Seizième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Diaphore

Définition

«On répète un mot déjà employé en lui donnant une nouvelle nuance de signification» (Gradus, éd. de 1980, p. 155; voir aussi la Clé. Répertoire de procédés littéraires).

Exemples

«Sur l’Europe, si rapidement que l’on ne vit rien venir de cette vague de terreur, et ce ne fut pas une vague terreur qui déferla comme une vague, mais bien une vague de terreur, qui déferla sur l’Europe et qui allait tout emporter avec elle» (l’ABC du gothique, p. 15).

«Fou d’un livre, fou à cause d’un livre. Fou d’un genre, à cause d’un genre, et même si ce n’est pas vraiment son genre, en tomber fou» (l’ABC du gothique, p. 67).

«Le temps n’en fait qu’à sa tête et le chauffeur scrute la mienne avec un drôle d’air» (Voyage léger, p. 11).

«Les escargots me sont complètement sortis de la cervelle, et pourtant, certains jours, il fallait se la creuser pour trouver un menu qui satisfasse les clients…» (la Respiration du monde, p. 161).

«Pour élucider le mystère de ceux qui tournent la page, il n’est pas inutile de feuilleter celles signées par Stéphane Ledien» (la Presse, 18 mai 2012, cahier Arts, p. 4).

Remarque

Dans les trois derniers exemples, le mot est repris («la mienne», «la», «celles»), mais pas répété.

Interrogation

Le gouvernement du Québec a voulu augmenter les droits de scolarité universitaires de 1625 $. Des associations étudiantes lui ont répondu par la grève. Dans certaines de leurs manifestations, les participants étaient peu vêtus. C’est le cas de cette manufestante, qui trouve que l’augmentation prévue la frappe trop fort («ça fesse»). Comme ce message se trouve juste au-dessus de «Chacune des deux parties charnues (musculo-adipeuses) de la région postérieure du bassin, dans l’espèce humaine et chez certains mammifères» (le Petit Robert, édition numérique de 2010), ne peut-on pas considérer ce voisinage comme une forme scripto-visuelle de diaphore, de fesser à la fesse ?

Une hausse qui fesse (littéralement)

Source : la Presse, 4 mai 2012, p. A5

 

[Complément du 28 avril 2014]

Après les fesses, les bourses : «Joel Quenneville s’est pris la bourse… et maintenant les Hawks délient les cordons de la leur. 25 000 $ d’amende pour geste obscène» (@MAGodin)

 

[Complément du 2 juillet 2014]

Peut-on parler de diaphore par homonymie ? C’est ce que donne à penser la une du Canard enchaîné du jour : «Les bleus en quart et Sarko en car de police.» (Titre repéré sur Twitter.)

 

[Complément du 28 octobre 2014]

Dans l’entrée «J comme Jesus Price» de la série «ABC de la religion du #Canadien» de son collègue Olivier Bauer, l’Oreille tendue tombe sur cette diaphore biblique : «Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église» (Matthieu 16, 18). Olivier, lui, parle plutôt de «mauvais jeu de mot». En cela, il est d’accord avec Voltaire.

 

[Complément du 12 novembre 2014]

«On ne se réchauffe qu’au feu de bois, au fioul, à l’électricité ou au gaz et ce n’est pas elle, qui ne m’a jamais payé le mien, qui va me dire de quel bois je me chauffe» (Autour du monde, p. 262).

 

[Complément du 11 décembre 2014]

«Quequ’un qui a pas passé ses maths de secondaire 3 faque c’est la moppe qu’y passe dans un IGA jusqu’à 19 ans» («Monde (le vrai)», p. 63).

 

[Complément du 12 décembre 2014]

Deux diaphores pour le prix d’une : l’une en français (bien / biens), l’autre en anglais (good / goods).

Deux diaphores en vitrine

 

[Complément du 22 décembre 2014]

Diaphore animale, chez Daniel Canty, repérée par @SimonBrousseau : «Une chienne amputée d’une patte joue entre celles de la table.»

 

[Complément du 9 février 2015]

Exemple tiré de Parlez-vous franglais ? d’Étiemble : «Beaucoup de ces notions, vous le constaterez sans peine, mais avec peine, sont maintenant devenues “bien françaises”» (éd. de 1991, p. 290).

 

[Complément du 27 mars 2015]

Entendu l’autre jour, vers la quinzième minute de l’émission Des Papous dans la tête du 15 mars 2015, un extrait de la chanson «Hay dit oh» de Bourvil et Pierrette Bruno :

[Elle] Le panorama te plaira
Là haut tu feras
Avec ta nouvelle caméra
Une bobine comme ça

[Lui] T’as pensé à celle que je f’rais
Si jamais on tombait
Dans le piège
De l’abominable homme des neiges

 

[Complément du 10 août 2015]

Le comte Medroso «était familier de l’Inquisition; milord Boldmind n’était familier que dans la conversation» (Voltaire, article «Liberté de penser», Dictionnaire philosophique, cité dans Tolérance, p. 51).

 

[Complément du 9 septembre 2015]

Ce matin, Stéfanie Trudeau, l’ex-Matricule 728, était à la radio de Radio-Canada, au micro d’Alain Gravel. Elle y a notamment dit ceci : «Moé j’veux r’venir chez nous avec tout’ mes membres, pis j’veux qu’mes membres de mon escouade fassent la même chose.»

 

[Complément du 9 juin 2016]

Un autre exemple tiré d’un polar, Mardi-gris (1978), d’Hervé Prudon : «Nos trois mauvais sujets en trouvèrent donc un quatrième, de satisfaction celui-là, il n’y aurait pas foule dans les rues et sur les routes et ils pourraient opérer en souplesse» (p. 113).

 

[Complément du 10 juin 2016]

L’Oreille tendue, ces jours-ci, fait du ménage dans ses polars. Elle y retrouve la Position du tireur couché (1981) de Jean-Patrick Manchette : «Terrier lui donna vingt-six ans. Elle lui donna une clé» (p. 36); «En sortant d’une charcuterie une maman flanqua une claque à un bambin qui la flanquait, il se mit à hurler» (p. 92).

 

[Complément du 30 juillet 2016]

«— Ma femme, ça fait longtemps qu’elle a pris son paquetage elle aussi.
— Elle s’est tirée ?
— Oui. Une balle dans la tête après la mort de notre fils» (Ian Manook, les Temps Sauvages, p. 268).

 

[Complément du 7 décembre 2016]

Ceci, lu dans Comment j’ai fait mon dictionnaire de la langue française (1880) d’Émile Littré : «Dans cette inerte attente, et pour tuer le temps qui me tuait, je mis à contribution la bibliothèque de M. le docteur Formorel […]» (éd. de 1897, p. 40).

 

[Complément du 30 janvier 2017]

Chez Éric Chevillard : «J’ai froissé ma serviette dessus pour que le monsieur ne le soit pas lui-même s’il revenait, en voyant que j’ai fait la fine bouche avec son dessert» (Ronce-Rose, p. 22).

 

[Complément du 29 février 2018]

Encore chez Éric Chevillard : «Leurs grimaces ont tant souillé les vitrines des librairies du quartier que celles-ci ont préféré fermer. Se vendent à présent dans ces boutiques des costards étriqués pareils à ceux qu’ils taillent aux écrivains véritables et des plastrons avantageux pour leurs torses creux» (Défense de Prosper Brouillon, p. 8).

 

[Complément du 12 novembre 2018]

Message à Érik Vigneault : oui, ça intéresse l’Oreille tendue.

vous avez une pièce célèbre non seulement pour ses qualités esthétiques, ses qualités intrinsèques, mais pour les événements, la suite d’événements qui s’y sont déroulés, les gens qui y sont passés, c’est notre pièce de résistance si vous me passez le jeu de mots (deux fois le mot pièce dans deux sens différents : cela s’appelle une diaphore pour ceux que ça intéresse) (Tout savoir sur Juliette, p. 35).

 

[Complément du 23 décembre 2020]

Exemple juridicoromanesque : «Joanna s’est déplacée au siège de Valdeo à Philadelphie avec un jeune avocat associé qui suit les dossiers et d’ailleurs les porte» (l’Anomalie, p. 69-70).

 

[Complément du 7 avril 2021]

«Laisse-toi au gré du courant
Porter dans le lit du torrent
Et dans le mien
Si tu veux bien»

«L’eau à la bouche», paroles de Serge Gainsbourg, musique de Serge Gainsbourg et Alain Goraguer, 1965.

 

[Complément du 28 novembre 2021]

Soit le tweet suivant :

https://twitter.com/MarcCassivi/status/1464616492658483209

La première Céline chante. Pas le deuxième.

 

[Complément du 16 janvier 2024]

Dans l’Employé (1958), de Jacques Sternberg, ceci, qui n’est pas tout à fait une diaphore, mais c’est tout comme : «Orphelin, je fus recueilli par un oncle mélomane qui fit de moi un petit orphéon. Malheureusement, ce philanthrope était tellement pieux qu’on dut finalement le planter dans un terrain vague, où il servit à rafistoler une vieille clôture. Demeuré seul, je décidai d’entrer à l’orphéonat» (p. 9-10).

 

Références

Chevillard, Éric, Ronce-Rose. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2017, 139 p.

Chevillard, Éric, Défense de Prosper Brouillon, Paris, Éditions Noir sur blanc, coll. «Notabilia», 2017, 101 p. Illustrations de Jean-François Martin.

Cloutier, Fabien, «Monde (le vrai)», dans Olivier Choinière (édit.), 26 lettres. Abécédaire des mots en perte de sens, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 02, 2014, p. 60-64.

Dupriez, Bernard, Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire), Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 1370, 1980, 541 p.

Étiemble, Parlez-vous franglais ? Fol en France. Mad in France. La belle France. Label France, Paris, Gallimard, coll. «Folio actuel», 22, 1991, 436 p. Troisième édition. Édition originale : 1964.

Huglo, Marie-Pascale, la Respiration du monde. Roman, Montréal, Leméac, 2010, 165 p.

Le Tellier, Hervé, l’Anomalie. Roman, Paris, Gallimard, 2020, 327 p.

Littré, Émile, Comment j’ai fait mon dictionnaire de la langue française, Paris, Librairie Ch. Delagrave, 1897, viii/47 p. Nouvelle édition, précédée d’un avant-propos par Michel Bréal.

Manchette, Jean-Patrick, la Position du tireur couché, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 1856, 1981, 181 p.

Manook, Ian, les Temps sauvages. Roman, Paris, Albin Michel, coll. «Le livre de poche. Policier», 34208, 2016, 573 p. Édition originale : 2015.

Mauvignier, Laurent, Autour du monde. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2014, 371 p. Ill.

Prudon, Hervé, Mardi-gris, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 1724, 1978, 185 p.

Régniez, Emmanuel, l’ABC du gothique. Fiction, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 50, 2012, 184 p.

Sternberg, Jacques, l’Employé. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1958, 216 p.

Tolérance. Le combat des Lumières, Société française d’étude du dix-huitième siècle, 2015, 96 p. Préface de Catriona Seth.

Verreault, Mélissa, Voyage léger. Roman, Chicoutimi, La Peuplade, 2011, 219 p.

Vigneault, Érik, Tout savoir sur Juliette. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2018, 177 p.

Considérations sur l’art de la pancarte

Depuis plus de cent jours, des associations étudiantes font grève au Québec. Elles en ont contre la volonté du gouvernement du premier ministre Jean Charest d’augmenter les droits de scolarité universitaires.

Les opposants à la hausse portent le carré rouge. Le vert est pour ceux qui ne sont pas d’accord avec les rouges. Ceux qui revendiquent une trêve ont choisi le blanc. Quelques-uns, plus rares, croient que le noir s’impose : «Je le porterai pour me rappeler que je suis en deuil de la démocratie», écrivait Normand Baillargeon sur son blogue le 18 mai.

Le conflit a évidemment donné lieu à nombre de réflexions sur les mots utilisés par les uns et les autres. (L’Oreille tendue vient de regrouper les siennes sous la catégorie ggi, pour grève générale illimitée. C’est en bas à droite.)

