Réjean Ducharme (1941-2017)

Réjean Ducharme, l’Hiver de force, éd. de 1984, couverture

L’Oreille tendue se répète : Réjean Ducharme, qui vient de mourir à 76 ans, était l’un des deux plus grands romanciers du Québec. (L’autre ? Mordecai Richler.)

Elle l’a souvent cité ici.

Pour son titre le plus galvaudé, l’Hiver de force.

Pour son amour du hockey : Bobby OrrDollard Saint-Laurent.

Pour son art du zeugme : 13 novembre 201126 décembre 201112 février 201229 décembre 2013.

Pour son sens des mots : agace-pissetteallô coudoncriminalisédiscours du trônedjeauxfififlauxmaghanémets-enmoyensnorozigonner.

Réjean Ducharme avait l’oreille.

P.-S.—Par où (re)commencer ? Par l’Hiver de force (1973).

 

Référence

Ducharme, Réjean, l’Hiver de force. Récit, Paris, Gallimard, 1973, 282 p. Rééd. : Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1622, 1984, 273 p.

Henri Richard (1936-2020)

Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny, 1975, p. 44

«Maurice Richard était plus talentueux que Gordie Howe.
Henri Richard était plus talentueux que Maurice Richard.»
Michel-Wilbrod Bujold,
les Hockeyeurs assassinés

«Dans un sens, j’aurais mieux aimé ne pas être un Richard,
le frère de l’autre.»
Henri Richard, dans Louis Chantigny, Mes grands joueurs de hockey

«He was more like an uncle to me
Henri Richard, dans Michael A. Smith, Life after Hockey

Henri Richard a joué vingt saisons avec les Canadiens de Montréal — c’est du hockey. Il a établi un record dont on peut penser qu’il ne sera jamais égalé : à titre de joueur, il a remporté onze fois la Coupe Stanley, le championnat de la Ligue nationale de hockey. Pourtant, on le ramène souvent à un seul trait de son identité : il était le frère cadet de Maurice Richard, le plus célèbre joueur de la plus célèbre équipe de hockey. Il est vrai qu’il n’a pas eu la fortune socioculturelle de son aîné, mais n’était-il que cela, «le frère de l’autre» ?

Maurice étant «Le Rocket», son frère, plus petit et plus léger que lui, sera «Le Pocket Rocket». (Un troisième frère, Claude, a brièvement été surnommé «Le Vest Pocket Rocket», mais il ne fera pas carrière.) Avant même qu’Henri ne signe un contrat avec les Canadiens, son aîné (de quinze ans) a été son défenseur. Le 6 décembre 1952, dans sa chronique du journal Samedi-Dimanche, il critique vertement des amateurs de hockey de la ville de Québec, nommément ceux du quartier Saint-Sauveur, qu’il traite de «bandits», à cause du traitement qu’ils auraient réservé à Henri. L’affaire a des échos politiques. Le député provincial de Saint-Sauveur, Francis Boudreau, soulève la question au Parlement de Québec. Le conseil municipal de Québec demande une rétractation au journal. Richard persiste et signe, majuscules à l’appui, le 20 décembre :

Je ne rétracte rien de ce que j’ai dit il y a deux semaines sur certaines gangs de Québec, sauf le mot «bandit». Mon «Ghost-Writer» m’admet courageusement que c’est un de ses jurons favoris et qu’il l’emploie régulièrement quand il a des sautes d’humeur sans signifier pour cela que le «bandit» est un meurtrier ou un voleur de grand chemin.
TOUT CE QUI A ÉTÉ PUBLIÉ AUTREMENT, C’EST MOI QUI LE LUI AI DICTÉ […].

Par la suite, les Richard seront coéquipiers durant cinq saisons, de 1955-1956 à 1959-1960. Henri se défendra tout seul.

Dans le roman L’anglais n’est pas une langue magique de Jacques Poulin (2009), le narrateur, Francis, le frère du «vieux Jack», est lecteur professionnel. Il ne cesse de se décrire comme «un petit frère» (p. 34), ce qui est péjoratif chez lui, d’où son identification à Henri Richard :

D’après mon livre, Henri Richard était plus petit et plus léger que Maurice. Il ne parlait pas l’anglais et ne disait pas un mot dans le vestiaire. Mais, sur la patinoire, il était très rapide. Il avait son propre style : il marquait un grand nombre de buts en s’appuyant de tout son poids sur l’adversaire qui tentait de le mettre en échec. Ses succès me réchauffaient le cœur et, par moments, j’avais l’impression de grandir à travers lui (p. 35-36).

La réduction du cadet à son rôle de «petit frère» est beaucoup moins heureuse dans le livre pour la jeunesse Connais-tu Maurice Richard ?, de Johanne Ménard, où elle atteint un sommet de ridicule : «Fais-moi une passe ou je le dis à maman !» dit Henri à Maurice (p. 54).

C’est à Henri Richard qu’on attribue une confusion, largement citée, entre «l’aine» et «la laine». C’est à cela que pensaient (sans doute) Jean Dion dans le Devoir du 18 mars 2014 quand il parlait d’«une laine d’une flexibilité à faire peur» (p. B6) et (sûrement) Richard Garneau dans son roman (à clefs) Train de nuit pour la gloire ou 45 jours à la conquête de la coupe Stanley : «Répondant à une question de Jean-Maurice sur son état de santé, le centre Henri Rivard répondit qu’à part une blessure à la laine (sic), tout allait comme sur des roulettes» (p. 170).

Des prosateurs ont mis en scène des matchs bien précis du «Pocket Rocket». Pour le narrateur des Ponts de Jean-François Chassay (1995), c’est le dernier match de la saison 1970-1971, quand les Canadiens remportent la Coupe Stanley contre les Black Hawks de Chicago après que Richard eut dénigré publiquement son entraîneur, Al McNeil : «La troisième période restera dans les annales comme celle d’Henri Richard : deux buts» (p. 194). Pour le Samuel Archibald d’Arvida (2011), il s’agit d’un match de 1978 opposant «les Anciens Canadiens aux étoiles de la ligue commerciale d’Arvida» (p. 221) : Henri joue, Maurice arbitre; les choses ne se déroulent toutefois pas tout à fait comme prévu. C’est encore dans l’équipe des Anciens Canadiens que se retrouve Henri dans Une dangereuse patinoire (2002) de Roy MacGregor : «C’était bel et bien lui, les cheveux tout blancs, mais les yeux noirs toujours aussi perçants que sur la photo de sa carte de hockey» (p. 135). (En 2012, dans son Histoire du hockey, Philippe Cantin évoque le même match que Chassay : «Lors de cette belle soirée de printemps, dans un Stadium de Chicago transformé en fournaise, Henri Richard remporta son pari» [p. 370].» Jusqu’en 1986, les Backhawks étaient les Black Hawks.)

Interrogé par Michael A. Smith, Henri Richard dit qu’enfant il avait deux rêves, jouer au hockey et posséder une taverne (Life after Hockey, p. 114). Son rêve a été exaucé : de 1960 à 1986, il a été le propriétaire d’une taverne montréalaise, avenue du Parc. Pour le dramaturge Rick Salutin, en 1977, cela paraît avoir été positif sur le plan financier : «He is the prosperous owner of an excellent tavern» (les Canadiens, p. 156, didascalie). Pour J.R. Plante, deux ans plus tôt, dans une analyse (lourdement) idéologique des relations de travail dans le monde du hockey, elle est un des pôles d’une relation (lourdement) binaire :

Le Forum est cachottier et hypocrite. La taverne d’Henri est un lieu de cartes honnêtement mises sur la table, où les sentiments se révèlent à la lumière au lieu de se camoufler, où les gens disent franchement ce qu’ils pensent. La taverne est francophone. Le Forum est anglophone. Le Forum est le lieu du mépris et de l’humiliation. La taverne, celui de l’amitié et de la fraternité (p. 56).

L’Oreille tendue pourchasse depuis plusieurs années les représentations du sport dans la culture québécoise; celles-ci sont rarement très originales. S’agissant de l’ancien numéro 16 des Canadiens, on peut en signaler deux qui se démarquent.

