Ce n’est peut-être pas le titre du siècle

 

En 1967, le général de Gaulle, du balcon de l’hôtel de ville de Montréal, lance son «Vive le Québec libre !»

De libre à livre, il n’y a qu’un pas, d’où «Vive le Québec livres !»

C’est le titre du dossier qui paraît aujourd’hui dans le Monde des livres.

On le trouvait déjà en 1981 (Lire), en 1982 (le Point), en 1996 (Ma cavale au Canada), en 1999 (l’Express), en 2000 (Paris), en 2013 (Villa Marguerite-Yourcenar), en 2015 (Presses académiques francophones) et en 2018 (Zurich).

Faudrait-il envisager un (autre) moratoire ?

 

[Complément du 14 avril 2024]

Dans Libération de vendredi dernier… (Cela permet à l’Oreille tendue de mesurer l’influence de ses propositions de moratoire.)

«Vive le Québec livre !», Libération, une, 12 avril 2024

Réponses du mercredi matin

Logo de la revue Circula

Vous vous demandez pourquoi, dans l’édition française de 1997 de la Conjugaison pour tous (le Bescherelle), il y a des verbes dits «québécois» qui vous étonnent (affarmir, xaminer) ? Vous ne comprenez pas comment le français québécois de Sous les vents de Neptune (2004) de Fred Vargas peut être aussi bizarre ? L’accent de Marion Cotillard dans Rock’n’roll, le film de Guillaume Canet (2017), ne vous convainc pas ?

Allez lire, de Nadine Vincent, «Qu’est-ce que la lexicographie parasite ? Typologie d’une pratique qui influence la représentation du français québécois» (Circula. Revue d’idéologies linguistiques, 11, printemps 2020, p. 106-124). Vous y verrez que tout est affaire de sources. Quand on ne choisit pas les bonnes, ça peut causer toutes sortes d’incohérences.

En une formule : «pour reproduire le français du Québec, les Français pointés du doigt se sont parfois basés sur des sources québécoises inadéquates» (p. 108).

En quelque synonymes : «clichés» (p. 115), «inexactitudes» (p. 115), «stéréotypes» (p. 122), «idées préconçues» (p. 122).

À lire.

P.-S.—Cela ne peut probablement pas expliquer tout ce qui se trouve ici dans la rubrique «Ma cabane au Canada».

La bêtise des «cousins»

Soit cette image :

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Plusieurs choses y clochent.

Ce que l’on voit au centre de l’écran, en bas, ne s’appelle pas «pancakes» en français du Québec, mais, le plus communément, «crêpes». Dès lors, le mot-clic «#parlerpancake» n’a pas de sens.

Sur la pastille bleue — il y en a quelques autres —, on lit «Je ne veux pas faire mon petit Jean Lévesque.» On attendrait, bien évidemment, «Je ne veux pas faire mon petit Jos Connaissant.»

Au Québec, on n’entendrait pas «les phrases les plus fun», mais «les phrases les plus le fun».

Au centre, on peut taper «Ecris un message en francais [sic]», pour ensuite le «Traduire». Puisque les Québécois francophones parlent français, il s’agirait donc de «traduire» en français… une expression en français.

L’Oreille tendue a fait un test. Elle a tapé «Ce site est mal foutu.» Traduction proposée ? «Sois pas en criss, on jase aussi français nous autres !»

Pour le dire simplement : on est toujours le colon de quelqu’un.

P.-S.—Autre perle, avec «traduction» farfelue et faute d’orthographe.

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[Complément du 3 octobre 2020]

Sur Twitter, une lectrice de l’Oreille tendue, plus éveillée qu’elle, lui fait remarquer que l’on a utilisé comme illustration une photo des Rocheuses. Ces montagnes se trouvent à plusieurs milliers de kilomètres du Québec. La totale.

Actualités québécoises

Laurence Pivot et Nathalie Schneider, les Québécois, 2017, couverture

(Par souci de transparence, ceci : l’Oreille tendue a été interviewée par une des auteures du livre dont il sera question ci-dessous, ce qui explique qu’elle se trouve dans ses remerciements. Cela étant, les propos de l’Oreille n’ont pas été retenus par les auteures — ce dont elle ne leur tient point pantoute rigueur.)

Il peut être risqué de vouloir présenter son pays d’adoption, permanent ou temporaire. Voilà pourquoi l’Oreille a une rubrique «Ma cabane au Canada» : les titres qui y sont évoqués ne brillent pas tous par leur pertinence (euphémisme).