Il a aussi donné lieu à la rédaction de beaucoup de pancartes. L’Oreille parlait de celles-ci le 27 mai à la radio de Radio-Canada (on peut l’entendre ici). Ci-dessous, les considérations formulées à ce moment-là, et d’autres.

Deux remarques préalables.

Il existe sûrement des milliers de pancartes liées au présent conflit. L’Oreille, à partir du dépouillement de la Presse et du Devoir, et en se servant de quelques sites, en a consulté environ 400; elle n’a pas la prétention d’épuiser le sujet. On lira les propos ci-dessous comme une première série d’interprétations et d’hypothèses.

Une pancarte, c’est, le plus souvent, du texte, mais aussi une calligraphie, de la couleur, une photo ou un dessin. L’Oreille parlera surtout texte. Elle sait qu’elle va faillir sémiologiquement.

1. Figures politiques

Rien d’étonnant : les principales figures représentées sur les pancartes sont politiques. Il est donc largement question de Jean Charest, des ministres de l’Éducation, du Loisir et du Sport, d’abord Line Beauchamp puis Michelle Courchesne, et du ministre des Finances, Raymond Bachand. Ils ne sont pas exagérément bien traités.

2. Figures culturelles

Les étudiants en grève profitent de l’occasion pour afficher leur culture.

Si on en croit leurs pancartes, ils seraient notamment appuyés par Edgar Allan Poe, Voltaire, Albert Camus, Réjean Ducharme, Malevich, Descartes — et Louis-Ferdinand Céline. Ce dernier appui n’est peut-être pas du meilleur aloi.

La citation culturelle, fidèle ou légèrement modifiée, est largement pratiquée par les manifestants :

«L’enfer c’est la hausse» (Jean-Paul Sartre).

«On va toujours trop loin pour les gens qui ne vont nulle part» (Pierre Falardeau).

«Il y a des pays où l’État paie l’étudiant et lui dit merci» (Félix Leclerc).

3. Palmarès

L’auteur le plus souvent évoqué pourrait être Albert Camus, avec cinq apparitions.

Il serait suivi de près par le hockeyeur Scott Gomez, avec quatre mentions, par exemple : «La hausse… encore moins rentable que Gomez !». (Gomez est le joueur le mieux payé des Canadiens de Montréal et il vient de connaître une saison catastrophique.)

4. Pédagogie

On ne saurait reprocher aux concepteurs de pancartes d’afficher leurs lectures. En revanche, ils auraient pu être un brin plus sensibles à la portée pédagogique de leur mouvement.

Se promener avec «Science sans conscience n’est que ruine de l’âme» au-dessus de la tête est légitime. Pourquoi ne pas dire que cette phrase est de Rabelais ?

Pourquoi ne pas indiquer que «Nous sommes devenus les bêtes féroces de l’espoir» et «Nous sommes arrivés à ce qui commence !» sont des emprunts au poète Gaston Miron ?

5. Efficacité

Certaines pancartes n’ont pas le punch souhaité.

Le cas le plus radical est peut-être celui-ci : «Hausser les frais c’est vendre des diplômes bidons comme l’Église vendait des indulgences au XIVe siècle.» Peut mieux faire.

Émile Durkheim est une figure tutélaire de la sociologie. Mais quel peut être le sens de son patronyme employé seul sur une pancarte ?

Victor Hugo aurait écrit : «Mieux vaudrait encore un enfer intelligent qu’un paradis bête.» Manifeste-t-on vraiment pour aller en enfer ?

6. Curiosités

Il y a des pancartes rouges. Il y en a aussi, beaucoup moins, des vertes.

Registre juridique : «On vous a respectés pendant 8 semaines, maintenant respectez la loi.»

Registre comique : «Quelle mouche vous a piquetés ?».

7. Curiosités, bis

«Coiffeuse en colère», dit une manifestante. Mais pourquoi ?

8. Body painting

Les manifestants, en quelques occasions, se sont transformés en manufestants : ils déambulaient presque nus.

Certains avaient leur pancarte à la main. D’autres devenaient pancartes, leur message étant écrit sur eux.

«Charest, tu veux notre peau ! Non.»

«Prend [sic] garde !»

«Nous sommes à un poil de la solution.»

«Line Beauchamp m’a volé mes vêtements !»

«Le corps étudiant contre la hausse.»

Euphonie oblige, l’Oreille a un faible pour celle-ci : «On se les gèle pour le gel.»

9. Grammaire

La grève étudiante aura servi de révélateur quant à la situation de l’enseignement de la langue au Québec.

Line Beauchamp est restée «pantoite» à la suite de certaine discussion avec les leaders étudiants. Sa remplaçante a solennellement déclaré le 23 mai : «Je pense sincèrement que nous pouvons se rasseoir positivement, constructivement.»

Les brandisseurs de pancartes ne s’en tirent guère mieux :

«Négocies [sic] ostie

«Prend [sic] garde !»

«Ils pourront couper toutes les fleurs, ils n’empêcherons [sic] pas le printemps.»

Au retour de la grève, il faudra se pencher sur le problème de l’enseignement des verbes dans la Belle Province.

10. Grève chiffrée

Le gouvernement a d’abord parlé d’une augmentation de 1625 $. À un moment, il a été dit que cela représentait 50 ¢ par jour d’augmentation. Plus tard encore, le même gouvernement a imposé une loi fort impopulaire, la loi 78. Pendant les manifestations contre celle-ci, une policière de Montréal — «Matricule 728» — aurait fait du zèle.

Tous ces nombres se retrouvent sur les pancartes.

C’est normal : «J’ai pas mes maths 536 mais je sais compter.»

11. Portraits

Parfois, les mots ne sont pas nécessaires : une image en vaut mille.

Les visages du commentateur Richard Martineau, du reporter Claude Poirier et de Jean Charest se voient agrémentés d’un nez de clown, rouge, comme il se doit. L’image dénigre.

Elle peut aussi marquer le respect : ce sera un portrait de la syndicaliste Madeleine Parent, morte le 12 mars 2012, auquel on aura collé un carré rouge.

