Le zeugme du dimanche matin et d’Arturo Pérez-Reverte

Arturo Pérez-Reverte, Deux hommes de bien, 2017, couverture

«La poitrine est prise par un érésipèle, diagnostique le médecin après avoir tâté le pouls du malade et examiné sa gorge avec le manche d’une cuillère et une brusquerie telle qu’il manque de le faire vomir.»

Arturo Pérez-Reverte, Deux hommes de bien. Roman, traduction de Gabriel Iaculli, Paris, Seuil, 2017, 501 p., p. 295. Édition originale : 2015.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Lumières sur le losange

Nouveau projet, 13, 2018, couverture

L’Oreille tendue aime le baseball et le Siècle des lumières. Dès lors, l’article «Comment rester romantique à propos du baseball», que publie Pierre-Yves Néron dans le plus récent numéro de la revue Nouveau projet, était fait pour lui plaire.

Extrait (il est question de la sabermétrie, soit l’utilisation des statistiques dites «avancées» dans le monde du sport) :

Et elle avait de quoi séduire les amateurs de plusieurs sports, cette idée, étant donné la qualité des débats et des conversations dont ils étaient et sont encore l’objet. C’est d’ailleurs l’un des grands paradoxes du sport contemporain. D’un côté, il passionne les foules. De l’autre, on lui réserve peut-être la pire forme de journalisme qui existe. Si le sport tient une place aussi importante dans la vie de millions de gens, il est traité avec une étonnante négligence discursive.

Dans un tel contexte, le partisan des «stats avancées» ressemble à un penseur des Lumières. Il a les allures de ceux qui nous donnent nos premiers frissons intellectuels, ceux qui luttent désespérément contre l’obscurantisme. On dirait Voltaire nous invitant à combattre le règne du préjugé qui caractérise l’ère du joueurnaliste. Défendre l’importance des chiffres dans le sport, c’est comme imaginer Kant crier son «Ose penser !» sur le plateau d’une émission comme L’antichambre (p. 146).

Voltaire et Rodger Brulotte ? Merci.

 

Référence

Néron, Pierre-Yves, «Comment rester romantique à propos du baseball», Nouveau projet, 13, printemps-été 2018, p. 144-147.

Voltaire 101

Virginie Rodde, Voltaire en un clin d’œil !, 2018, couverture

Faire découvrir l’œuvre de Voltaire, dans un livre de tout petit format (8 centimètres par 12), en peu de pages, à l’aide de textes brefs et de nombreuses citations, sur un ton léger : pourquoi pas ?

Présenter la biographie de l’auteur, se demander «Pourquoi lire Voltaire ?», sélectionner quelques genres pratiqués par lui et recommander des textes : oui.

Ne pas cacher les travers de ce classique par excellence, notamment son «antijudaïsme» (p. 5), tout en insistant sur son actualité réelle, par exemple en matière de tolérance : bien sûr.

Mais…

En 1725, le duc de Bourbon ne peut pas être, au sens strict, le «Premier ministre de Louis XV» (p. 16-17), le règne personnel de ce dernier ne commençant qu’en 1743. Louis XV a 15 ans en 1725.

Zaïre triomphe en effet à la Comédie-Française en 1732, mais Voltaire n’y incarne pas «le rôle de Lusignan» (p. 23). Il ne l’incarnera que sur des théâtres de société. Voltaire n’a jamais joué à la Comédie-Française.

Parler des «cent vingt-cinq auteurs de l’Encyclopédie» (p. 38) témoigne d’une assurance statisticobiographique que ne partageraient pas les spécialistes du personnel de ce Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers codirigé par Diderot et D’Alembert.

Comparer les ventes de Candide (un opuscule) à celles de l’Encyclopédie (vingt-huit lourds volumes vendus par souscription sur une période de 21 ans) n’a guère de pertinence (p. 40).

Le Dictionnaire philosophique n’a pas été jugé «particulièrement dangereux à cause de sa forme alphabétique» (p. 41) — après tout, c’est un… dictionnaire —, mais à cause de son contenu.

Voltaire ne rentre pas à Paris en 1777, mais en 1778 (p. 50).

Pierre Bayle s’est beaucoup occupé de sujets théologiques; c’est indubitable. En faire un «théologien protestant» (p. 70), c’est aller bien vite en besogne.

Pour Voltaire, la Bible n’est pas contestable «sur le plan scientifique» (p. 70; voir aussi p. 90), mais sur le plan historique.

Le titre de l’article de Michel Mervaud sur la néologie voltairienne (p. 76 n. 2) n’est pas correctement donné.

Le Traité sur la tolérance est-il vraiment une des «œuvres les plus lues» de Voltaire (p. 84) ? C’est bien douteux.

Voltaire a parfois louangé Shakespeare ? Oui (p. 60, p. 109). L’a-t-il parfois critiqué sévèrement ? Aussi, et il aurait fallu le dire.

Il serait souhaitable de ne pas confondre Candide et l’article «Bien (Tout est)» du Dictionnaire philosophique (p. 116).

Les lectures de la formule finale de Candide — «Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin» — ne manquent pas. Ici, on serait «en droit de prendre la formule […] au pied de la lettre» et de retourner «à la terre» (p. 118). Ah bon… (Le reste de l’interprétation de ce passage [p. 117-124] est à l’avenant.)

Un ton léger, cela permet-il d’appeler Jean-Jacques Rousseau le «petit camarade» de Voltaire (p. 125) ?

«Souscrire» à l’article «Philosophe» de l’Encyclopédie (p. 134) ? C’est une façon de voir les choses. Selon une spécialiste comme Martine Groult, Voltaire en serait, en fait, l’auteur.

Dans Candide, deux chapitres, le dix-septième et le dix-huitième, sont consacrés au pays mythique d’Eldorado. Candide et Cacambo n’y entrent pas par la voie des airs (p. 141), mais en bateau. Ils en repartent, dans un carrosse volant, accompagnés de moutons rouges — mais ces moutons ne sont pas six (p. 141). Les six moutons, qui ne sont pas rouges, ce n’est pas pour quitter Eldorado, mais pour circuler à l’intérieur du pays.

Un bout de phrase est répété deux fois (p. 152-153).

Le 26 août 1853, Flaubert écrit à Louise Colet : «On s’extasie devant la correspondance de Voltaire. Mais il n’a jamais été capable que de cela, le grand homme ! c’est-à-dire d’exposer son opinion personnelle; et tout chez lui a été cela.» Il n’a donc pas dit seulement «On s’extasie devant la correspondance de Voltaire» (p. 155). Ce n’est pas tout à fait la même chose.

Bref, peut (nettement) mieux faire.

 

Référence

Rodde, Virginie, Voltaire en un clin d’œil !, Paris, Éditions First, 2018, 158 p.

Une citation de Diderot pour le 8 mars

Diderot, Jacques le fataliste, éd. de 1983, couverture

L’Hôtesse. — «Il faut convenir que s’il y a de bien méchants hommes, il y a de bien méchantes femmes.

Jacques. — Et qu’il ne faut pas aller loin pour les trouver.

L’Hôtesse. — De quoi vous mêlez-vous ? Je suis femme, il me convient de dire des femmes tout ce qu’il me plaira, je n’ai que faire de votre approbation.»

Diderot, Jacques le fataliste, préface et commentaires de Jacques et Anne-Marie Chouillet, Paris, Librairie générale française, coll. «Le livre de poche», 403, 1983, 377 p., p. 122.