Les zeugmes du dimanche matin et de Robert Melançon

Robert Melançon, le Paradis des apparences, 2004, couverture

«L’étendue que déploie le printemps,
S’étale dans le parc et dans la mémoire,
Sous les pas et sous le crâne — verte.

On marche dans la rue que le soleil
Repeuple de promeneurs et dans l’idée
Qu’on se forme d’une rue en avril.

On passe à tout instant de la chambre
Qu’on édifie de souvenirs vrais ou faux,
À l’entassement des faits minuscules

Dont se fabrique chaque instant : le va-et-vient
Des voitures, le vent, le vol des oiseaux,
Qui ne porte d’augure que si on y tient.»

Robert Melançon, le Paradis des apparences. Essai de poèmes réalistes, Montréal, Éditions du Noroît, 2004, 144 p., p. 62

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Citation carcérolinguistique du jour

Maud De Palma-Duquet, Bénévolat, 2023, couverture

Anthony a tué quelqu’un. En prison, histoire de respecter son «plan correctionnel» (p. 40), il suit un cours de français.

Le cours est donné par une bénévole, Amaryllis, qui souhaite bonifier, par cette activité, son dossier de candidature à l’école de médecine.

Ils ne viennent pas du même milieu et ils n’ont pas tout à fait la même conception de la langue. Qu’Anthony ait des difficultés à écrire ne l’empêche pas de voir en quoi la langue peut servir des intérêts de classe.

J’écris comme d’la marde. J’ai toujours écrit comme d’la marde pis j’vas continuer d’écrire comme d’la marde. C’est ben plate, mais c’est d’même ! Bien écrire ça sert yinke à du monde comme toi. Les règles compliquées, les câlisses de ph qui se prennent pour des f ou les i avec deux points au-dessus au lieu d’un, ç’a été inventé pour que vous puissiez vous reconnaitre ent’vous aut’ ! Si le monde comme moi se mettait toute à ben écrire pis à ben parler, vous serriez fourrés en tabarnak… vous sauriez pu comment nous différencier ! (p. 22-23)

C’est à se demander qui est le maître et qui est l’élève.

 

Référence

De Palma-Duquet, Maud, Bénévolat, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 36, 2023, 99 p. Précédé d’un «Mot de l’autrice». Suivi de «Contrepoint. Le chanter ou le dire ?», par Mohamed Lotfi.

Divergences transatlantiques 073

«Crachoir en porcelaine à décor, avec un trou au centre du couvercle en forme de large entonnoir et une ouverture latérale pour le vider»

Parlons, si vous le voulez bien, crachoir.

Selon le Petit Robert (édition numérique de 2018), on le tiendrait, tenir le crachoir signifiant «parler sans arrêt». (Voir ici un exemple chez Jean-Bernard Pouy.)

Au Québec, il arrive qu’on le prenne : «Je ne me souviens d’aucun grand discours, cette journée-là, seulement la prise de parole, à tour de rôle et sans micro, de femmes suffisamment décomplexées pour prendre le crachoir» (Au Québec, c’est comme ça qu’on vit, p. 34). Dans cet exemple, il s’agit moins de parler sans arrêt que de prendre la parole.

C’est comme ça.

Illustration : «Crachoir en porcelaine à décor, avec un trou au centre du couvercle en forme de large entonnoir et une ouverture latérale pour le vider», photo déposée sur Wikimedia Commons

 

[Complément du 29 janvier 2024]

Au sens premier, le crachoir est un «Petit récipient muni d’un couvercle dans lequel on peut cracher» (le Petit Robert, édition numérique de 2018). Au Québec, le couvercle était facultatif. C’était le cas chez le grand-père paternel de l’Oreille tendue, qui en garde un souvenir peu ragoûtant : pas de couvercle. C’est aussi le cas dans cette photo probablement prise à l’Hôtel du Canada de Berthierville (merci à l’Ahuntsicoise qui l’a envoyée à l’Oreille). On notera l’avis hygiénique sans équivoque : «Cracher à terre c’est attenter à la vie d’autrui.» C’est noté.

Intérieur de l’Hôtel du Canada, Berthierville, sans date

 

[Complément du 12 juillet 2024]

Le traducteur Éric Boury, dans le Roi et l’horloger, propose «boîte crachats» (p. 112).

 

Références

Indridason, Arnaldur, le Roi et l’horloger, Paris, Métailié, coll. «Bibliothèque nordique», 2023, 315 p. Traduction d’Éric Boury. Édition originale : 2021.

Pelletier, Francine, Au Québec, c’est comme ça qu’on vit. La montée du nationalisme identitaire, Montréal, Lux éditeur, 2023, 213 p.