12. Insultes et injures

Le conflit est long. Il rassemble, et oppose, des milliers de personnes. Dans les médias dits «sociaux», dont le rôle est capital dans les événements actuels, les intervenants ne sont pas toujours, pour emprunter une expression au Devoir, «en mode retenue» (23 mai 2012, p. A7); c’est le moins qu’on puisse dire. Dès lors, qu’il y ait des dérapages était prévisible.

Cela n’excuse pas de traiter une commentatrice de «salope», comme cela est arrivé à Sophie Durocher.

«Beauchamp est dans le champ» relève de l’humour, tout en marquant le désaccord. Accompagner cette phrase d’un dessin de vache auquel on a greffé la tête de la ministre est grossier.

Il y a toutes sortes de raisons d’en vouloir à Jean Charest, mais ce n’est pas un «fasciste».

La preuve en est faite une fois de plus : les conflits mènent à l’hyperbole. Ça ne dispense pas de le déplorer.

(L’Oreille se contente d’exemples banals. Il y a pire.)

13. Figures culturelles, bis

C’est affaire de générations. Chaque manifestant a ses propres références.

Harry Potter : «À Poudlard, c’est gratuit, pourquoi pas ici ?»; «Dumbledore serait pas d’accord.»

Star Wars : «Au côté éduqué de la force joins toi», à côté d’un portrait de maître Yoda; «Lyne, je suis ton père», au-dessus de celui de Darth Vader.

Buzz Lightyear : «Vers la gratuité et plus loin encore.»

Chuck Norris : «1ère étape : grève. 2e étape : manif. 3e étape : Chuck Norris.»

Mafalda : «Le pire c’est quand le pire commence à empirer.»

Ninja : «Ninja go contre les libéraux.»

Le Roi lion : «Pour le gouv. Charest, la GGI est la meilleure diversion depuis Timon déguisé en vahiné…».

Tout le monde ne s’y retrouve pas.

14. Le goût du jour

Sauf une fois au chalet est une expression à la mode ? On lira «Sauf une fois dans le budget».

«Mon père est riche en tabarnak», éructe une jeune personne avinée sur YouTube ? Cela donnera «C’est pas tous les pères qui sont riches en tabarnak», «Mon père n’est pas riche en tabarnak» ou, dans un registre différent, «Mon recteur est riche en tabarnak».

Le gouvernement promeut un ambitieux «Plan Nord» ? On lui répondra «Charest a perdu le nord» ou «À quand un plan nord pour l’éducation ?».

Crise et actualité vont main dans la main.

15. Autoréflexivité

La grève dure depuis trop longtemps. La preuve ? La pancarte devient sujet de pancarte : «Ma pancarte m’a abandonné… comme mon gouvernement»; «La loi 78 censure ma pancarte.»

16. Palmarès, bis

Chacun a ses pancartes favorites. L’Oreille en retient trois.

Parmi les arguments du gouvernement de Jean Charest pour justifier la hausse, il y avait la «juste part» exigée des étudiants. Réponse : «Charest : juste pars».

Chez les jeunes, le swag est une qualité très recherchée. Personne ne penserait associer ce terme à un quinquagénaire légèrement enveloppé et portant des complets sombres. Et pourtant : «Charest, t’as pas de swag !».

La préférée de l’Oreille, entre toutes ? «Mon père est dans l’anti-émeute.» Elle dit la violence, mais sans hostilité : devant les manifestants, il y a les policiers membres de l’escouade anti-émeute. Elle marque l’appartenance au mouvement des étudiants : je suis avec vous, même si mon père est policier. Elle rappelle aux policiers que ce sont leurs enfants qui défilent, plus ou moins pacifiquement. Elle est une mise en garde — aux forces de l’ordre en général, à un policier en particulier : ne me maltraite(z) pas. Elle refuse la violence verbale. Ce feuilleté de sens réjouit.

 

[Complément du 2 juin 2012]

«Mon père est dans l’anti-émeute», c’est aussi le conflit des générations, remarque un collègue de l’Oreille. Bien vu.

On prolongera la réflexion sur la douzième considération ci-dessus en lisant l’article de Catherine Lalonde, «Les sacres du printemps. Insultes, injures, et gros mots exultent dans la rue», dans le Devoir des 2-3 juin 2012 (p. A1 et A12).

 

[Complément du 21 juin 2012]

Un article de la Presse du 16 juin 2012 cite la pancarte suivante : «Policiers, vos enfants sont aussi des étudiants» (p. A20). Cette version de «Mon père est dans l’anti-émeute» est nettement moins réussie, car dépersonnalisée.

L’article porte sur les slogans entendus dans les rues de Montréal durant les manifestations printanières.

Autopromotion 031

[Ce qui suit est d’abord destiné aux bibliographes et aux dix-huitiémistes, voire aux bibliographes dix-huitiémistes.]

C’était le 16 mai 1992. L’Oreille tendue n’était pas encore l’Oreille tendue. En stage postdoctoral à Paris, elle eut l’idée de préparer une liste de quinze parutions récentes concernant le XVIIIe siècle français — on peut la retrouver ici —, uniquement des livres, et de distribuer cette liste aux abonnés du groupe de discussion électronique Balzac-L (le groupe est disparu depuis, sans qu’il y ait de rapport de cause à effet). Cet envoi était accompagné d’une question : «Ça vous paraît utile ? Si oui, je pourrais continuer» (la formulation n’était pas exactement celle-là, les archives numériques n’étant pas toujours ce qu’elles devraient être). Réponse (prévisible) ? Oui. Depuis, XVIIIe siècle : bibliographie a paru à raison d’une dizaine de livraisons par année.

Aujourd’hui, 16 mai 2012, 20 ans plus tard, la 213e livraison vient d’être mise en ligne. Un bref bilan s’impose.

La bibliographie compte aujourd’hui 25 974 titres : 7700 livres, 1813 ouvrages collectifs, 5884 chapitres de livres, 9430 articles, 599 mémoires ou thèses, 517 publications électroniques, 31 cédéroms (on le voit : les temps changent). En théorie, les textes recensés ont paru en 1990 ou plus tard (mais il y a des exceptions [11]). Presque 28 % des titres (7269) ont passé entre les mains de l’Oreille tendue; les autres ont été découverts chez leur auteur (1637) ou chez leur éditeur (4995), ou repris de sources diverses (catalogues de libraires, bibliographies disponibles sur papier ou dans Internet — notamment celle de Kevin Berland —, etc.).