Qu’en est-il de l’ouvrage les Québécois (2017) de Laurence Pivot et Nathalie Schneider ?

Le livre est fait de descriptions, de commentaires, d’entrevues et de portraits — avec les inévitables Fred Pellerin et Kim Thúy, pour ne retenir que deux noms. Il ne cède pas, comme c’est si souvent le cas, à la folklorisation de son objet et c’est particulièrement vrai dans le choix des sujets abordés : au lieu de tartines sur les grands espaces ou sur le hockey comme religion, on parle de coopératives d’habitation, de médiation familiale, d’entreprenariat. Journalistes «franco-canadiennes» (quatrième de couverture), Pivot et Schneider se sont intéressées à l’actualité bien plus qu’à l’histoire. Elles vont droit au but : les textes sont courts et incarnés. Elles sont enthousiastes, mais sans complaisance (p. 69-70, p. 90).

Elles considèrent que les Québécois sont obsédés «par le consensus» (quatrième de couverture); il est difficile de leur donner tort. Le point de vue est surtout montréalais, mais pas uniquement : elles ont aussi interrogé Serge Bouchard sur le Nord. Il est question des Québécois «de souche», francophones comme anglophones, et des immigrants. Le reportage ratisse large, du choix de la langue d’expression par les chanteurs au Canada «postnational» de Justin Trudeau.

Certaines des affirmations du livre méritent discussion. L’influence amérindienne sur l’identité québécoise est-elle aussi profonde que les auteures le disent ? Les pages sur l’implication des pères de famille ne sont-elles pas un brin trop roses (couleur de circonstance) ? L’Oreille tendue serait ravie que «l’accès au savoir» soit le «socle de la société québécoise» (p. 29); elle est loin d’en être convaincue. Les auteures ont un point de vue, avec lequel on peut être en accord ou pas.

En revanche, quelques erreurs factuelles leur ont échappé. Le film l’Enfant martyre de la page 48 est la Petite Aurore, l’enfant martyre. Les créateurs seront aussi étonnés que les patrons de Bombardier de lire que «les arts et la culture au Québec sont certainement le secteur qui reçoit le plus de subventions» (p. 57). La phrase «l’arrivée par l’autoroute 20 et par Montréal-Nord» (p. 66) risque de laisser le lecteur désorienté. Fernand Dumont étant mort en 1997, il est peu plausible qu’il ait publié un livre avec Gérard Bouchard en 2011, comme l’affirme Akos Verboczy (p. 104). Le cours obligatoire Éthique et culture religieuse (et non le «cours d’éthique religieuse») n’a pas été créé à la recommandation de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, dite commission Bouchard-Taylor (p. 110).

Une relecture attentive, par quelqu’un d’informé, aurait permis d’attirer l’attention sur ce qui est neuf dans ce portrait des Québécois, plutôt que sur ses erreurs. Ce n’est pas elles qu’il faut retenir.

P.-S.—En haut de la page 56, il est certes question de sexe, mais de là à confondre «satirique» et «satyrique»… L’usage fréquent de «drastique» fera tiquer ceux qui chassent l’anglicisme.

P.-P.-S.—Les auteures semblent apprécier le Code Québec (2016); l’Oreille est moins sûre qu’elles.

 

Référence

Pivot, Laurence et Nathalie Schneider, les Québécois, Paris, Ateliers Henry Dougier, coll. «Lignes de vie d’un peuple», 2017, 143 p.

Cela se fait en France aussi

«Top 5 des terrasses éphémères où chiller cet été», Vivre Paris, 26 mai 2017

On savait que l’on pouvait chiller à Montréal; le verbe y est courant chez les jeunes, qui que soient les jeunes, de même que le substantif chilling et que l’adjectif chill. On avait pu entendre Grand corps malade, en séjour linguistique en Nouvelle-France, s’essayer à ce néologisme.

Des sources conjugales proches de l’Oreille tendue lui font découvrir que l’on peut désormais chiller à Paris, même si c’est de façon éphémère. C’est toujours bon à savoir.

 

[Complément du 14 avril 2019]

Cela se pratique aussi en Belgique, note le toujours excellent Michel Francard dans sa chronique hebdomadaire du Soir.

«Rouler tranquille, c’est chill», panneau routier, Belgique, 2019