Sans limite

Panneau de signalisation, «Maximum 40»

Soit la phrase suivante, tirée du quotidien montréalais le Devoir, au sujet de Fabcaro : «Dans le genre pas barré à quarante, comme on dit au Québec, c’est un capable.»

Dans la langue populaire du Québec, qui n’est pas barré à quarante fonce, s’affirme, ne se laisse pas contraindre, repousse les limites imposées.

Variation sur le même thème, chez Pierre DesRuisseaux, sous «Ne pas être barré… (à quarante)» : «Ne pas être gêné, timide» (p. 30).

Ephrem Desjardins donne «effronté» comme synonyme (p. 39).

À votre service.

P.-S.—On peut, en effet, supposer que l’«érudite pas barrée» de Catherine D’Anjou (p. 58) ne l’est pas à quarante.

 

Références

D’Anjou, Catherine, On retourne toujours à Old Orchard. Poésie, Montréal, Del Busso éditeur, 2023, 76 p.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015 (nouvelle édition revue et augmentée), 380 p.

Citation outrée du jour

Adeline Dieudonné, Reste, 2023, couverture

Ceci, dans Reste (2023), le plus récent roman d’Adeline Dieudonné :

Le monde d’Hugo ne m’intéressait pas parce qu’il me rendait triste. Il m’a fallu plusieurs mois après notre séparation pour identifier exactement l’origine de cette tristesse. C’était son vocabulaire. Management, CEO, implémenter, data, digitalisation, customer, gestion des flux, expérience client, ressources humaines, target. Un vocabulaire de nazi. Hugo et moi ne parlions pas la même langue. Pourtant c’était un homme intelligent. Peut-être que c’est ça aussi qui me rendait triste. Toute cette intelligence gâchée.

Jusqu’à «nazi», l’Oreille tendue était assez d’accord avec cette détestation de la place des mots (anglais, notamment) de la gestion dans l’univers linguistique contemporain.

P.-S.—On ne confondra évidemment pas ce que dit un personnage et ce que pense sa créatrice.

 

Référence

Dieudonné, Adeline, Reste. Roman, Paris, Éditions de l’Iconoclaste, 2023. Édition numérique.

La phrase presque parfaite du jour

Schéma sur la réingénierie, l’efficience et l’efficacité, la Presse, 15 décembre 2003

«Avec une programmation resserrée autour de projets-phares centrés sur ce qui fait sa valeur ajoutée pour gagner en agilité et en efficacité pour un impact plus grand, l’OIF est désormais dotée d’un nouveau cadre stratégique 2023-2030.»

On pourrait penser que cette phrase, tirée d’un quotidien montréalais de cette fin de semaine, comporte tous les fétiches linguistique du management : «projets-phares», «valeur ajoutée», «agilité», «efficacité», «impact», «cadre stratégique».

De quoi l’Oreille tendue se plaint-elle alors ? Pourquoi pinaille-t-elle ? Elle déplore seulement l’absence d’«efficience». Pourquoi se priver de «pour gagner en agilité, en efficacité et en efficience» ? Cela aurait été si beau.

Laissez-les mourir, bis

Le Journal de Montréal, rubrique nécrologique, logo

L’Oreille tendue ne fréquente pas beaucoup les pages du Journal de Montréal : elle n’a guère d’atomes crochus avec les chroniqueurs de la maison.

Ça ne risque pas de changer. Pourquoi ?

Le quotidien publie des notices nécrologiques (en échange de quelques centaines de dollars). Quand, dans une notice, le client, en l’occurrence l’Oreille, écrit «X est mort», le journal remplace d’office «mort» par «décédé», sans consultation — entre autres corrections inutiles.

Vous savez quoi, le Journal de Montréal ? Mêlez-vous de vos affaires.

P.-S.—Non, mourir et décéder ne sont pas des synonymes.

P.-P.-S.—«Bis» ? Oui, «bis».

P.-P.-P.-S.—Merci à la Presse+ de respecter la volonté des familles.