Quels sont ses objectifs ? Un texte de 2007, présentant XVIIIe siècle : bibliographie et Selected Readings, la bibliographie de Kevin Berland, les définissait ainsi (et n’a guère perdu de son actualité) :

Quels sont les objectifs de ces bibliographies ? On peut en relever au moins quatre. 1. Faire connaître rapidement les travaux sur le XVIIIe siècle. 2. Faire connaître gratuitement ces travaux. 3. Permettre à l’information bibliographique d’être réutilisée sans risque d’erreur par les internautes. Tout lecteur de ces bibliographies peut en effet en copier les données directement sur son poste de travail sans avoir à les saisir de nouveau. 4. Faciliter l’interrogation. À cet égard, des progrès restent à faire, car les fichiers des deux bibliographies sont encore des fichiers en mode texte, plutôt que d’être rassemblés dans une banque de données. Ni l’une ni l’autre n’a la prétention de se substituer aux outils déjà existants (Klapp, MLA, Revue d’histoire littéraire de la France, etc.), et cela pour plusieurs raisons. Comme il s’agit, dans une large part, d’entreprises individuelles, on n’y a pas les ressources nécessaires pour s’assurer de l’exhaustivité du dépouillement. Pour les mêmes raisons, tous les titres recensés n’ont pas été vus par les bibliographes, ce qui fait que toutes les entrées n’ont pas le même degré de précision. N’existant que sur support électronique, elles ne connaissent pas encore une diffusion aussi étendue que les ressources traditionnelles. Pour l’instant, ces deux types de ressources bibliographiques — traditionnelles et électroniques — restent complémentaires.

Concrètement, comment XVIIIe siècle : bibliographie est-elle constituée ? Au départ, il s’agissait de simples listes saisies dans un traitement de texte. Ensuite, elles ont été importées dans un logiciel bibliographique, ProCite, malheureusement décédé après quelques trop brèves années de loyaux services. À la suite de cette disparition, une tentative de conversion de ProCite en EndNote n’a pas fonctionné. Depuis, toutes les entrées sont saisies dans une banque de données FileMaker, bidouillée maison, puis exportées dans un logiciel de traitement de texte, où elles sont toilettées avant leur mise en page finale dans un éditeur Web (en l’occurrence Dreamweaver). Dans le meilleur des mondes possibles, Zotero serait mis à contribution, mais nous ne vivons pas dans le meilleur des mondes possibles (ça se saurait).

À l’origine, la bibliographie circulait par courriel, auprès des abonnés de Balzac-L, puis de ceux de C18-L, de SECFS-L ou de la liste des dix-huitiémistes norvégiens (qui paraît être disparue). Il fut même une époque, évidemment héroïque, où elle existait en deux versions, l’une accentuée, l’autre pas. Le courriel est toujours utilisé, mais uniquement pour annoncer les nouvelles livraisons.

Archivée, dans un premier temps, sur le gopher Litteratures (sans accent) de l’Université de Montréal, elle est aujourd’hui disponible sur deux sites, celui de son auteur et celui de Bibliothèque et Archives Canada (XVIIIe siècle : bibliographie possède son ISSN depuis 1996). Elle n’a connu qu’une seule incarnation papier, en 1998, à la demande de Marianne Pernoo, dans la Revue d’histoire littéraire de la France.

Elle est recommandée par la Société française d’étude du dix-huitième siècle et elle est recensée dans les Signets de la Bibliothèque nationale de France. En 2000, le site l’Astrolabe. Recherche littéraire et informatique de l’Université d’Ottawa lui donnait une note de 3 sur 5; exactement à la même époque, Fabula la considérait «remarquable».

Quoi qu’il en soit, ça continue.

 

Références

Melançon, Benoît, «Annexe 2. XVIIIe siècle : bibliographie sur Internet», Revue d’histoire littéraire de la France, 98, 5, septembre-octobre 1998, p. 923-990.

Melançon, Benoît, «Bibliographies informatiques du XVIIIe siècle», Bulletin de la Société française d’étude du XVIIIe siècle, troisième série, 23, janvier 1997, p. 15-16. Repris dans le Bulletin de la Société canadienne d’étude du dix-huitième siècle, décembre 1996, p. 24-25.  Version numérique mise à jour en 2007 ici.

Nancy, Dominique, «Littérature française du 18e siècle sur le Web. Benoît Melançon a répertorié plus de 6500 références consacrées au Siècle des lumières», Forum, 34, 8, 18 octobre 1999, p. 8.

Beauté du mais

Daniel Grenier, Malgré tout on rit à Saint-Henri, 2012, couverture

Certains ont le mais sexiste, par exemple au XVIIIe siècle : «Mais, mais….. oh ! voilà le mais éternel des jolies femmes, & des Auteurs» (la Manie des arts, p. 43-44); «Mon Frere est comme les femmes, il a toujours en réserve un perfide mais» (la Cinquantaine dramatique, p. 24).

En revanche, d’autres ont le génie du mais.

C’est le cas de P. Landry.

Ou de Daniel Grenier : «On leur avait fait comprendre que ce niveau de français était excellent mais inacceptable et que des cours offerts par le ministère de l’Immigration étaient souhaitables mais obligatoires» (Malgré tout on rit à Saint-Henri, p. 113).

 

[Complément du 23 juin 2016]

L’Oreille tendue a consacré un court article à la Cinquantaine dramatique dans le dossier «Enquête sur les voltairiens et les anti-voltairiens (XI). Coordonnée par Gérard Gengembre» des Cahiers Voltaire, 11, 2012, p. 217-220.

 

Références

Grenier, Daniel, Malgré tout on rit à Saint-Henri. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 07, 2012, 253 p.

La Cinquantaine dramatique de M. de Voltaire, suivie de l’Inauguration de sa statue, intermède en un Acte, orné de Chants & de Danses, par l’Auteur du Poeme du Luxe, Aux Fossez; et se trouve à Paris, Chez Durand, Libraire, rue Galande, Despilly, Libraire, rue S. Jacques, 1774, 68 p. Texte d’Alexandre-Jacques Du Coudray.

Rochon de Chabannes, la Manie des arts, ou la Matinée à la mode, comédie en un acte et en prose, Paris, Sebastien Jorry, 1763, 66 p.

Du tintinologue

Hergé au Québec, 1965, affiche

 

[Lecteur, si Tintin t’ennuie, passe ton chemin.]

«J’ai lu Coke en stock
Au motel Jenny Rock»
Lucien Francoeur

L’année dernière, l’Oreille tendue a recueilli quelques-uns de ses textes sur la lettre, dont un «Tintin (non-)épistolier», sous le titre Écrire au pape et au Père Noël. Cabinet de curiosités épistolaires (Del Busso éditeur). Rendant compte du livre, Christian Vandendorpe dit de l’Oreille qu’elle est un «tintinologue averti». C’est lui faire trop d’honneur.

Cela l’a néanmoins entraînée à se poser la question suivante : qui, parmi les auteurs qu’elle connaît, classerait-elle dans la catégorie des «tintinologues» ? Voici quelques noms, par ordre alphabétique de prénom, Tintin oblige. (Tristan Demers étant dans une classe à part, il est exclu de l’énumération ci-dessous.)

Bertrand Laverdure : «Ce n’est pas très long avant que je n’entende une longue plainte grinçante qui me fige sur place. Une espèce de son de yéti comme dans Tintin au Tibet, une onomatopée interminable» (Bureau universel des copyrights. Roman, Chicoutimi, La peuplade, 2011, 142 p., p. 114).

Didier Daeninckx : «Une jeune femme promenait son chien, une sorte de Milou manucuré dont le collier tintinnabulait avec le même son agaçant qu’une clochette d’épicier» (À louer sans commission, édition numérique, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Mauvais genres», 2011 [1991], ch. 4).

Douglas Coupland : «E-mail from Abe : Im re-reading all my old TinTin books, and I’m noticing that there are all of these things absent in the Boy Detective’s life…religion, parents, politics, relationship, communion with nature, class, love, death, birth…it’s a long list. And I find that while I still love TinTin, I’m getting currious about all of its invisible content» (Microserfs, Toronto, HarperPerennial, 1996 [1995], 371 p., p. 191).

Éric Chevillard : «Fuyons, mon vieux Milou !» (Oreille rouge, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 44, 2007 [2005], 158 p., p. 97).

Éric Plamondon : «Tintin et Milou» («34. Symboles», dans Hongrie-Hollywood Express. Roman. 1984 — Volume I, Montréal, Le Quartanier, série «QR», 44, 2011, 164 p., p. 69).

François Hébert : «Elle ramassa le cartable du petit et alla le ranger dans sa chambre. Quel désordre ici. Au mur, décollée à l’un des angles, la photo d’un gardien de but, s’élançant devant un ballon qui n’arrivait pas. Une chaussette sur un Tintin, tiens, c’est On a marché sur la lune» (le Rendez-vous. Roman, Montréal, Quinze, coll. «Prose entière», 1980, 234 p., p. 218); «tu as bu tous les livres / Mallarmé Malcolm Lowry ô Tryphon Tournesol» («Mai 68», dans comment serrer la main de ce mort-là, Montréal, l’Hexagone, coll. «L’appel des mots», 2007, 92 p., p. 45); «Jaime lit les bédés, il a connu Tintin, Babar, / Superman, Spiderman. Les bandits de Cinar, j’ignore» («Chant vingt-septième», dans Toute l’œuvre incomplète, Montréal, l’Hexagone, coll. «Écritures», 2010, 154 p., p. 45-46, p. 45).

Gilles Marcotte : «Mais il y eut, bloquant la sortie, ce personnage un peu bizarre, très correct, exagérément correct, comme déguisé, vêtu d’un complet noir comme il convenait, mais que sa moustache faisait ressembler, au choix, à Adolf Hitler, au philosophe Heidegger ou à l’un des frères Dupont» (le Manuscrit Phaneuf. Roman, Montréal, Boréal, 2005, 216 p., p. 46).

Hugo Roy : «Le jeune reporter représentait pour moi l’accès à des mondes mystérieux, remplis de guet-apens, de complots, de brownings et de passages secrets, des mondes d’où l’on ne pouvait espérer sortir sans la vivacité du fidèle ami de Tchang. J’enviais cette qualité à Tintin, l’insolence de Robin des Bois, la ténacité d’Edmond Dantès et la perspicace assurance d’Arsène Lupin» (l’Envie, Montréal, Boréal, 2000, 204 p., p. 55).

Julien Blanc-Gras : «Mais je ne suis pas vraiment à l’aise avec l’idée de faire porter mon barda par des femmes et des enfants. Tintin au Congo, pas terrible» (Touriste, Vauvert, Au diable vauvert, 2011, 259 p., p. 219).

Laurent-Michel Vacher : «Universaux : terme emprunté à la scolastique médiévale et désignant les concepts généraux — correspondant non pas à un individu (Milou), mais à des classes, des genres ou des espèces (chien, animal)» (Découvrons la philosophie avec François Hertel, Montréal, Liber, 1995, 194 p., p. 78 n.).

Marc Robitaille : «Il n’y avait rien à faire alors j’ai relu Tintin au Tibet» (Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey. Récit, Montréal, VLB éditeur, 1987, 142, p. 140; voir aussi p. 136-137).

Michel Lefebvre : «Quand je me demande pourquoi j’aime tant lire, […] je me souviens avoir reçu en prime un porte-clés Tintin et Milou à l’achat du tout premier numéro de l’hebdomadaire Tintin distribué régulièrement au Québec; je me souviens que c’était aux environs de Pâques» (Je suis né en 53… Je me souviens, Montréal, Hurtubise HMH, coll. «amÉrica», 2005, 132 p., p. 127).

Michel Michaud : «Et puis la seule image que je connaissais de ce ruminant à tête de chameau [le lama], c’était son côté cracheur d’eau à la barbe du capitaine Haddock dans Tintin et le Temple du Soleil» (Coyote, Montréal, VLB éditeur, 1988, 288 p., p. 267).