En 1974, Anna McGarrigle a rendu «Hommage à Henri Richard» (2 minutes 13 secondes, disque 45 tours, étiquette PAC 4411 Pacha, paroles ici). L’homme a beau être un «petit bonhomme brave», il sera «bientôt canonisé». C’est à la fois un tavernier («Vous comptez trop et la bière est gratuite / Tavernier vous allez faire faillite») et un chevalier («Son épée est le cœur du Canadien»). Voilà des images neuves sur une figure connue. (Dans son livre intitulé Rocket Richard, Andy O’Brien évoque une chanson de 1960, «The Rocket, The Pocket and Boom», ce dernier étant Bernard «Boum-Boum» Geoffrion [p. 130-131]. Elle ne paraît pas avoir été enregistrée.)

Au milieu des années 1960, le personnage principal du long métrage de fiction Histoires d’hiver (1998, réalisation de François Bouvier, scénario «Inspiré du roman de Marc Robitaille [1987 et 2013], “Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey”»), Martin Roy, a douze ans. Il termine ses études primaires. C’est un fan d’Henri Richard. Au mur de sa chambre, il y a une couverture du magazine Sport revue, avec Richard, et d’autres affiches de joueurs. Il lui a écrit pour essayer d’obtenir des billets pour un match des Canadiens au Forum de Montréal, en prétendant être malade. Il est démasqué. Il ne recevra qu’une lettre de Richard, accompagnée d’une brochure sur l’art de jouer au hockey. Plus tard, il s’inspirera d’un article de magazine sur les frères Richard pour une de ses rédactions : au nom des joueurs de hockey, il substituera celui de Samuel de Champlain. Il sera louangé par sa maîtresse devant les autres élèves, qui avisera aussi ses parents d’une pareille réussite littéraire.

Qu’Henri Richard soit d’abord, pour les créateurs, comme pour les journalistes et pour les fans, un membre de la famille ne doit pas étonner. Au Québec, le hockey est un legs, un patrimoine, un héritage, transmis, familialement, d’une génération à l’autre.

P.-S.—On peut voir et entendre Henri Richard dans le film Un jeu si simple (Gilles Groulx, 1964) sur le site de l’Office national du film du Canada.

P.-P.-S.—La ville de Laval, en 2017, a inauguré un complexe sportivo-spectaculaire, la Place Bell. Henri Richard allait y être honoré, annonçait la Presse+ du 1er septembre 2017. Une somme de 75 000 $ avait été prévue pour une œuvre d’art public, rapportait le Devoir du 16 novembre 2017, qui évoquait ce «Lavallois d’adoption» (p. B7). C’est chose faite le 29 octobre 2018, avec l’inauguration de Henri Richard, un grand parmi les grands, de Louise Lemieux Bérubé : «L’œuvre est composée d’interprétations en tissage de photographies rappelant Henri Richard en tant qu’homme et joueur de hockey. Mme Lemieux Bérubé a retravaillé, recadré et converti en noir et blanc des photos d’archives, en plus de reprendre le poème inscrit sur le mur du vestiaire du Canadien de Montréal» (la Presse+, 30 octobre 2018).

 

Illustration : Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, Montréal, Éditions Mirabel, 1975, 48 p., p. 44.

 

[Ce texte reprend des analyses publiées dans les Yeux de Maurice Richard (2006).]

 

[Complément du 15 octobre 2020]

Hier, au micro d’Annie Desrochers à l’émission de radio le 15-18 de Radio-Canada, l’Oreille tendue a commenté un ouvrage récent, Henri Richard. La légende aux 11 coupes Stanley (2020), et réfléchi à la place du Pocket Rocket dans la culture québécoise.

 

Musicographie (par ordre chronologique)

Oswald, «Les sports», mars 1960, 2 minutes 6 secondes, disque 45 tours, étiquette Fleur de lys FL-194; repris dans le disque collectif 14 bonnes chansons jouals, années 1960, disque 33 tours, étiquette Reel 14 R-8.

