L’échelle du racisme

Je suis raciste : cette phrase exhibe le racisme de qui la prononce.

Je n’étais pas raciste avant de connaître des xxxxxx [mettez la catégorie ethnique de votre choix ici] : cette phrase exhibe le racisme de qui la prononce (je suis maintenant raciste), mais laisse entendre que ce racisme est motivé par une connaissance directe de ceux envers lesquels il s’exprime (je suis raciste à cause des autres; c’est leur faute).

Tous les racistes ne sont pas égaux. Il y en a de pires que d’autres.

Mystère renouvelé

Kim Thúy, Ru, 2009, couverture

 

Les fêtes de fin d’année sont parfois l’occasion de débats enflammés.

C’est arrivé à l’Oreille tendue le 1er janvier. La question qui a mis le feu aux poudres ? Comment — mystère insondable — expliquer le succès, depuis de nombreuses années, du roman Ru, de Kim Thúy (2009) ?

Il va de soi que ce succès ne peut pas s’appuyer sur les qualités stylistiques du roman. Il n’en a pas.

Les lecteurs de Ru sont peut-être séduits par son contenu, les récits de résilience qui le composent. (L’Oreille ne pense pas que le contenu d’une œuvre artistique soit particulièrement important, du moins sur la durée.)

La popularité du roman pourrait s’expliquer par la popularité de son auteure, qui accepte bien volontiers les invitations médiatiques, nombreuses, qu’on lui adresse. Voilà quelqu’un de sympathique, qui n’hésite pas à se confier publiquement.

Traductrice, restauratrice, avocate : tout sourirait professionnellement à Kim Thúy. Pourquoi pas la littérature ?

On pourrait être plus cynique. Le public, en achetant massivement ce roman et en couvrant sa créatrice de lauriers, ne serait-il pas en train de s’autocongratuler ? Regardez bien : une jeune fille doit quitter son Viêt-Nam natal parmi des milliers d’autres boat people; elle s’établit au Québec, s’intègre, réussit; si elle a réussi, c’est qu’elle a pu s’intégrer; si elle a pu s’intégrer, c’est le signe que l’intégration à la québécoise fonctionne. Le succès de Ru serait celui du Québec.

Cette interprétation, qui ne renvoie évidemment pas à une décision consciente du public, est apparue au cours de la discussion du 1er janvier. Au final, les débats du jour de l’an servent peut-être à quelque chose.

 

Référence

Thúy, Kim, Ru, Montréal, Libre expression, 2009, 144 p.

Les si n’aiment pas les rait, dit-on

Sophie Bienvenu, Chercher Sam, 2014, couverture

 

«C’était la première fois que je pleurais depuis des années. Faut croire que là, j’avais trouvé une source.

J’étais plus capable d’avancer tellement les larmes me prenaient de force.

Ma mère m’a pris dans ses bras. Je me suis laissé aller. Je crois même que je gémissais dans son cou comme un kid. Elle disait “allez, allez… pleure pas, va”, en me frottant le dos.

J’avais le nez collé dans le creux de son épaule, ça faisait une tache de morve sur son manteau de laine noire.

“Maman, si j’aurais su…”, je gémissais.

J’avais tellement la face collée sur elle qu’elle comprenait pas ce que je disais. Elle m’a demandé de répéter. J’ai répété.

Elle a écarquillé les yeux et elle a eu un mouvement de recul.

“C’est ça, j’avais bien entendu. On dit ‘si J’AVAIS su’. Pas ‘si j’aurais’. Enfin c’est pas avec Karine que tu vas apprendre à parler français correctement, certain. Allez viens-t’en, le cortège va partir sans nous, le corbillard attend.”

Soudainement, j’ai eu le goût de vomir.

J’ai serré les poings et les dents.

J’ai rien dit en chemin vers le cimetière. J’ai rien entendu non plus.»

Sophie Bienvenu, Chercher Sam. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2014, 169 p., p. 62.

 

[Complément du 21 août 2022]

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