Michel Tremblay : «Aujourd’hui, cet album me ferait frémir, mais le petit garçon qui lit les aventures de Tintin et de Milou, le chien parlant, sur le balcon de l’appartement de la rue Fabre ne connaît ni la Belgique ni le Congo belge, il n’a encore aucune notion du colonialisme, même s’il en est une victime culturelle depuis sa naissance en tant que Québécois, et il dévore sa première bande dessinée sans arrière-pensée, tout heureux de découvrir que Tintin n’est pas si plate que ça, en fin de compte» («Tintin au Congo», dans Un ange cornu avec des ailes de tôle. Récits, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 1994, 245 p., p. 48-64, p. 61).

Nicholson Baker : «The pictures were very important to the story, because Hergé was such a good drawer, especially of mountains and people climbing mountains wearing backpacks» («39. Reading Tintin to Her Babies», dans The Everlasting Story of Nory. A Novel, New York, Random House, 1998, 226 p., p. 155-158, p. 156); «“Guano” was one of my favorite words back then—I’d learned it from Tintin» (The Anthologist. A Novel, New York, Simon & Schuster, 2009, 243 p., p. 75).

Nicolas Ancion : «Voilà. Tout était compris dans ces trois mots. Fabriqué en Chine. Et Tom avait décidé de retrouver sa vraie mère, sa maman de Chine. Une gentille Chinoise avec des yeux bridés et des souliers minuscules, comme dans Le lotus bleu, qui serrerait Tom dans ses bras avec autant d’amour qu’au jour où elle l’avait cousu. Et le seul moyen de la retrouver, sa mère, c’était de remonter la filière» (Les ours n’ont pas de problème de parking, édition numérique, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Fiction 17», 2011 [2001], ch. «Le chien brun et la fleur jaune de Chine»).

Nicolas Dickner : «Dès le premier regard, par exemple, on tombe sur trois guides de voyage raisonnablement récents (Indonésie, Islande, Hawaï), un exemplaire à peine égratigné d’un album de Tintin (Coke en stock), le Ashley Book of Knots (en bon état mais sans couverture) et une édition spéciale de la Vie mode d’emploi (finement reliée)» (Nikolski, Québec, Alto, 2006, 325 p., p. 318-319; voir aussi p. 266).

Yves Pagès : «Au loin, la carcasse d’un zinc échoué dans la neige. Milou y déniche un poulet congelé de longue date. Tintin, lui, déchiffre le nom de son petit protégé gravé sur la paroi d’une grotte. Aujourd’hui, le Yéti est au chômage technique» («Figuration libre», dans Petites natures mortes au travail. Récits, Paris, Verticales et Seuil, 2000, 122 p., p. 37-44, p. 43).

La compagnie n’est pas trop mauvaise.

Cela étant, je serais Tintin, je m’inquiéterais. Sur 21 citations, six portent sur Milou, une sur les Dupont, une sur le professeur Tournesol, une sur Tchang, une sur le capitaine Haddock. Ce n’est pas un peu beaucoup pour les seconds couteaux ?

P.-S. — L’Oreille doit bien le confesser : il y a un peu de tintinologue en elle. Surtout si on ajoute ceci et cela à ce qui précède.

 

[Complément du 7 avril 2013]

Préparant du matériel pour ses Curiosités voltairiennes, l’Oreille tombe sur un texte de Michel David paru dans le Devoir du 28 septembre 2007, «Comme disait Voltaire». Il y est question de la résidence somptueuse de Pauline Marois, qui n’était pas encore première ministre du Québec. Comment David appelle-t-il ce «château» ? «Moulinsart-en-l’Île-Bizard» (p. A10).

 

[Complément du 14 avril 2013]

Du nouveau sur cette résidence : «“La Closerie”, domaine inspiré du Château de Moulinsart des aventures de Tintin, est située à l’Île-Bizard» (la Presse, 13 avril 2013, p. A8). «Inspiré» : vraiment ?

 

[Complément du 26 août 2013]

Le premier mot du sous-titre de Téléthons de la Grande Surface (inventaire catégorique), le livre que publiait Marc-Antoine K. Phaneuf en 2008 (Montréal, Le Quartanier, 188 p.), indique clairement sa nature formelle : Listes, poésie, name-dropping. L’ouvrage est en effet constitué uniquement de listes, regroupées en huit sections : «Listes de gens», «Listes alimentaires», «Listes d’objets», «Listes géographiques», «Listes scientifiques», «Listes sportives», «Listes culturelles», «Listes musicales». Elles sont faites de mots tirés de la vie courante, de la musique, du cinéma, du sport, de la télévision, de la chanson, de la culture populaire et de la culture savante. Et de la bande dessinée.

La série Astérix n’est nommée qu’une fois, pour les Douze Travaux d’Astérix (p. 127). Les Tintin, en revanche, sont très souvent cités. Parfois, il est question de personnages : Tintin et Milou (p. 16), les Dupont/d (p. 22), Rackham le Rouge (p. 37), le capitaine Haddock (p. 90), le professeur Tournesol (p. 135). Parfois, d’albums : l’Oreille cassée (p. 46), le Crabe aux pinces d’or (p. 91), l’Affaire Tournesol (p. 119), Vol 714 pour Sidney (p. 126). Moulinsart est là (p. 101), comme «des mèches dans le toupet Tintin» (p. 179).

Une fois cette liste dressée, un esprit chagrin pourrait déplorer l’absence de Milou dans «Au pet shop» (p. 88-89) et celle de Tintin au Tibet dans «Le péril jaune» (p. 104-105). Ne soyons pas des esprits chagrins.

 

[Complément du 27 janvier 2014]

Nicholson Baker précise sa lecture de Tintin dans «Thorin Son of Thráin» (1996) :

Two Tintin books — The Secret of the Unicorn and Red Rackham’s Treasure — were the first things I truly liked reading by myself. Golden Books was the publisher of a few Tintin titles then, and they had Americanized the text slightly : Haddock’s ancestral home was called Hudson Manor rather than the Marlinspike Hall of other Tintins that we ordered later on from England like jars of marmalade. I loved the shark-shaped one-man submarine, and Tintin’s shameless habit of talking to himself in his diving helmet while he was being stalked by the real shark, and the scene in which Thomson and Thompson, tired out, forget to keep cranking the air pump that leads below (éd. de 2013, p. 44).

