L’oreille de Daniel Pennac

Daniel Pennac. le Cas Malaussène. I, 2017, couverture

Soit la phrase suivante, tirée du plus récent ouvrage de Daniel Pennac :

Et je me revois empruntant le vocabulaire famélique de Tobias, adoptant cette espèce de maniérisme commercialo-administratif auquel Mélimé et lui nous ont habitués dès nos premiers jours (des histoires où l’on ne «tombe» pas mais où l’on «chute», où l’on ne «fait» pas mais où l’on «effectue», où l’on ne «meurt» pas mais où l’on «décède», où les «occasions» sont des «opportunités», où les événements ne vous «touchent» pas mais vous «impactent…», où l’on ne vous «répond» pas mais où l’on «revient vers vous»).

Merci à Luc Jodoin d’avoir tendu l’oreille et d’avoir repéré cette citation. Il a eu raison de penser que l’Oreille tendue allait se régaler.

 

Référence

Pennac, Daniel, le Cas Malaussène. I. Ils m’ont menti, Paris, Gallimard, 2016. Édition numérique.

L’odeur ou la saveur ?

L’Oreille tendue n’hésite pas à se répéter; elle est comme ça.

À plusieurs reprises, elle a signalé combien l’expression à saveur avait envahi la langue médiatique québécoise. Une des dernières fois, c’était le 13 janvier 2016.

Il lui est aussi arrivé de repérer, derrière une expression tarabiscotée, une autre forme, banale mais correcte.

Elle a eu le même sentiment en lisant un article sur l’humour québécois paru dans le quotidien le Devoir des 22 et 23 octobre : «La star montante Louis T incarne la tendance de l’humour en odeur journalistique» (p. A4).

En odeur journalistique ? Voilà un journaliste qui fait des efforts pour ne pas dire à saveur journalistique.

L’Oreille n’aurait jamais pensé dire cela : c’est un cas où elle s’ennuie de à saveur.

Citation grammatico-biblique du jour

Évelyne de la Chenelière et Justin Laramée, Nous reprendrons tout ça demain, 2016, couverture

«Du plus loin que je me souvienne, deux livres ont façonné ma façon d’envisager le monde, deux livres qui ont tracé en moi leur cartographie impitoyable. C’est le Précis de grammaire française et la Bible. Ces livres ont en commun leur rigueur sans appel, leur intransigeance, et le spectre de la Faute.»

Évelyne de la Chenelière et Justin Laramée, Nous reprendrons tout ça demain, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 09, 2016, 94 p., p. 30.

Hier, c’est aujourd’hui

En 2004, le Dictionnaire québécois instantané, que cosignait l’Oreille tendue, avait une entrée «rationalisation, rationaliser» :

En termes clairs : congédier. «Dans le but de simplifier sa structure de gestion et d’exploitation, Canoë rationalise son effectif en ligne en supprimant 65 postes dans l’ensemble de ses établissements au Canada, ce qui représente une réduction d’environ 30 % de son personnel» (le Devoir, 16 août 2000) (p. 186).

Ces mots étaient rattachés à d’autres : «compressions», «déficit zéro», «faire plus avec moins», «gras (couper dans le ~)» et «gras dur», «néolibéral», «réingénierie», «restructuration», «sous-traitance».

Depuis douze ans, l’Oreille avait l’impression que rationalisation était tombé en obsolescence.

Que nenni : «La Laurentienne emprunte à son tour la voie de la rationalisation», titre le Devoir du jour (p. B1). Le sous-titre montre bien qu’il s’agit toujours des mêmes types de comportement : «La banque éliminera 300 postes et fusionnera 50 succursales, mais le syndicat l’accuse de chercher à diviser pour mieux imposer son modèle.»

Dont acte.

P.-S. — Des synonymes pour rationaliser ? Par ici.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture