Citation belge du jour

Jean-Marie Klinkenberg, la Langue et le citoyen, 2001, couverture

«Il en va du français comme de toute autre langue : il n’existe pas. Pas plus que l’allemand ou l’espagnol, d’ailleurs. Ce qui existe, ce sont des Français, des Allemands, des Espagnols. Le joual du déneigeur montréalais, le français de l’ouvrier spécialisé maghrébin de chez Renault, le français teinté de wallonisme de mes cours de récréation verviétoises, le français classieux et branché du triangle d’or Neuilly-Auteuil-Passy, le français, non moins branché, du Paname à Renaud, celui du beur de Sarcelles et celui du sérigne sénégalais, celui des trottoirs de Rabat et celui des marchés de Kinshasa, le français caldoche et l’acadien, le québécois et le negro french. Et la langue de la Chanson de Roland, avec ses déclinaisons ? Encore du français. Comme le créole haïtien. Comme la langue de Céline avec sa ponctuation haletante. Comme celle de Cavanna avec son oralité, et celle de Claudel avec ses périodes.»

Jean-Marie Klinkenberg, la Langue et le citoyen. Pour une autre politique de la langue française, Paris, Presses universitaires de France, coll. «La politique éclatée», 2001, 196 p., p. 24-25.

Du texto et de ses effets linguistiques

Dans un coin, le linguiste David Crystal, l’auteur de Txtng : The Gr8 Db8 (2008), qui ne croit pas que la pratique massive du texto aura des effets négatifs sur l’évolution de la langue. En un mot : «Why all the Fuss ?» (titre du chapitre 8). Il s’en explique dans une vidéo ici.

Dans l’autre, Louis Menand, qui, rendant compte du livre dans les pages du New Yorker le 20 octobre 2008, se montre sceptique : «It is good to know that the estimated three billion human beings who own cell phones, and who use them to send more than a trillion text messages every year, are having no effect on anything that we should care about. A trillion text messages, Crystal says, “appear as no more than a few ripples on the surface of the sea of language.” […] Still, despite what they say, size matters. A trillion of anything has to make some change in cultural weather patterns.» Menand déplore, par exemple, «the Englishing of world languages» : «texting has probably done some damage to the planet’s cultural ecology, to lingo-diversity».

Débat.

 

Références

Crystal, David, Txtng : The Gr8 Db8, Oxford, Oxford University Press, 2008, 256 p. Ill.

Menand, Louis, «Books. Thumbspeak. Is Texting Here to Stay ?», The New Yorker, vol. LXXXIV, no 33, 20 octobre 2008, p. 86-87.

Heureuseté

Gravure représentant Louis-Sébastien Mercier

En 1994, Jean-Claude Bonnet nous avait donné les éditions de référence du Tableau de Paris et du Nouveau Paris (Paris, Mercure de France) de Louis Sébastien Mercier (1740-1814). En 1999, c’était Mon bonnet de nuit suivi de Du théâtre (Paris, Mercure de France), puis, en 2005, Songes et visions philosophiques (Houilles, Manucius).

Chez Belin (Paris), il vient de faire paraître la Néologie (1801). Pierre Assouline donne quelques exemples des inventions de Mercier, dans son blogue, en date du 28 juillet 2009 : dévotieux, exulcérer, heureuseté, joculateur, s’obombrer.

 

Référence

Mercier, Louis Sébastien, Néologie, Paris, Belin, coll. «Littérature et politique», 2009, 596/xxxvii p. Ill. Texte établi, annoté et présenté par Jean-Claude Bonnet. Édition originale : 1801.

Faune urbaine

Il fut un temps où l’on parlait des clochards, des mendiants ou des vagabonds. Au Québec, il y avait aussi des robineux, ce qui supposait quelque imbibition.

En France, on parle désormais plus volontiers du S.D.F., le sans domicile fixe, cette «Personne démunie qui n’a pas de logement régulier» (dixit le Petit Robert).

Au Québec, S.D.F. est peu utilisé; on lui préfère d’autres termes.

Le sans-abri, l’itinérant ou le sans-logis est l’équivalent du S.D.F. : «Personne qui n’a pas de logement fixe» (selon le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française). Il se tient, à Montréal, une Nuit des sans-abri et les itinérants ont leur magazine, l’Itinéraire.

Le squeegee n’a pas non plus de domicile fixe, mais c’est son activité «professionnelle» qui le caractérise. C’est un jeune entrepreneur spécialisé dans le récurage inopiné des pare-brise (contre rétribution).

Selon la Presse vient d’apparaître un nouveau mot pour désigner cette espèce, mais en sa variante saisonnière et montréalaise : crevette.

Pourquoi nomme-t-on «crevettes» les jeunes qui choisissent de vivre dans les rues ou les parcs de la métropole en période estivale ? Personne ne saurait vraiment le dire. Mais dans le milieu, ce terme a été adopté pour désigner des jeunes, souvent des mineurs, provenant parfois de milieux aisés. Venus chercher «l’expérience» de la rue, ils adoptent un style vestimentaire marginal. Certains lavent des pare-brise, d’autres quémandent pour vivre. Lorsque les premiers signes de la belle saison se font voir, ils convergent au centre-ville. Si certains sont des régions du Québec ou de la métropole, d’autres viennent d’aussi loin que Vancouver, Halifax, Toronto ou les États-Unis (29 juillet 2009, p. A3).

L’activité de ce «jeune de la rue» ? «Du tourisme sans abri» ou du «Camping urbain». Si le journal le dit, ce doit être vrai.

 

[Complément du 21 mai 2016]

À cela, il fallait un autre substantif :

«Sans-abrisme», Twitter, 20 mai 2016

 

[Complément du 24 septembre 2024]

Dans son roman Petite-Ville (2024), Mélikah Abdelmoumen parle des «sans-maisons» (p. 75) ou des «gens sans maison» (p. 81).

 

[Complément du 2 février 2025]

La romancière Julia Deck, dans le Triangle d’hiver (2014), économise les mots, à juste titre : «Or par ici végètent les sans-domicile fixe, soit les les sans-domicile tout court» (p. 108).

 

Références

Abdelmoumen, Mélikah, Petite-Ville, Montréal, Mémoire d’encrier, 2024, 290 p.

Deck, Julia, le Triangle d’hiver. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2014, 174 p.

Citation liégeoise du jour

«Il me semble en effet que c’est moins la langue en elle-même que nous avons à défendre que ceux qui, par elle, adviennent à la vie sociale, et même à la vie tout court. C’est moins la langue que nous avons à illustrer que les valeurs qu’elle peut représenter et qu’elle permet d’exprimer.

[…]

C’est qu’un langage clair abat les cloisons. Il suscite le beau risque de la démocratie, car il offre la possibilité d’un contrôle sur les choses.

La véritable écologie du langage est là : autoriser le traitement direct par le citoyen de tout ce qui le touche.»

Jean-Marie Klinkenberg, «Le conseil, la langue et le citoyen», la Revue générale, 12, 1993, p. 13-21, p. 18 et 21.