 

Référence

Baker, Nicholson, «Thorin Son of Thráin», dans Michael Dorris et Emilie Buchwald (édit.), The Most Wonderful Books : Writers on Discovering the Pleasures of Reading, Minneapolis, Milkweed Editions, 1997; repris dans Nicholson Baker, The Way the World Works. Essays, New York, Simon & Schuster, 2013, p. 43-45.

 

[Complément du 1er août 2016]

Lisant ceci chez San-Antonio dans Salut mon pope ! : «Elle nous emporte dans sa cabine comme une vieille pie emporte des boucles d’oreilles dans son nid» (éd. de 1974, p. 239), comment ne pas penser aux Bijoux de la Castafiore ?

San-Antonio, Salut, mon pope ! Roman spécial-police, Paris, Fleuve noir, coll. «S.A.», 25, 1974, 254 p. Édition originale : 1966.

 

[Complément du 3 mars 2017]

Collecte du jour.

Hervé Bouchard : «Je possède de ça des images de moi dans un autobus, dans un avion, dans un campeur monté sur un F-150 de mil neuf sans que ça paraisse, où je suis couché comme Tintin dans sa fusée, pendant que le véhicule fait l’ascension circulaire de la montagne Baker» (Numéro six. Passages du numéro six dans le hockey mineur, dans les catégories atome, moustique, pee-wee, bantam et midget; avec aussi quelques petites aventures s’y rattachant, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 80, 2014, 170 p., p. 148).

Simon Brousseau : «Tu as huit ans, c’est le soir de Noël, et tu repères tout de suite, sous le beau sapin que tu as décoré la veille avec tes grands-parents, le cadeau qu’ils vont t’offrir et dont la forme laisse deviner l’album de Tintin que tu désires et qui manque à ta collection, Le Lotus bleu, avec sa rutilante couverture où un dragon tracé à l’encre de chine zigzague et semble sur le point de jaillir hors du livre, et lorsqu’à minuit tu peux enfin déballer ce cadeau, tu le fais avec un tel empressement que tu t’arraches l’ongle de l’index gauche, et même si tout le monde se rue sur toi, tu ne résistes pas à la tentation de tourner les premières pages» (Synapses. Fictions, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 107 p., p. 82-83).

Michael Delisle : «Il était beau comme Tintin : pâle, lèvres roses, yeux bleus, un peu blond» (le Feu de mon père. Récit, Montréal, Boréal, 2014, 121 p., p. 24).

Jonathan Franzen : «The most widely loved (and profitable) faces in the modern world tend to be exceptionally basic and abstract cartoons : Mickey Mouse, the Simpsons, Tintin, and — simplest of all, barely more than a circle, two dots, and a horizontal line — Charlie Brown» (The Discomfort Zone. A Personal History, New York, Picador, Farrar, Straus and Giroux, 2006, 195 p., p. 40).

Nicolas Guay : «Les aventures de Tintin et Ubu — l’oneille cassée» (l’Insoutenable Gravité de l’être (ou ne pas être), 2015 [deuxième édition], 100 p., p. 57. Édition numérique.).

François Hébert : «Dans le programme, on nous annonce que le professeur François-Xavier Nève de Mévergnies, de Liège, va nous parler de Tintin au Tibet. / Ce doit être un yéti, ce prof, avec un nom pareil» (De Mumbai à Madurai. L’énigme de l’arrivée et de l’après-midi. Récit, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Romanichels», 2013, 127 p., p. 40); «Ne tournerais-tu pas en rond comme un Dupont d’Au pays de l’or noir ?» (p. 97); «Et voici le capitaine Haddock qui caracole sur une vache sacrée et enragée dans la communication de Swati Dasgupta : L’image de l’Inde dans la bande dessinée francophone : de Tintin à India Dreams» (p. 108).

Normand Lalonde : «Ce n’est tout de même pas ma faute si Les bijoux de la Castafiore sont un des sommets de l’art du vingtième siècle» (Autoportrait aux yeux crevés. Petites méchancetés et autres gentillesses, Montréal, L’Oie de Cravan, 2016, 60 p., p. 28); «Si je n’étais Tintin, je voudrais être Diogène» (p. 30).

Jean-Pierre Minaudier : «Ke mahal onerdecos s’ch proporos rabarokh !» est la traduction, en arumbaya, d’une célèbre phrase du capitaine Haddock : «Moules à gaufres ! Marchand de tapis !» (Poésie du gérondif. Vagabondages linguistiques d’un passionné de peuples et de mots, Le Rayol Canadel, Le Tripode, 2014, 157 p., p. 17 et p. 137)

Patrick Nicol : «Il y a quarante ans, quand son oncle lui parlait de Chypre — Marc le revoit, tel qu’il l’a vu alors, marchant entre les lignes ennemies, opposant la solidité de son casque bleu au cône mou des Turcs et à la calotte à pompons des Grecs (souvenir erroné de Tintin) —, les Russes n’avaient même pas le droit d’épargner» (Vox populi. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 98, 2016, 89 p., p. 35); «Le mot “aventure” lui fait penser également à Tintin, qui a beaucoup voyagé comme les souliers de la chanson (Marc s’amuse de la vivacité de son esprit)» (p. 62).

Patrick Roy : «Elle vivait seule avec deux chats qui aboutissaient toujours devant sa porte-fenêtre à lui, deux bâtards, un roux et un crème, Tintin et Milou, fallait-il être assez stupide» (L’homme qui a vu l’ours. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 09, 2015, 459 p., p. 56); «L’un d’eux, Maverick, préposé au terrain dans un stade de rugby, ressemblait au capitaine Haddock avec des cheveux roux et il était tout aussi gueulard» (p. 285); «Fitzpatrick avait l’impression de traverser le désert depuis des heures tant sa gorge était sèche. Il était pris dans un remake du Crabe aux pinces d’or. Il se retint de s’éponger le front» (p. 396).

 

Écrire au pape et au Père Noël, 2011, couverture