Les Jérolas, «Le sport», 1967, 3 minutes 28 secondes, disque 45 tours, étiquette RCA Victor PCS-1165, composition de Jérôme Lemay.

Anna McGarrigle, «Hommage à Henri Richard», 1974, 2 minutes 13 secondes, disque 45 tours, étiquette PAC 4411 Pacha.

André Brazeau, «Ti-Guy», Pour toi et ton père, disque audionumérique, 2002, 2 minutes 52 secondes, étiquette Studio ABC.

Mes Aïeux, «Le fantôme du Forum», la Ligne orange, 2008, 5 minutes 35 secondes, disque audionumérique, étiquette Disques Victoire VIC23661.

Loco Locass, «Le but», 2009, 5 minutes 8 secondes. Repris sur Le Québec est mort, vive le Québec, 2012, étiquette Audiogramme.

 

Références

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p. Ill.

Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, Montréal, Éditions Mirabel, 1975, 48 p. Premier et unique épisode des «Enquêtes de Berri et Demontigny». Texte : Arsène. Dessin : Girerd. Bande dessinée.

Bujold, Michel-Wilbrod, les Hockeyeurs assassinés. Essai sur l’histoire du hockey 1870-2002, Montréal, Guérin, 1997, vi/150 p. Ill.

Cantin, Philippe, le Colisée contre le Forum. Mon histoire du hockey. Tome 1, Montréal, La Presse, 2012, 538 p. Ill.

Chantigny, Louis, «Henri Richard», dans Mes grands joueurs de hockey, Montréal, Leméac, coll. «Éducation physique et loisirs», 1974, p. 81-94.

Chassay, Jean-François, les Ponts. Histoire d’une famille, Montréal, Leméac, 1995, 259 p.

Dion, Jean, «Dans la tête», le Devoir, 18 mars 2014.

Garneau, Richard, Train de nuit pour la gloire ou 45 jours à la conquête de la coupe Stanley. Roman, Montréal, Stanké, 1995, 239 p.

MacGregor, Roy, Une dangereuse patinoire, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 7, 2002, 151 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 1998.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Ménard, Johanne, Connais-tu Maurice Richard ?, Waterloo (Québec), Éditions Michel Quintin, coll. «Connais-tu ?», 5, 2010, 63 p. Illustrations et bulles de Pierre Berthiaume.

O’Brien, Andy, Rocket Richard, Toronto, The Ryerson Press, 1961, x/134 p. Ill.

Plante, J.R., «Crime et châtiment au Forum (Un mythe à l’œuvre et à l’épreuve)», Stratégie, 10, hiver 1975, p. 41-65.

Poulin, Jacques, L’anglais n’est pas une langue magique. Roman, Montréal, Leméac/Actes Sud, 2009, 155 p.

Richard, Denis, en collaboration avec Léandre Normand, Henri Richard. La légende aux 11 coupes Stanley, Montréal, Éditions de l’Homme, 2020, 234 p. Ill. Préface de Ronald Corey. Avant-propos de Léandre Normand.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey. Récit, Montréal, VLB éditeur, 1987, 142 p. Ill.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.

Salutin, Rick, avec la collaboration de Ken Dryden, les Canadiens, Vancouver, Talonbooks, 1977, 186 p. Ill.

Smith, Michael A., «Henri Richard», dans Life after Hockey. When the Lights are Dimmed, St. Paul (MN), Codner Books, 1987, p. 109-116.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

So long for now

The Vinyl Cafe, tuque, 2017

«It’s my story

On entend parfois des Québécois francophones se demander s’il existe bel et bien une culture canadienne-anglaise, distincte de la culture états-unienne. La réponse, évidemment, est simple : oui, en littérature, en cinéma, en musique (populaire et classique), en peinture — et en radio.

Prenez Stuart McLean. Pendant plus de vingt ans, il a animé une émission à la radio anglaise de Radio-Canada, la CBC, longtemps intitulée The Vinyl Cafe, puis tout récemment Vinyl Cafe Stories. Certains épisodes étaient enregistrés en studio, d’autres devant public, avec accompagnement musical. (McLean avait aussi collaboré à nombre d’autres émissions avant d’avoir la sienne.)

Stuart McLean est mort hier, à 68 ans.

Chaque auditeur avait — et continuera d’avoir — ses rubriques préférées («The Vinyl Cafe Story Exchange», «The Arthur Awards») et ses contes favoris (McLean était un fabuleux conteur). Le plus connu de ces contes est sans contredit «Dave Cooks the Turkey» (Dave est son personnage fétiche, autour duquel était construit l’univers de l’émission), mais l’Oreille tendue a un faible pour plusieurs des autres : «The Fly» (sur l’hypochondrie de Dave), «The Waterslide» (sur son voisin Eugene), «No Tax on Trufles» (sur les découvertes culinaires de son fils, Sam), «Wally the Janitor» (sur le concierge de l’école de Sam et de son ami Murphy), «The Canoe Trip» (sur un voyage avec sa femme Morley), «Tree Planting» (sur un travail d’été de leur fille Stephanie), «Dave Makes Snow» (sur les conséquences d’une idée originale de Dave sur sa voisine, la trop parfaite mary Turlington), «Polly Anderson’s Chrismas Party» (sur une autre de ses voisines, elle aussi adepte de la perfection).

L’Oreille tendue a eu l’occasion de voir McLean en spectacle à quelques reprises. Elle se souvient. Des moulinets qu’il faisait avec ses longs bras et ses longues jambes. De sa façon de s’asseoir pendant qu’il laissait la place à ses invités musicaux et à ses musiciens réguliers. Des consignes qu’il donnait au public : s’il fallait arrêter un conte, puis le recommencer pour corriger une erreur dans le texte ou un problème technique, le public devait absolument faire comme s’il ne connaissait pas déjà l’histoire; il ne pouvait pas rire avant la chute, qu’il venait pourtant d’entendre; il fallait jouer à ne pas savoir, avec lui, pour lui. De son insistance à faire chanter le public, notamment durant ses concerts de Noël, surtout le tout dernier de sa tournée annuelle, qu’il donnait souvent à Montréal, la ville où il était né. De sa volonté de parler français, voire de chanter dans cette langue (du Gilles Vigneault, au moins une fois), alors qu’il ne la parlait pas très bien. De ses formules finales : «So long for now», «Go back to your family».

Qu’y avait-il de particulièrement canadien dans l’œuvre de McLean ? Au moins deux choses. D’une part, un ancrage thématique : ce que McLean racontait, c’était le Canada, l’anglophone comme le francophone (voir le conte «The Wrong Cottage»). Lui qui passait une partie de sa vie en tournée aimait commencer ses spectacles par raconter une histoire que lui inspirait le lieu où il se trouvait, d’un océan à l’autre. D’autre part, son empathie : Stuart McLean aimait les gens et leurs histoires. C’était évident en spectacle; ce l’était encore plus quand il téléphonait, de son studio torontois, à ses auditeurs. Il est un jour tombé sur un adolescent solitaire; ce n’est pas le genre de chose que l’on oublie.

Il restera de lui des recueils de ses textes, des cédéroms, des archives radiophoniques — et des souvenirs vivaces.

Stuart McLean vient de mourir. L’Oreille tendue est triste.

P.-S. — À lire : d’un de ses amis; de son équipe.

P.-P.-S. — Dans un de ses livres, Écrire au pape et au Père Noël, l’Oreille évoque très brièvement un des contes épistolaires de McLean. Elle en aurait eu bien d’autres à citer.

 

[Complément du 20 février 2017]

L’Oreille tendue est honorée que des extraits de son hommage à Stuart McLean aient été repris et traduits dans le texte «A final story exchange : Fans honour Stuart McLean. Canadians at home and abroad share their tributes to the late broadcaster and storyteller» de Scott Utting et Jessica Wong sur le site CBCNews. C’est ici.

 

[Complément du 16 janvier 2023]

Bonne nouvelle du jour : Backstage at the Vinyl Cafe, en balado, promet de faire revivre l’émission de l’intérieur. Ça commence le 20 janvier.

