images où le soufflé peut incarner l’antithèse de la mayonnaise !» (p. 88)

 

Référence

Brunet, Sylvie, les Mots de la fin du siècle, Paris, Belin, coll. «Le français retrouvé», 29, 1996, 254 p.

De la douchette

Selon le Petit Robert (édition numérique de 2007), deux sortes de douchettes existent. Il y a l’«Appareil fixé à l’extrémité d’une alimentation en eau, percé de petits trous, qui permet la distribution de l’eau en pluie» et il y a l’«Appareil servant à la lecture des codes à barres».

Pourquoi le rappeler ?

Parce qu’Éric Chevillard aborde la question, et la chose, dans son recueil Dans la zone d’activité (p. 51), ce qui lui permet cette remarque linguistique plus générale :

C’est triste à dire mais le français moderne n’est pas moins décontenancé que le latin d’église lorsqu’il s’agit de nommer une réalité nouvelle, laquelle relève le plus souvent de la technique et nous arrive, telle Billy Holiday, inévitablement parée d’un nom américain. Le lexicologue de notre administration invente alors un vocable systématiquement malencontreux.

Démonstration, s’agissant du deuxième sens de douchette :

On croirait le cri du Québécois dans la tempête ou ce créole naïf de l’enfant qui se risque pour la première fois dans la langue.

Ça se discute.

 

Référence

Chevillard, Éric, Dans la zone d’activité, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, 2008, 66 p. Édition numérique. Mise à jour le 21 septembre 2009.

Citation inimitable du jour

Plume Latraverse, Plume pou digne, 1974, pochette

Lue il y a longtemps, et jamais oubliée, cette phrase, sur la pochette de l’album Plume pou digne de Plume Latraverse (1974) : «Il mangeait peu, mais mal» (P. Landry).

 

[Complément du 30 mai 2018]

Dans le même ordre d’idées, citons cette phrase de Jean Echenoz, dans Cherokee (1983) : «Georges ne disposant pas encore d’un bureau pour lui seul, Bock lui avait cédé une parcelle du sien pour qu’il examine à son aise le dossier Ferro, composé de documents dépareillés quoique redondants, pauvres en informations, qu’on suspectait parfois d’avoir été mis là dans le seul but de faire épais» (p. 58). «Dépareillés quoique redondants» : cela réjouit.

 

[Complément du 31 mai 2018]

L’ami Jean-François Nadeau ajoute son grain de sel à cette série en rappelant à l’Oreille tendue la scène d’ouverture du film Annie Hall de Woody Allen (1977) :

There’s an old joke. Two elderly women are at a Catskill mountain resort, and one of them says, «Boy, the food at this place is really terrible.» The other one says, «Yeah I know. And such small portions.» Well, that’s essentially how I feel about life. Full of loneliness, and misery, and suffering, and unhappiness — and it’s all over much too quickly.

De la mauvaise nourriture, en trop petite quantité. Elles mangeaient peu, mais mal.

 

[Complément du 2 janvier 2024]

Comme il se doit, la phrase de P. Landry se trouve dans l’album collectif Plume. Chansons par toutes sortes de monde : «Son père, au poilu caractère, était un homme qui mangeait peu, mais mal» (p. 13).

 

Références

Echenoz, Jean, Cherokee. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1983, 247 p.

Plume. Chansons par toutes sortes de monde, Moult éditions, 2023, 189 p. Ill.

Du texto et de ses effets linguistiques, bis

Le texto annonce-t-il la mort de la maîtrise de l’orthographe ? Pas en anglais, si l’on en croit une équipe de chercheurs du Canada.

Written communication in instant messaging, text messaging, chat, and other forms of electronic communication appears to have generated a «new language» of abbreviations, acronyms, word combinations, and punctuation. In this naturalistic study, adolescents collected their instant messaging conversations for a 1-week period and then completed a spelling test delivered over instant messaging. We used the conversations to develop a taxonomy of new language use in instant messaging. Short-cuts, including abbreviations, acronyms, and unique spellings were most prevalent in the instant message conversation, followed by pragmatic signals, such use of emoticons, emotion words, and punctuation, and typographical and spelling errors were relatively uncommon. With rare exceptions, notably true spelling errors, spelling ability was not related to use of new language in instant messaging. The taxonomy provides an important tool for investigating new language use and the results provide partial evidence that new language does not have a harmful effect on conventional written language.

La conclusion est claire : «spelling ability was not related to use of new language in instant messaging» (la compétence en épellation n’était pas liée à l’utilisation d’un nouveau langage dans la communication instantanée).

Il n’y a pas de raison de penser que la situation serait différente en français.

 

Référence

Varnhagen, Connie K., G. Peggy McFall, Nicole Pugh, Lisa Routledge, Heather Sumida-MacDonald et Trudy E. Kwong, «lol: new language and spelling in instant messaging», Reading and Writing, mai 2009.

Citation géographique du jour

Jean Echenoz, Je m'en vais, 1999, couverture

«Vous allez sur Toulouse ? lui demande Baumgartner.

La jeune femme ne répond pas tout de suite, son visage n’est pas bien distinct dans la pénombre. Puis elle articule d’une voix monocorde et récitative, un peu mécanique et vaguement inquiétante, qu’elle ne va pas sur Toulouse mais à Toulouse, qu’il est regrettable et curieux que l’on confonde ces prépositions de plus en plus souvent, que rien ne justifie cela qui s’inscrit en tout cas dans un mouvement général de maltraitance de la langue contre lequel on ne peut que s’insurger, qu’elle en tout cas s’insurge vivement contre, puis elle tourne ses cheveux trempés sur le repose-tête du siège et s’endort aussitôt. Elle a l’air complètement cinglée.»

Jean Echenoz, Je m’en vais. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1999, 252 p., p. 194.

 

[Complément du 29 mars 2018]

Lecture du jour : «Ce site web prend la forme d’archives ouvertes traitant des sciences de l’ingénieur et regroupant divers articles, chapitres d’ouvrages, comptes-rendus [sic] de conférences ainsi que des sujets de thèse traités dans ce domaine sur Toulouse» (source).