Lionel Duval (1933-2016)

Arsène et Girerd, On a volé la coupe Stanley, p. 13

Après Richard Garneau (1930-2013) et Gilles Tremblay (1938-2014), c’est au tour du journaliste sportif Lionel Duval (1933-2016) de mourir. Les trois étaient nés dans les années 1930 et ils avaient travaillé à la Soirée du hockey, à la télévision de Radio-Canada.

Dans la culture québécoise, Lionel Duval n’a pas eu droit au même traitement que René Lecavalier (1918-1999), un des présentateurs les plus célèbres du Québec, mais il est devenu, au fil des ans, une figure connue des amateurs de hockey.

On prononce son nom dans la pièce la Coupe Stainless de Jean Barbeau (1974).

Il apparaît dans la bande dessinée On a volé la coupe Stanley (1975, p. 13), aux côtés de Guy Lapointe (voir l’illustration ci-dessus), et dans un documentaire de l’Office national du film, Peut-être Maurice Richard (Gilles Gascon, 1971).

Christine Corneau l’a chanté en 1988 :

Quand j’entends la Soirée du hockey
Avec la voix de Lionel Duval
Qui m’parle en direct du Forum de Montréal
Quand j’entends la Soirée du hockey
La foule en délire
C’est plus fort que moi
[Choriste : C’est plus fort que moi]
Ça m’fait souvenir

C’est aussi le cas de Vincent Vallières, en 2003 :

C’est écœurant, y a même Bobby Smith, entre la première pis la deuxième
Qui parle à Lionel Duval pis qui dit :
«Ah ! c’est difficile ! Ah ! c’est difficile !»

En 2001, Luc Bertrand raconte sa vie. Le titre de son ouvrage reprend une des phrases les plus connues de Duval : «Revoyons les faits saillants.»

Marc Robitaille l’évoque en 2013 :

Il y a aussi les conversations avec les joueurs et M. Lionel Duval. J’ai appris que le hockey est un jeu d’équipe, qu’on dira ce qu’on voudra mais que ça se joue sur la glace, qu’il faut jamais prendre les adversaires pour acquis, qu’il y a des soirs comme ça où il y a rien qui marche et que l’important c’est de revenir forts en troisième (p. 30).

Beaucoup, enfin, se souviendront de lui pour sa participation aux campagnes de publicité de Pepsi, avec Claude Meunier.

Références

Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, Montréal, Éditions Mirabel, 1975, 48 p. Premier et unique épisode des «Enquêtes de Berri et Demontigny». Texte : Arsène. Dessin : Girerd. Bande dessinée.

Barbeau, Jean, la Coupe Stainless. Solange, Montréal, Leméac, coll. «Répertoire québécois», 47-48, 1974, 115 p.

Bertrand, Luc, Lionel Duval. Revoyons les faits saillants, Montréal, TVA éditions, 2001, 192 p. Ill.

Corneau, Christine, «La soirée du hockey», En personnes, 4 minutes 15 secondes, disque audionumérique, 1988, étiquette Analekta, SNP-9801 Sonophile.

Gascon, Gilles, Peut-être Maurice Richard, documentaire de 66 minutes 38 secondes, 1971. Réalisation : Gilles Gascon. Production : Office national du film du Canada.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.

Vallières, Vincent, «1986», Chacun dans son espace, 4 minutes 40 secondes, disque audionumérique, 2003, étiquette Productions BYC, BYCD130.

Bref hommage pronominal à Pierre Lalonde

Portrait de Pierre Lalonde

On entend souvent dire, au Québec, que le pronom indéfini on exclurait «la personne qui parle». Cela n’est évidemment pas vrai. (L’Oreille tendue a souvent abordé la question, par exemple ici.)

Une preuve supplémentaire ? Pierre Lalonde chantait en 1963 «Nous, on est dans le vent».

Pierre Lalonde est mort hier. Il était né en 1941.

 

[Complément du 18 janvier 2022]

Au quotidien le Devoir, on n’écoute pas assez Pierre Lalonde. Le mot croisé du jour le prouve.

On «exclut la personne qui parle», le Devoir, 18 janvier 2022, mots croisés